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Pourquoi les Grues cendrées sont-elles particulièrement touchées par la grippe aviaire depuis la mi-octobre 2025 ?
Grue cendrée (Grus grus) trouvée morte dans la Saligue aux oiseaux à Castétis (Pyrénées-Atlantiques) le 29 octobre 2025 : elle a probablement été infectée par la souche H5N1 du virus de la grippe aviaire.
Photographie : Andréas Guyot
Introduction
L’un des spectacles automnaux les plus appréciés des observateurs ouest-européens, et notamment français et espagnols, est le passage et la halte de centaines de milliers de Grues cendrées (Grus grus) qui ont niché en Scandinavie et dans les autres pays bordant la mer Baltique et qui rejoignent la péninsule ibérique, et dans une moindre mesure, l’Afrique du Nord pour y passer l’hiver, en traversant la France selon une diagonale allant du nord-est au sud-ouest du pays. Depuis une vingtaine d’années, une proportion significative de ces oiseaux séjourne en France entre novembre et mars, principalement autour des réservoirs de Champagne et dans les landes de Gascogne, mais aussi dans d’autres zones humides, comme dans la réserve naturelle nationale du val de Loire (Cher/Nièvre) ou en Camargue (Bouches-du-Rhône).
L’automne 2025 est assombri par la découverte, principalement en Allemagne, en France et en Espagne, de dizaines de milliers de grues mortes et malades à cause de la souche H5N1 du virus de la grippe aviaire. Par exemple, rien qu’autour du lac du Der (Marne/Haute-Marne), on estime que plus de 4 500 oiseaux auraient péri.
Après quelques rappels sur la grippe aviaire, nous faisons un point sur l’ampleur de cette maladie en Europe au cours de cet automne 2025, nous rappelons les symptômes des oiseaux malades et les gestes à faire si on en repère, et nous nous demandons pourquoi cette espèce est particulièrement touchée.
Nous remercions Andréas Guyot (blog « Oiseaux des Pyrénées 64« ) pour ses photos.
Abstract
One of the most cherished autumn sights for Western European observers, particularly French and Spanish, is the passage and stopover of hundreds of thousands of Common Cranes (Grus grus) that have nested in Scandinavia and other countries bordering the Baltic Sea. These birds migrate to the Iberian Peninsula, and to a lesser extent North Africa, to spend the winter, crossing France diagonally from the northeast to the southwest. For the past twenty years or so, a significant proportion of these birds have stayed in France between November and March, mainly around the reservoirs of Champagne and in the Landes of Gascony, but also in other wetlands, such as the Val de Loire National Nature Reserve (Cher/Nièvre) and the Camargue (Bouches-du-Rhône).
Autumn 2025 was overshadowed by the discovery, primarily in Germany, France, and Spain, of tens of thousands of dead and sick cranes due to the H5N1 strain of avian influenza. For example, around Lake Der (Marne/Haute-Marne) alone, it is estimated that more than 4,500 birds may have perished. After a brief review of avian influenza, we will examine the extent of this disease in Europe during autumn 2025, review the symptoms of sick birds and the appropriate actions to take if they are spotted, and explore why this species is particularly affected.
We thank Andréas Guyot (blog « Oiseaux des Pyrénées 64« ) for his photos.
Quelques rappels sur la grippe aviaire
Micrographie électronique à transmission colorisée de virus de la souche H5N1 de la grippe aviaire (« bâtonnets » de couleur or) cultivés dans des cellules (en vert). |
La grippe (ou influenza) aviaire est une infection provoquée par des virus de la famille des Orthomyxoviridés. Seuls ceux du type A touchent les oiseaux sauvages et domestiques. Ils sont divisés en sous-types (H5, H7, H9, etc.), chacun d’entre eux étant subdivisé en souches désignées par les différents types de protéines H (pour hémagglutinine, ou protéine HA) et N (pour neuraminidase, ou protéine NA) présentes à la surface du virus. Les les chercheurs ont découvert 18 types de protéines HA et 11 types de protéines NA se présentant sous une grande variété de combinaisons (H7N1, H9N2, H5N1, H7N9, etc.). Le système immunitaire de l’organisme peut fabriquer des anticorps capables de reconnaître ces protéines spécifiques (= antigènes) et donc les combattre (lire La grippe aviaire chez les oiseaux).
Les virus de type A ont été identifiés chez un grand nombre d’espèces d’oiseaux dans le monde, et notamment au sein de certaines familles plus sensibles : gallinacés (poules, dindes, faisans, etc.), gruidés (grues), anatidés (canards, oies, cygnes, etc.), laridés (mouettes, goélands, sternes) ou sulidés (fous). La plupart des souches n’entraînent généralement aucun symptôme chez les oiseaux sauvages, mais certaines sont plus virulentes et peuvent causer une mortalité élevée en cas de fortes concentrations d’individus, par exemple dans les élevages industriels de volailles : c’est le cas de la souche (sous-type) H5N1, dite hautement pathogène (IAHP). Elle a été détectée dès 1996 chez des oies en Chine continentale, puis l’année suivante à Hong Kong, où elle a touché des humains et des élevages de poulets. Une vague a frappé l’Asie du Sud-est en 2004, puis elle s’est répandue en 2005 et en 2006 en Europe.
Des épisodes majeurs ont été notés en 2015 en Afrique et en Amérique du Nord. Depuis 2020 et surtout 2021, une sévère épizootie touche épisodiquement l’Europe de l’Ouest : en 2022, une mortalité massive a notamment été observée au sein de plusieurs colonies de Sternes caugeks (Thalasseus sandvicensis) et pierregarins (Sterna hirundo), de Fous de Bassan (Morus bassanus), de Mouettes rieuses (Chroicocephalus ridibundus) et de Guillemots de Troïl (Uria aalge), mais aussi chez le Grand Cormoran (Phalacrocorax carbo) en mer Baltique et la Spatule blanche (Platalea leucorodia) aux Pays-Bas (lire Comment gérer au mieux et limiter l’impact de la grippe aviaire sur les colonies d’oiseaux marins ?).
Les différents modes de transmission et de propagation du virus de la grippe aviaire
Les concentrations hivernales d’oiseaux favorisent la transmission du virus de la grippe aviaire, ici une troupe de Grues cendrées (Grus grus) à Morcenx (Landes) le 9 janvier 2016. |
La grippe aviaire se propage à grande distance par les mouvements migratoires, les oiseaux aquatiques et marins peuvent en effet être porteurs du virus tout au long de leur trajet. Les canards de surface, comme les Canards colverts (Anas platyrhynchos), ne présentent pas de signes cliniques d’infection, mais peuvent excréter le virus pendant les épisodes d’infection, contribuant ainsi à sa propagation. En outre, il est courant que les oiseaux sociables se déplacent entre colonies durant leur période de reproduction, disséminant ainsi le virus d’un site à un autre.
Le virus de la grippe aviaire peut aussi se disséminer par contact direct entre individus d’une même espèce ou lors d’interactions avec d’autres espèces, par exemple en cas de cleptoparasitisme ou d’agressions. Des cadavres d’oiseaux ayant succombé à la maladie constituent une menace pour les vivants évoluant à proximité. Au Japon, chez les Grues moine (Grus monacha) et à cou blanc (G. vigio), on a constaté que l’élimination virale était plus forte au niveau trachéal que cloacal, suggérant une transmission respiratoire.
Le virus est également transféré via des fluides corporels contaminés et lors d’interactions avec des individus malades ou morts, par exemple du fait du comportement charognard de certains oiseaux (goélands, etc.).
La grippe aviaire peut se propager indirectement par ingestion de matériel infectieux, comme de l’eau douce contaminée ou par contact avec les matières fécales d’oiseaux infectés ou d’autres objets et surfaces : par exemple, les virus de la grippe A sont connus pour rester actifs plusieurs mois dans l’eau douce à basse température, ce qui suggère que la transmission par l’eau constitue un important facteur d’infection entre oiseaux aquatiques. Un oiseau mort restant longtemps dans un bassin d’eau douce peut contaminer l’eau où plusieurs espèces se nourrissent et se baignent : de tels plans d’eau sont ainsi parfois appelés « piscines de la mort ».
Les oiseaux sauvages peuvent également transporter des virus vivants dans leur plumage.
Les humains peuvent enfin également contribuer à la propagation de la grippe aviaire, par exemple en manipulant des oiseaux infectés et en ne se nettoyant pas suffisamment par la suite, ou par transfert de matières fécales ou de plumes. On ne sait pas pendant combien de temps le virus H5N1 peut survivre dans le sol et sur les matériaux de nidification, mais il pourrait rester actif pendant plusieurs semaines s’il n’est pas exposé aux rayons UV, à des températures élevées ou à des conditions très sèches.
La Grue cendrée est particulièrement touchée en Europe durant cet automne 2025
Grue cendrée (Grus grus) morte dans la Saligue aux oiseaux à Castétis (Pyrénées-Atlantiques) le 28 octobre 2025. |
La Grue cendrée (Grus grus) niche de la Grande-Bretagne à la Sibérie orientale et hiverne de façon fragmentée de l’Europe du Sud et de l’Afrique du Nord à l’Asie du Sud et de l’Est, en passant par le Moyen-Orient. En Europe, elle se reproduit principalement de l’Allemagne et la Scandinavie en passant par le pays bordant la mer Baltique et hiverne principalement dans la péninsule ibérique (surtout en Espagne), mais aussi de plus en plus en France, qui a accueilli près de 30 % des oiseaux durant la mauvaise saison.
Au printemps (février-mars) et en automne (septembre-novembre), de 300 à 400 000 Grues cendrées traversent la France, majoritairement selon un axe Nord-est/Sud-ouest, mais depuis une vingtaine d’années, un nouveau couloir migratoire, qui passe par les Alpes et le Massif central en France, s’est constitué entre les populations d’Europe centrale et du sud-ouest de l’Europe.
Depuis la mi-octobre 2025, un épisode particulièrement sévère de grippe aviaire touche les Grues cendrées sur leur trajet migratoire depuis leurs zones de nidification nordiques. Si la maladie ne semble pas avoir touché les oiseaux en Scandinavie, des dizaines de milliers de grues mortes ou agonisantes ont été trouvées
dans leurs zones de repos et d’alimentation et même dans des jardins ou le long des autoroutes, principalement en Allemagne, en France et en Espagne.
En Allemagne, plus de 10 000 carcasses de grues ont déjà été retrouvées dans les principales zones de halte migratoire du pays, comme dans le Brandebourg (lire Où observer les oiseaux à Berlin et dans les environs ?), mais aussi dans le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, en Saxe-Anhalt et en Thuringe. Ceux qui ont été analysés étaient positifs à la souche H5N1.
En France, des cas sont rapportés quotidiennement depuis la mi-octobre dans plusieurs régions de France (Grand Est et Nouvelle-Aquitaine principalement), et des milliers d’oiseaux sont déjà morts : par exemple, rien qu’autour du lac du Der (Marne/Haute-Marne), on estime que 4 500 oiseaux auraient déjà péri, et un millier d’oiseaux seraient également morts dans la réserve naturelle nationale de l’étang de la Horre (Marne). La Ligue pour la Protection des Oiseaux évoque le chiffre de 6 500 grues mortes pour la région Grand Est.
À l’est de Morcenx (Landes), les équipes de la réserve naturelle d’Arjuzanx ont déjà collecté plusieurs centaines de cadavres (lire Observer les Grues cendrées dans la réserve nationale de chasse d’Arjuzanx).
Le virus a également atteint l’Espagne, et des centaines d’oiseaux morts ont déjà été trouvés autour de la lagune de Gallocanta et dans le secteur de La Sotonera (Aragon), les principaux sites de halte de l’espèce dans la péninsule ibérique, mais aussi dans des rizières et près de lagunes en Navarre, en Castille-La Manche, en Castille-et-León et en Estrémadure.
La durée de cette épidémie est incertaine : elle pourrait se prolonger pendant toute la période de migration d’automne, et on estime qu’au moins 10 à 15 % des oiseaux pourraient être touchés, mais l’impact final de la grippe aviaire actuelle sur la population de Grues cendrées empruntant la voie de migration d’Europe occidentale est imprévisible. Par ailleurs, les autres oiseaux aquatiques qui partagent leur habitat, comme les hérons, les cormorans, les oies et les canards, pourraient également être affectés. Enfin, la prédation exercée notamment par les rapaces et les corvidés pourrait aussi favoriser la propagation du virus.
Comment repérer une Grue cendrée malade de la grippe aviaire ?
Les symptômes des individus potentiellement malades sont les suivants :
Grue cendrée (Grus grus) malade dans la Saligue aux oiseaux à Castétis (Pyrénées-Atlantiques) le 28 octobre 2025. |
- des yeux fermés et/ou très larmoyants.
- Une léthargie, un corps allongé et une absence de réaction.
- Un problème de coordination et une perte d’équilibre (ataxie).
- Des tremblements de la tête et du corps.
- Des ailes abaissées ou des pattes traînantes.
- Une tête et/ou un cou penchés ou tordus
Bien que les signes ci-dessus soient des indicateurs pertinents d’une infection par la grippe aviaire, la présence du virus ne pourra être confirmée que par des tests en laboratoire ou avec un kit de détection rapide. Une autopsie pourra détecter des lésions macroscopiques (pancréatite nécrosante hémorragie des poumons, de la rate, du cerveau, du foie et/ou des reins, etc.).
Que faire si l’on trouve une Grue cendrée malade ou morte en France ?
Si l’on trouve une Grue cendrée malade ou morte, il ne faut pas la toucher sans porter des éléments de protection (gants, masque FFP2 et lunettes de sécurité). Il faut éviter de déplacer l’oiseau, et surtout ne pas le ramener chez soi. Il ne faut pas non plus ramasser ou manipuler les carcasses.
Avant toute action directe, il faut signaler votre découverte aux autorités compétentes (vétérinaires, organismes publics s’occupant de la faune sauvage, etc.). En France par exemple, il faut contacter un agent de l’Office Français de la Biodiversité de son département, une fédération de chasseurs (départementale, régionale ou nationale) ou un vétérinaire, qui relaient l’information sur le réseau SAGIR, dédié à la surveillance sanitaire de la faune sauvage. Ce réseau a notamment permis de détecter l’occurrence de maladies « nouvelles » sur le territoire ou pour une espèce donnée, comme la découverte d’un nouveau variant du virus RHD (Rabbit Haemorrhagic disease) en 2010 chez le Lapin de garenne (Oryctolagus cuniculus).
Retirer les cadavres et empêcher les contacts avec les élevages
Récupération d’un cadavre de Grue cendrée (Grus grus) dans la Saligue aux oiseaux à Castétis (Pyrénées-Atlantiques) le 28 octobre 2025. |
La vaccination, par exemple par l’utilisation de particules virales sans génome (lire Les pseudo-particules virales, une piste contre la grippe aviaire), est prometteuse et intéressante car elle diminue le nombre d’oiseaux infectés mais elle n’empêche pas totalement la propagation, elle est assez coûteuse, les virus peuvent muter, et des virus atténués peuvent être transmis à des oiseaux sauvages, chez lesquels ils peuvent se recombiner et évoluer en maladie.
Toutefois, dans la nature, un traitement de masse n’est pas envisageable, et par conséquent, la principale stratégie consiste à mener des actions de surveillance, de prévention et de contrôle de la propagation afin d’éviter la propagation du virus aux autres oiseaux sauvages et aux élevages et d’empêcher in fine une éventuelle transmission à l’Homme, même si cette dernière est rare mais ne peut être exclue lorsque l’on est exposé à des oiseaux malades ou morts infectés sans protection.
Il est important que les autorités sanitaires et les organismes travaillant avec elles (associations, offices de la chasse et de la faune sauvage, etc.) envoient au plus vite des équipes pour rechercher et retirer au plus vite les cadavres et les oiseaux malades afin d’empêcher la propagation du virus. Il est en effet important de rappeler que le virus peut survivre 48 heures dans un cadavre.
Dans les zones touchées, les élevages de volailles et de bétail doivent prendre les mesures appropriées afin de limiter les contacts possibles avec les oiseaux sauvages, via les abreuvoirs, les plans d’eau, etc.
Peut-on continuer à aider les oiseaux dans les jardins dans les zones touchées ?
Dans les secteurs où des Grues cendrées ont été trouvées mortes ou malades, on peut continuer à aider les oiseaux des jardins en prenant des mesures classiques d’hygiène des mangeoires et des points d’eau (lire Conseils pour fournir de l’eau aux oiseaux). En effet, plusieurs études ont montré que les passereaux (rougegorges, mésanges, merles, grives, pinsons, corneilles, geais, etc.) étaient peu ou pas affectés par la grippe aviaire (ils sont généralement asymptomatiques), et qu’ils jouaient un rôle mineur de la transmission du virus, même si ce sujet reste encore mal connu et nécessite d’être approfondi (lire Grippe aviaire : deux spécialistes du Cirad nous en disent plus). Au cours du printemps et de l’automne 2001, 543 passereaux migrateurs, dont le Pinson des arbres (Fringilla coelebs), la Grive musicienne (Turdus philomelos), la Fauvette des jardins (Sylvia borin) et le Rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus), avaient été capturés sur l’île allemande d’Heligoland, en mer du Nord, et testés pour les sous-types H5 et H7, ainsi que pour le paramyxovirus de type 1. Aucun cas de grippe aviaire n’avait été trouvé. Par ailleurs, 102 espèces d’oiseaux terrestres sauvages d’Amérique du Nord, dont de nombreux passereaux, avaient été testés en 2010 et en 2011 pour le virus de la grippe aviaire, et aucun cas n’avait été trouvé dans 900 échantillons (lire Malgré la grippe aviaire, on peut continuer à donner de l’eau aux oiseaux dans son jardin).
Pourquoi la Grue cendrée est-elle particulièrement touchée durant cet automne 2025 ?
Aires de nidification (rouge et violet) et d’hivernage (bleu) de la Grue cendrée (Grus grus) et voies de migration (flèches jaunes) en Europe et emplacements de quelques-uns des foyers de grippe aviaire (points rouges) en octobre 2025 en Allemagne, France et Espagne. |
Le virus de la grippe aviaire circule depuis plusieurs années en Europe, mais il ne frappe pas toujours les mêmes espèces. Par exemple, plus de 16 000 Bernaches nonnettes (Branta leucopsis) sont mortes sur la côte de Solway au sud-ouest de l’Écosse (Grande-Bretagne) durant l’hiver 2021-2022, et une mortalité massive a été observée durant le printemps et l’été 2022 au sein de plusieurs colonies de Sternes caugeks (Thalasseus sandvicensis) et pierregarins (Sterna hirundo), de Fous de Bassan (Morus bassanus), de Mouettes rieuses (Chroicocephalus ridibundus), et de Guillemots de Troïl (Uria aalge) en Europe et en Amérique du Nord, mais aussi chez le Grand Cormoran (Phalacrocorax carbo) en mer Baltique et la Spatule blanche (Platalea leucorodia) aux Pays-Bas.
Depuis la mi-octobre 2025, la Grue cendrée semble être la principale espèce touchée en Europe, avec des milliers de cadavres retrouvés. Il est difficile d’expliquer de façon certaine la situation particulière de ces échassiers au cours de cet automne, mais elle n’est pas inattendue, car la famille des gruidés est particulièrement sensible à la souche H5N1. Le sous-type H5N8 a aussi été détecté chez ces oiseaux, mais sans provoquer a priori de symptômes.
Dans une étude serbe publiée en 2023 dans la revue Veterinary Epidemiology and Economics, les auteurs ont conclu que les Grues cendrées étaient « hautement sensibles à une infection naturelle par la souche H5N1 ».
Plus de 10 000 cadavres de Grues cendrées avaient ainsi été ramassés durant l’hiver 2021-2022 dans la vallée de Hula, au nord d’Israël (lire Hula Bird Festival 2012 : grues, aigles et compagnie), et on estime qu’entre 20 000 et 40 000 oiseaux seraient morts le long de la voie de migration orientale de l’espèce, entre la Sibérie, le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Est.
Durant l’hiver 2022-2023, plus de 1 500 Grues moines et à cou blanc ont été trouvées malades ou mortes dans la plaine d’Izumi (Japon).
Durant l’automne 2023, plus de 500 cadavres (tous de juvéniles) avaient été trouvés dans la région de la Voïvodine (Serbie), et entre 20 000 et 30 000 grues seraient mortes en Hongrie à la fin de l’année 2023. Des cas suspects de mortalité avaient également été signalés en Italie et en Espagne.
Grues cendrées (Grus grus) se baignant dans la lagune de Gallocanta en Aragon (Espagne) le 14 février 2024. |
Les Grues cendrées migrent en grands groupes et se concentrent dans des secteurs limités pour se nourrir, se baigner et dormir, par exemple autour des grands réservoirs aubois et marnais en Champagne, ce qui favorise la transmission virale. Par ailleurs, elles sont facilement en contact dans leurs zones de migration et d’hivernage avec des oies et des canards sauvages, qui peuvent être porteurs du virus, y compris sous sa forme peu pathogène qui ne tue que les oiseaux déjà faibles.
L’implication des élevages de volailles dans la diffusion de la maladie, notamment via le transport des oiseaux ou l’utilisation des fientes pour les élevages piscicoles, a déjà été évoquée en Asie et localement en Europe, mais rien ne semble le suggérer pour le moment pour l’épidémie de l’automne 2025.
Cet épisode est plus précoce que ceux des hivers 2021-2022 et 2022-2023 en Israël et au Japon, et une évaluation de l’European Food Safety Authority de juin-septembre 2025 avait indiqué que la pression virale était déjà élevée cet été en Europe, constituant un terreau « favorable » dans plusieurs zones humides dès le début de la migration automnale.
Les conditions météorologiques peuvent aussi favoriser ou non la propagation, les automnes et les hivers secs favorisant la concentration nocturne des oiseaux dans des zones en eau moins étendues.
Du fait de leur grande taille et de leur comportement peu discret, il est plus facile de repérer des grues mortes ou malades que dans le cas d’autres oiseaux plus petits ou plus discrets : ces échassiers pourraient servir de bio-sentinelles pour détecter la présence de souches hautement pathogènes, mais aussi en tant que possibles «réservoirs de passage», introduisant ou réintroduisant la souche virale dans les zones de migration et d’hivernage.
Un certain nombre de facteurs environnementaux et climatiques, notamment les événements météorologiques extrêmes, peuvent également affecter directement ou indirectement l’écologie et la démographie des grues et, de ce fait, influencer la dynamique future des infections par le virus.
Un documentaire sur la mort de plus de mille Grues cendrées dans le Brandebourg (Allemagne) en octobre 2025
Plus de mille cadavres de Grues cendrées (Grus grus) infectées par la souche H5N1 du virus de la grippe aviaire ont été ramassés dans le Brandebourg (Allemagne) en octobre 2025
Source : BILD
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Compléments
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Carte Le pays des Grues cendrées, le lac du Der et les lacs aubois
Ouvrages recommandés
- Avian Influenza: Prevention And Control de Remco S. Schrijver (Sous la direction de) et G. Koch (Sous la direction de)
- The Monster at Our Door: The Global Threat of Avian Flu de Mike Davis
- Avian Viruses: Function and Control de Branson W. Ritchie
- La Grue cendrée : Histoire naturelle d’un grand migrateur de Laurent Couzi et Pierre Petit
- La Grue cendrée de Henri Brunel
Sources
- LPO CA (2025). Migration sur le lac du Der : les grues cendrées ne sont pas à la « fête ». Date : 22/10. champagne-ardenne.lpo.fr
- Marie Blanchardon (2025). Les grues du lac du Der meurent à la pelle : « C’est le premier épisode de grippe aviaire de cette ampleur ». Le Parisien. Date : 29/10. www.leparisien.fr
- EFSA (2025). Avian influenza overview June–September 2025. www.efsa.europa.eu
- Lionel Fontaine (2025). Grues cendrées : « un bilan proche de 4 500 morts sur le Der ». JHM. jhm.fr
- Andréas Guyot (2025). Grue cendrée morte à la saligue aux oiseaux, contamination confirmé H5N1. oiseaupyrenees.blogspot.com
- Francesca Biagioli (2025). Avian Flu Is Decimating Cranes in Germany: Over 10,000 Deaths Feared in Coming Weeks. GreenMag. www.greenmemag.com
- Kranichschutz Deutschland (2025). Tausende tote Kraniche – eine unvermeidbare Naturkatastrophe? www.facebook.com
- Ecologistas en accion (2025). Informe de afectación de gripe aviar en la ruta migratoria occidental de la grulla común. Date : 29/10. www.ecologistasenaccion.org
- Mana Esaki, Kosuke Okuya, Kaori Tokorozaki, Yuko Haraguchi, Taichi Hasegawa et Makoto Ozawa (2025). Highly Pathogenic Avian Influenza A(H5N1) Outbreak in Endangered Cranes, Izumi Plain, Japan, 2022-23. Emerging Infectious Diseases. Volume : 31. Numéro : 5. Pages : 937-947. pubmed.ncbi.nlm.nih.gov
- Biljana Djurdjević et al (2024). Natural infection of common cranes (Grus grus) with highly pathogenic avian influenza H5N1 in Serbia. Veterinary Epidemiology and Economics. Volume : 11. www.frontiersin.org
- Marcin Polak et Romuald Mikusek (2024). The Past, Present and Future of the Common Crane (Grus grus) in Poland. Birds. Date : 17/10. www.mdpi.com
- The Brussels Times with Belga (2023). Deadly bird flu outbreak threatens Europe’s cranes, Natuurpunt warns. Date : 09/12. www.brusselstimes.com




2 commentaires
2 commentaire(s) sur ce sujet
Participer à la discussion !Yves Claude THONNERIEUX
VAULX EN VELIN
Posté le 29 novembre 2025
Merci pour cet article de synthèse sur la circulation de l’IAHP en cet automne 2025. Il n’y est pas fait allusion à une contamination partant des élevages avicoles allemands et contaminant les grues.
Dans l’article en ligne de REPORTERRE du 15 novembre 2025, on s’interroge pourtant encore sur l’ordre de contamination d’H5N1 : oiseaux sauvages infectant les élevages de volailles allemands ou élevages de volailles allemands contaminant l’avifaune sauvage en particulier par le biais de l’épandage de fientes pour fertiliser les champs.
N’a-t-on pas envisagé au milieu de la décennie 2000, qu’H5N1 circulait initialement sous une forme atténuée non létale chez les oiseaux sauvages et que le renforcement du virus s’était opéré par l’intermédiaire des élevages industriels asiatiques et / ou le flux de volailles via le Trans-sibérien ? Dans cette hypothèse, le virus serait ressorti à l’air libre sous forme de variants hautement pathogènes vis-à-vis desquels les défenses immunitaires des oiseaux migrateurs étaient inopérantes. Qu’en est-il de ces hypothèses 20 ans plus tard ? Quelqu’un pourrait-il apporter ici son éclairage ?
Je reproduis ici le passage de l’article de REPORTERRE qui évoque les deux hypothèses de la contamination des grues :
« C’est chez nos voisins d’outre-Rhin que l’épidémie a démarré au cours de la 2ᵉ semaine d’octobre. Partie de la région tout au nord-est de Allemagne, elle s’est ensuite propagée vers le sud-ouest suivant le parcours migratoire des gruidés.
Outre les grues ramassées par milliers, le virus H5N1 provoque aussi une hécatombe dans les élevages de volailles depuis un mois. Selon l’institut Friedrich-Loeffler, l’autorité allemande compétente en matière d’épizooties, au 12 novembre, environ 1,5 million d’animaux d’élevage sont morts du virus ou ont été abattus à titre préventif.
À la même date, en France, le ministère de l’Agriculture comptabilisait 18 foyers de grippe aviaire dans des élevages professionnels de dindes, canards et poules, sans fournir le nombre total de volatiles morts ou abattus. Les mesures de précaution et de biosécurité dans les élevages sont renforcées depuis le 22 octobre, le niveau de risque pour l’influenza aviaire étant passé de « modéré » à « élevé ».
« La forte augmentation de l’incidence des foyers de volailles dans le Nord et l’Ouest de l’Allemagne observée depuis mi-octobre 2025 suggère un changement important dans la dynamique de l’infection par les virus de l’IAHP. Elle est probablement liée à la migration post-nuptiale en cours et aux événements de mortalité massive observés chez les grues cendrées », écrivent les scientifiques dans le Bulletin hebdomadaire de veille sanitaire internationale en santé animale (BHVSI-SA).
Autrement dit, le virus aurait pu être introduit dans les élevages par les grues déjà contaminées. Cette hypothèse est toutefois remise en question par les ornithologues et associations écologistes en Allemagne.
L’antenne de l’Union allemande pour la conservation de la nature et de la biodiversité à Brandenbourg — l’une des régions les plus touchées — soupçonne, au contraire, l’industrie avicole d’être la cause de la contamination des grues, et exige une enquête transparente pour comprendre la source de l’infection, au travers d’une pétition signée par près de 100 000 personnes.
« Il n’est pas encore prouvé que les oiseaux sauvages soient à l’origine des foyers de grippe aviaire hautement pathogène H5N1, juge l’organisation. Il est plus probable que les oiseaux sauvages soient infectés par des virus ayant circulé auparavant dans l’industrie avicole. » Elle observe que le virus avait été officiellement détecté dans 15 élevages avicoles répartis dans cinq Länder allemands avant même que les premières grues soient mortes.
La plupart de ces élevages infectés sont clos, sans accès des volailles au plein air, remarque Klemens Steiof, ornithologue berlinois, interrogé par Reporterre. Que les grues aient pu contaminer de tels lieux lui paraît « extrêmement improbable ».
Par ailleurs, le naturaliste estime qu’un oiseau sauvage infecté qui meurt ne propage plus le virus, lequel est rapidement détruit dans la nature. Il prend l’exemple des oies sauvages : « Actuellement, en Allemagne, les grues cendrées n’ont pas infecté les dizaines de milliers d’oies cendrées, d’oies des moissons et d’oies rieuses qui partagent le même habitat. »
Selon lui, la transmission de ce virus des oiseaux sauvages à d’autres oiseaux n’a lieu que dans des situations très particulières : colonies d’oiseaux marins densément peuplées, rassemblement important de grues dans les dortoirs, oiseaux prédateurs ou charognards se nourrissant d’un oiseau infecté… C’est d’ailleurs la crainte d’Alain Salvi en Lorraine, région qui abrite les rares pygargues à queue blanche de France : « Ils pourraient se contaminer en se nourrissant de cadavres de grues. »
Mais comment le virus aurait-il pu passer d’un élevage clos vers les grues sauvages ? « Malheureusement, les vétérinaires ne recherchent généralement pas les vecteurs entre l’industrie avicole et les oiseaux sauvages », regrette Klemens Steiof, qui ne peut émettre que des hypothèses.
Le fait que l’épidémie ait commencé de manière intense, avec de nombreuses grues infectées en l’espace de quelques jours, suggère selon lui une source à proximité des grands sites de stationnement des grues situés dans l’est de l’Allemagne (länder de Mecklembourg-Poméranie occidentale et/ou de Brandebourg).
Autre élément qui pourrait expliquer que seules les grues ont été touchées et pas les autres oiseaux sauvages : « Une possibilité pourrait être la fertilisation des champs de maïs, nombreux dans le Brandenbourg, avec le fumier issu des élevages et enfoui dans le sol », avance-t-il. Quand les grues fourragent dans le sol à la recherche de grains de maïs restants, les oies sauvages, elles, se contenteraient de picorer en surface.
Il évoque aussi la piste des systèmes de ventilation. Enfin, le transport de volailles infectées vers des abattoirs pourrait être une autre source potentielle de contamination le long du trajet.
« Nous exigeons que l’épandage de fumier sur les champs ne soit autorisé qu’après traitement germicide », réclame pour sa part Helmut Brücher, membre du conseil d’administration de l’antenne du Bund für Natur und Umwelt (Amis de la terre Allemagne) à Brandenburg.
« Il est facile de blâmer les oiseaux sauvages et de fermer les yeux sur l’élevage industriel et ses conséquences. Le Brandebourg possède les plus grands élevages de poules pondeuses d’Allemagne, avec en moyenne plus de 60 000 animaux », dénonce-t-il, demandant des enquêtes plus approfondies sur les grands élevages.
En France, La Ligue pour la protection des oiseaux affiche la même position dans un communiqué fin octobre : « Redoutables incubateurs de virus, les fortes concentrations de volailles favorisent l’émergence de nouveaux variants potentiellement plus agressifs, susceptibles de menacer l’ensemble du vivant, humains compris. »
L’association dénonce une fois de plus la loi Duplomb, maudite par tous les défenseurs de l’écologie, qui allège les contraintes en relevant les seuils à partir desquels les élevages intensifs de volailles sont soumis à autorisation environnementale. « La France avance hélas à contre-sens », conclut Allain Bougrain-Dubourg, son président.
David
sevran
Posté le 29 novembre 2025
Bonjour, merci pour ces précisions ! Cordialement Ornithomedia