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Timothée Schwartz (A Rocha France) nous en dit plus sur la conservation et la restauration des marais des Baux (Bouches-du-Rhône)
Timothée Schwartz, le directeur scientifique de l’association A Rocha France dans la vallée des Baux (Bouches-du-Rhône).
Source : association A Rocha
Introduction
La vallée des Baux (Bouches-du-Rhône) est située entre le massif calcaire des Alpilles et la plaine de la Crau, dans le parc naturel régional des Alpilles. Il s’agit d’une vaste « cuvette » de près de 2 000 hectares, qui était autrefois en grande partie occupée par des marais (appelés localement « paluds ») alimentés par des résurgences du sol karstique, les eaux de pluie s’écoulant du versant sud des Alpilles et la nappe phréatique de la Crau.
Les travaux de drainage, principalement réalisés au cours du XIXe siècle, avaient pour objectifs de lutter contre la prolifération des moustiques et de gagner de nouvelles terres agricoles. Aujourd’hui, il subsiste encore quelques zones humides d’un grand intérêt, la principale étant le marais de l’Ilon (175 hectares). La faune de la vallée des Baux reste d’un grand intérêt, avec plus de 220 espèces d’oiseaux, 64 de papillons de jour, 47 de libellules et 17 de chauves-souris recensées. Elle accueille entre autres l’une des plus fortes densités de Rolliers d’Europe de France, la Talève sultane s’y reproduit, le Butor étoilé y a de nouveau été entendu au printemps 2024, et de nombreux passereaux font une halte en automne dans les roselières.
L’association de protection de la nature A Rocha France mène depuis les années 1990 des actions d’étude, de protection et de restauration dans les marais des Baux : remise en eau d’anciens marais, conversion de cultures de céréales en prairies pâturées, plantation de haies, suivis des populations d’oiseaux et d’insectes, sensibilisation du public et des acteurs locaux via des sorties nature guidées et des évènements ponctuels, etc.
Après une présentation générale des marais de la vallée des Baux, nous vous proposons une interview de Thimothée Schwarz, le directeur scientifique d’A Rocha France pour ce site, qui a répondu à nos questions sur les actions de son association et sur l’intérêt ornithologique de la zone.
Abstract
The vallée des Baux (Bouches-du-Rhône) is located between the Alpilles limestone massif and the Crau plain, within the Alpilles Regional Natural Park. It is a vast basin of nearly 2,000 hectares, once largely occupied by marshes fed by karst soil resurgences, rainwater flowing from the southern slopes of the Alpilles, and the Crau water table.
Drainage works, mainly carried out during the 19th century, were aimed at combating the proliferation of mosquitoes and creating new agricultural land. Today, a few interesting wetlands still remain, the main one being the Ilon Marsh (175 hectares). The fauna of the vallée des Baux remains of great interest, with more than 220 bird species, 64 butterflies, 47 dragonflies, and 17 bats recorded. Among other things, it is home to one of the highest densities of European Rollers in France; the Purple Swamphen breeds there; the Eurasian Bittern was heard again in spring 2024; and numerous passerines stop off in the reed beds in autumn.
The A Rocha France nature conservation association has been carrying out research, protection, and restoration projects in the Baux marshes since the 1990s: reflooding former marshes, converting cereal crops into grazed meadows, planting hedges, monitoring bird and insect populations, raising awareness among the public and local stakeholders through guided nature outings and one-off events, etc.
After a general presentation of the marshes of the vallée des Baux, we offer you an interview with Thimothée Schwarz, the scientific director of A Rocha France for this site, who answered our questions on the actions of his association and on the ornithological interest of the area.
Les marais des Baux, une ancienne vaste zone humide en grande partie drainée mais encore d’un grand intérêt
Situation de la vallée des Baux (Bouches-du-Rhône). |
La vallée des Baux occupe une dépression de près de 2 000 hectares délimitée au nord par la chaîne des Costières, dans le massif des Alpilles, et les collines calcaires de Chambremont et de Santa Fé, qui bordent la plaine de la Crau (lire Les populations hivernantes d’Outardes canepetières et de Gangas catas dans la Crau). Elle était occupée jusqu’au XIXe siècle par des marais qui couvraient une surface totale de 1 825 hectares et dont les eaux s’écoulaient vers l’étang de Barbegal, plus à l’ouest. Pour lutter contre le paludisme, les inondations liées aux crues du Rhône et gagner des terres agricoles, des travaux de drainage ont débuté au XVIIe siècle, avec le creusement de canaux sous la direction de l’ingénieur hollandais Jean Van Ens, mais ils ont pris une ampleur particulière au cours du XIXe siècle, avec la réalisation de nouveaux ouvrages, et notamment la construction du canal d’Arles à Bouc en 1854. Il ne reste aujourd’hui que quelques marais relictuels, principalement ceux de l’Ilon (175 hectares classés en réserve naturelle), de Beauchamp, du Petit Clar, de l’Étroit et de Santa Fé (ou des Quatre Platanes) (plusieurs dizaines d’hectares), alimentés par les eaux de pluie et localement par des résurgences de la nappe de Crau. En février 2007, les anciens marais des Baux ont été incorporés dans le parc naturel régional des Alpilles.
Du fait de leur situation géographique, à l’interface entre les Alpilles, la Crau et la vallée du Rhône (à l’ouest), et de la diversité des habitats (phragmitaies, marais à marisques, étangs dont celui de la Gravière, qui couvre plus de 100 hectares, ripisylves, chênaies, oliveraies, canaux, pelouses sèches, sansouires, prairies fauchées, etc.), les marais de Baux forment un ensemble d’un grand intérêt floristique et faunistique.
Carte de la vallée des Baux (Bouches-du-Rhône) et emplacements des principaux marais relictuels. |
On y trouve des espèces végétales d’intérêt patrimonial ou rares dans la région méditerranéenne, comme la Fougère des marais (Thelypteris palustris), le Séneçon des marais (Jacobaea paludosa), la Gentiane des marais (Gentiana pneumonanthe), l’Orchis des marais (Anacamptis palustris), la Vallisnérie spiralée (Vallisneria spiralis) ou le Nénuphar jaune (Nuphar lutea).
La présence de plusieurs invertébrés remarquables inféodés aux biotopes humides mérite particulièrement d’être soulignée, comme la Dolomède des marais (Dolomedes plantarius), une grande araignée très rare et en régression, présente le long du canal de la vallée des Baux, la Cordulie à corps fin (Oxygastra curtisii), l’Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale), le Sympétrum à corps déprimé (Sympetrum depressiusculum) et le Gomphe de Graslin (Gomphus graslini), quatre odonates peu communs, la Decticelle des ruisseaux (Roeseliana azami), un orthoptère strictement méditerranéen, et la Diane (Zerynthia polyxena), un papillon protégé en Europe, dont la chenille se nourrit des feuilles de l’Aristoloche à feuilles rondes (Aristolochia rotunda), le plus souvent en lisière de ripisylve.
Parmi les amphibiens et reptiles recensés, citons la Cistude d’Europe (Emys orbicularis), le Lézard ocellé (Timon lepidus) et les Couleuvres de Montpellier (Malpolon monspessulanus) et à échelons (Zamenis scalaris).
Le Castor d’Europe (Castor fiber) et le Campagnol amphibie (Arvicola sapidus) sont présents.
Parmi les oiseaux nicheurs, citons entre autres le Crabier chevelu (Ardeola ralloides), le Héron pourpré (Ardea purpurea), le Bihoreau gris (Nycticorax nycticorax), le Héron gardebœufs (Ardea ibis), le Blongios nain (Botaurus minutus), la Talève sultane (Porphyrio porphyrio), le Busard des roseaux (Circus aeruginosus), la Nette rousse (Netta rufina), le Canard chipeau (Mareca streptera), la Cigogne blanche (Ciconia ciconia), la Rousserolle turdoïde (Acrocephalus arundinaceus), la Lusciniole à moustaches (A. melanopogon), la Locustelle luscinioïde (Locustella luscinioides), la Rémiz penduline (Remiz pendulinus), le Guêpier d’Europe (Merops apiaster) et le Rollier d’Europe (Coracius garrulus) (forte densité favorisée par la pose de nichoirs). Les migrateurs et les hivernants augmentent encore la diversité ornithologique de la vallée des Baux.
L’association A Rocha France est fortement impliquée dans la protection des marais des Baux
Débroussaillage dans les marais de Baux (Bouches-du-Rhône). |
Depuis les années 1990, l’association A Rocha France, dont les locaux sont situés dans le mas Mireille (3000 Chemin de Barbegal À l’Ilon – 13280 Raphèle-les-Arles), mène des études scientifiques et des actions de conservation dans les marais des Baux : inventaires, suivis de populations d’oiseaux et d’insectes et partage des données collectées avec des partenaires scientifiques et locaux, restauration d’habitats, contribution à la gestion de la Réserve Naturelle Régionale de l’Ilon, aide à la gestion de zones humides dans des terrains privés, entretien d’un réseau de nichoirs à Rolliers d’Europe, plantation de haies, organisation d’ateliers, conférences, visites pédagogiques, etc.
Interview de Timothée Schwartz, directeur scientifique d’Ar Rocha France pour la vallée des baux
1 – La vallée des Baux est une vaste cuvette de près de 2 000 hectares aujourd’hui majoritairement drainée et occupée par de grandes cultures, à l’exception de 300 hectares de marais relictuels : pourquoi l’association A Rocha s’intéresse-t-elle particulièrement à la conservation de cette vallée depuis les années 1990 ?
Timothée Schwartz : dans les années 90, les zones humides de la vallée des Baux étaient largement tombées dans l’oubli des défenseurs de la nature et ne bénéficiaient d’aucun statut de protection ni d’aucun suivi de la biodiversité. Seuls subsistaient quelques marais, dont celui de l’Ilon, préservé par ses propriétaires du drainage et de l’agriculture.
Roselière dans le marais de l’Ilon (Bouches-du-Rhône), dans la vallée des Baux (Bouches-du-Rhône). |
Les premiers naturalistes d’A Rocha ont fait la découverte de ce marais par le bouche-à-oreille, car ils cherchaient à développer un projet de conservation de la nature en France, et donc une zone encore vierge de programmes scientifiques et de protection de la nature. La rencontre avec les propriétaires du marais de l’Ilon et la découverte de son incroyable biodiversité les ont convaincus de s’y implanter.
2 – La nappe phréatique de la Crau constitue-t-elle la principale source de l’alimentation des marais de la vallée des Baux ?
Timothée Schwartz : d’après les connaissances actuelles, ces marais seraient alimentés principalement par les eaux de pluie (bassin versant sud du massif des Alpilles). Les résurgences de la nappe de Crau y sont relativement réduites par rapport à d’autres marais de la Crau, mais elles assurent une alimentation en eau oligotrophe qui permet la présence de milieux humides originaux pour la région (puits naturels ou laurons, marais à marisque et eaux courantes).
3 – Les marais de la vallée des Baux sont-ils encore en communication avec le Rhône ? En 2003, le fleuve avait inondé une grande partie de la vallée : était-ce exceptionnel ? Des enseignements ont-ils été tirés de cet événement ?
Timothée Schwartz : ces inondations de 2003 étaient tout à fait exceptionnelles. Les marais des Baux constituent effectivement un champ naturel d’expansion des crues du Rhône, mais l’endiguement du fleuve autour d’Arles et en amont a très fortement limité les risques de crues et donc leur fréquence : ils ne sont donc plus en communication directe avec le Rhône. Cet évènement a rappelé à tous l’existence de ces marais, dont près de 90 % ont été mis en culture, et leur rôle primordial en cas de crue. Leur fonction écologique a été mise en avant et ils ont été intégrés dans le parc naturel régional des Alpilles. Les suivis menés par l’association A Rocha ont montré que ces marais avaient pu stocker l’eau des crues pendant plus de six mois, réduisant d’autant les impacts sur les zones habitées.
4 – Une grande partie des marais de la vallée des Baux a été asséchée : ne reste-t-il aujourd’hui que le marais de l’Ilon ? Quels travaux de restauration avez-vous déjà menés (techniques utilisées, travaux réalisés, surfaces concernées, etc.) ?
Vue du marais de l’Ilon (Bouches-du-Rhône). |
Timothée Schwartz : il reste d’autres marais que celui de l’Ilon, comme ceux de l’Étroit et de Santa Fé (ou des Quatre Platanes), qui couvrent quelques dizaines d’hectares au total. En outre, une trentaine d’hectares ont été remis en eau suites aux inondations de 2003 par un propriétaire privé. Suite à cet événement, nous avons accompagné plusieurs propriétaires afin de les aider à changer leurs pratiques et à adapter leurs terres aux épisodes de mise en eau. En particulier, plusieurs centaines d’hectares de céréales ont été convertis en prairies pâturées. Les surfaces de ripisylves ont également augmenté, et certains céréaliculteurs ont créé des bandes enherbées autour de leurs parcelles. Quelques haies ont également pu être plantées.
5 – Sur votre site web A Rocha France, vous avez indiqué que vous souhaitiez lancer en 2025 un projet exceptionnel de restauration d’une ancienne tourbière dégradée sur près de 100 hectares dans les marais des Baux : pouvez-vous nous en dire plus ?
Timothée Schwartz : effectivement, nous accompagnons avec plusieurs partenaires (parc naturel des Alpilles, Conservatoire d’espaces naturels de Provence-Alpes-Côte d’Azur et domaine de la Tour du Valat), un propriétaire privé, dans l’objectif de restaurer près de 100 hectares de marais sur sa propriété. Il s’agit d’une ancienne tourbière (marais à marisques) qui a été poldérisée et drainée depuis au moins 80 ans. Cette démarche est à son initiative, mais nous l’avions déjà accompagné par le passé pour transformer ses modes de cultures des céréales vers le pâturage : il s’agit donc d’une nouvelle étape pour lui. Sa motivation, en plus des bienfaits pour la biodiversité, est également de restaurer un puits de carbone et donc de contribuer à la lutte contre le changement climatique. Nous démarrons actuellement des études afin d’établir un état des lieux de la propriété et de proposer différents scénarios de restauration.
6 – La vallée des Baux fait partie du parc naturel régional des Alpilles : travaillez-vous avec le parc pour mener vos actions ? Finance-t-il une partie de vos actions ?
Vue générale du marais de l’Ilon, dans la vallée des Baux, avec à l’arrière-plan la chaîne des Alpilles (Bouches-du-Rhône). |
Timothée Schwartz : le parc naturel régional des Alpilles est en effet l’un de nos principaux partenaires sur le territoire. Nous travaillons ensemble sur plusieurs projets, au sein desquels nous apportons notre expertise scientifique, naturaliste et technique. Nous bénéficions effectivement de certains financements, comme ceux de Natura 2000, qui soutiennent nos actions en faveur du Rollier d’Europe.
7 – Vous vous êtes mobilisé récemment contre un projet de ligne à très haute tension menaçant la vallée des Baux, et celle-ci semble désormais épargnée, mais il semble qu’il soit toujours d’actualité et qu’il risque de détruire des milieux naturels rares en Camargue et dans la plaine de la Crau : pouvez-vous nous en dire plus ?
Timothée Schwartz : ce projet vise à alimenter le GPMM (Grand Port Maritime de Marseille ou de Marseille-Fos) en électricité afin de le décarboner : un noble projet semble-t-il, sauf que l’objectif est non seulement de couvrir les besoins en énergie actuelle du port, mais aussi d’anticiper le développement de celui-ci et de permettre de doubler potentiellement l’énergie consommée, ce qui suppose d’apporter au seul port de Marseille autant d’électricité qu’à toute la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ! La construction d’une ligne à Très Haute Tension est donc nécessaire, et pour sécuriser l’approvisionnement, il n’est pas question d’utiliser les infrastructures existantes : il faut en construire une nouvelle. Quoi de mieux que les vastes espaces libres et peu habités de la Camargue et de la Crau pour cela ? Sauf que ce sont des espaces riches en biodiversité et protégés, que les lignes sont autant de risques de collisions supplémentaires pour les très nombreux oiseaux qui nichent ou font halte dans les marais de la région et qu’elles peuvent avoir des conséquences sur les déplacements des chiroptères et d’autres animaux par le champ électromagnétique induit (lire Un éclairage ultraviolet pourrait diminuer les collisions des oiseaux avec les lignes électriques), sans compter leur impact esthétique. Un collectif d’associations, soutenu par les élus, se bat donc pour faire enterrer cette ligne ou pour trouver des solutions alternatives. Toutefois, les coûts induits par toute alternative seraient trop importants pour EDF, et malgré la concertation publique en cours, il est fort peu probable que l’État et la société publique changent leur point de vue, aux dépends encore une fois de la biodiversité et des populations locales. Effectivement, les Alpilles et les marais des Baux semblent épargnés à ce stade, mais toute la biodiversité locale pâtirait de ce projet, et nous nous attendons donc à ce que les impacts se fassent sentir jusque dans la vallée.
8 – Outre les travaux de restauration, vous avez planté des haies dans la vallée des baux : quelles espèces d’arbres et d’arbustes avez-vous choisies ? Combien de km de haies avez-vous déjà plantés ? Travaillez-vous avec les agriculteurs ?
Timothée Schwartz : nous avons planté plus de 6 km de haies dans le massif des Alpilles et dans les marais des Baux au cours des dernières années. Les essences utilisées sont toutes locales et nous les adaptons aux conditions de site : peupliers blancs, saules, frênes, sureaux et cornouillers dans les terres humides, et amandiers, filaires, pistachiers et chênes verts dans les zones sèches. Chaque projet est bien entendu conçu avec le propriétaire et / ou l’agriculteur sur place, afin d’en assurer la viabilité. Nous avons travaillé en partenariat avec le parc naturel régional des Alpilles dans la grande majorité des cas.
9 – Vous menez aussi des actions en faveur des insectes, comme la fauche en 2024 d’un hectare pour favoriser l’Aristoloche à feuilles rondes, la plante-hôte d’un papillon rare, la Diane : la vallée des Baux accueille-t-elle encore une belle population ? Les actions de fauche ont-elles déjà eu des résultats ? La fauche d’autres parcelles est-elle prévue dans la vallée des Baux ?
Diane ou Thaïs (Zerynthia polyxena) dans la vallée des Baux (Bouches-du-Rhône). |
Timothée Schwartz : effectivement nous travaillons sur l’ensemble de la biodiversité locale, dont des insectes, comme les papillons, les odonates, les orthoptères, etc. Concernant la Diane, nous avons mis en place une fauche tardive dans deux propriétés privées depuis plus de dix ans. Les résultats sont spectaculaires : nous avons désormais sur ces sites de véritables « champs » d’aristoloches, la plante-hôte de ce lépidoptère. Cela favorise bien évidemment ses populations, qui dépassent parfois les 150 individus dans une seule prairie d’après nos estimations. Pour le moment nous n’avons pas identifié d’autres sites où mener cette action localement, mais cela serait tout à fait envisageable dans un avenir proche.
10 – La vallée des Baux est peu connue des observateurs, et pourtant plus de 200 espèces d’oiseaux y ont déjà été recensées : pour quelle raison est-elle si peu connue ?
Timothée Schwartz : ce site est méconnu, car il est composé essentiellement de propriétés privées, et il est entouré d’espaces naturels plus accessibles et bien connus du grand public et des naturalistes , comme les Alpilles, la Crau et la Camargue. Cette discrétion a aussi des avantages, car elle réduit la pression touristique et les impacts induits sur la biodiversité, notamment en termes de dérangement et de risque d’incendie.
11 – La vallée des Baux accueille une forte densité de Rolliers d’Europe, et vous avez posé de nombreux nichoirs pour favoriser cette espèce : vous avez indiqué sur votre site web qu’en 2024, un nombre record de Rolliers d’Europe avait été observé : quelle est la taille de cette population ? Est-elle en croissance ?
Rollier d’Europe (Coracias garrulus) nicheur dans la vallée des Baux (Bouches-du-Rhône). |
Timothée Schwartz : dans la vallée des Baux, la population de Rolliers d’Europe est l’une des plus denses d’Europe, avec environ 50 couples sur 2 000 hectares, ce qui est remarquable. Environ la moitié d’entre eux utilise les nichoirs que nous avons installés, le reste nichant dans d’anciennes cavités creusées par les Pics verts (Picus viridis). Cette population est en croissance, non seulement dans la vallée des Baux, où elle continue à augmenter depuis plusieurs années, mais aussi plus largement en Provence, où elle se développe fortement au nord des Alpilles, dans le Vaucluse et jusque dans le sud de la Drôme (lire La croissance de la population française de rolliers, une exception en Europe). Toutefois, l’espèce est en régression presque partout ailleurs, notamment en Asie et sur ses sites d’hivernage en Afrique.
12- La Talève sultane est-elle une nicheuse récente dans le marais de l’Ilon ?
Timothée Schwartz : oui et a priori depuis plus de 15 ans ! Cependant, cette population est passée d’une présence sporadique à permanente, avec l’observation possible quotidienne de plusieurs individus dans le seul marais de l’Ilon. Nous avons constaté une période de reproduction très étonnante pour cette espèce : en 2024, nous avons en effet observé des poussins tout juste sortis du nid au mois d’octobre !
13 – Outre la Talève sultane, quelles sont les espèces d’oiseaux nicheuses remarquables du marais de l’Ilon ?
Timothée Schwartz : citons entre autres le Héron pourpré, le Bihoreau gris, le Crabier chevelu, le Héron gardebœufs, le Blongios nain, le Busard des roseaux et la Lusciniole à moustaches. La Locustelle luscinioïde niche de nouveau depuis trois ans dans la vallée des baux, après une absence de plus de 20 ans !
14 – Sur votre site web, vous avez annoncé le retour du Butor étoilé (Botaurus stellaris) dans la vallée des Baux : combien de chanteurs ont été entendus ? Avez-vous des preuves de nidification ? Vos travaux de restauration ont-ils contribué à ce retour ?
Butor étoilé (Botaurus stellaris) dans le marais de l’Ilon, dans la vallée des Baux (Bouches-du-Rhône). |
Timothée Schwartz : en 2024, nous avons entendu de un à deux chanteurs dans le marais de l’Ilon pendant tout le printemps. En outre, des individus y ont été observés durant toute l’année. Ces observations suggèrent très fortement une reproduction, ou au moins une tentative de nidification. Depuis quelques années, nous travaillons à la restauration de la roselière du marais de l’Ilon avec son propriétaire : nous l’avons ainsi protégée en grande partie du pâturage, avec l’accord du propriétaire, sa manade (troupeau libre de taureaux, de vaches ou de chevaux) ayant parfois accès à une partie du marais. Ceci a permis d’étendre la superficie de la phragmitaie ce qui a probablement contribué au retour du Butor étoilé.
15 – L’Aigle de Bonelli (Aquila fasciata), le Vautour percnoptère (Neophron percnopterus) et le Circaète Jean-le-Blanc (Circaetus gallicus), qui nichent dans les Alpilles voisines, sont-ils régulièrement vus dans la vallée des Baux ? Il y a-t-il des secteurs particulièrement favorables pour les observer ?
Timothée Schwartz : ce sont effectivement des visiteurs quasi quotidiens dans la vallée des Baux, notamment à proximité de la costière de Crau, qui crée des ascendances thermiques très favorables aux rapaces. Le circaète est lui-même nicheur dans la vallée !
16 – Un important dortoir d’hirondelles se forme à la fin de l’été dans les roselières du marais de l’Ilon : quelle est la taille de ce dortoir ? S’agit-il d’Hirondelles rustiques (Hirundo rustica) seulement ? D’autres espèces les rejoignent-elles ?
Rassemblement d’Hirondelles rustiques (Hirundo rustica) dans la roselière du marais de l’Ilon, dans la vallée des Baux (Bouches-du-Rhône). |
Timothée Schwartz : le marais de l’Ilon accueille en effet chaque année un dortoir très important d’hirondelles, composé de 95 % d’Hirondelles rustiques et d’environ 5 % d’Hirondelles de rivage (Riparia riparia). Il peut atteindre certains soirs plus de 100 000 individus d’après nos estimations. Il s’agit donc d’un rassemblement très spectaculaire !
17 – Effectuez-vous un suivi de la migration ? Avez-vous installé un camp de baguage ? Si oui, depuis quand ? En octobre 2024, plusieurs Pouillots à grands sourcils (Phylloscopus inornatus) ont été notés : auriez-vous d’autres résultats intéressants de cette activité de suivi de la migration ?
Timothée Schwartz : nous suivons la migration chaque année via plusieurs protocoles de baguage. Une activité hebdomadaire dans les marais, qui nous permet de suivre l’arrivée et le départ des passereaux migrateurs de la fin août à la fin novembre, et un protocole spécifique de suivi des hirondelles au dortoir, qui nous aide à connaître la provenance (et parfois la destination) des oiseaux qui se rassemblent dans les roselières. Nous baguons plusieurs milliers d’oiseaux chaque année, en grande majorité des Hirondelles rustiques.
18 – La vallée des Baux accueille près de 50 espèces d’odonates, et vous avez indiqué sur votre site web la réapparition en 2024 du Leste fiancé (Lestes sponsa) dans le marais de l’Ilon : était-ce une surprise ? Est-ce lié à un meilleur état de l’habitat ou simplement à des recherches plus poussées ?
Timothée Schwartz : les marais des Baux accueillent en effet une diversité exceptionnelle d’odonates, dont l’une des seules populations de Gomphes de Graslin de la région Provence Alpes-Côte d’Azur. On peut y observer environ la moitié des espèces françaises de ces invertébrés. Le retour du Leste fiancé était une véritable surprise, mais il semble qu’elle soit liée à un ensemble de conditions favorables : de bonnes précipitations au printemps et un pâturage moins intensif, qui ont permis à son habitat de prédilection, la scirpaie, de se développer. L’espèce est également bien présente en 2025.
19 – Pourriez-vous nous conseiller de bons sites d’observation des oiseaux dans la vallée des Baux ? La réserve du marais de l’Ilon est-il le seul site intéressant pour observer actuellement les oiseaux paludicoles ? Pour y observer les oiseaux, faut-il suivre le chemin communal de 3 km qui le borde et qui débute au parking de l’Ilon, sur la D27, entre Caphan et Maussane-les-Alpilles ?
Vue du canal de la vallée des Baux (Bouches-du-Rhône). |
Timothée Schwartz : en dehors de la réserve naturelle régionale de l’Ilon, les abords du canal de la vallée des Baux, la totalité du chemin de l’Ilon, depuis la réserve jusqu’à la route de Saint-Martin de Crau, ainsi que les Tours de Castillon au Paradou qui permettent d’avoir un magnifique point de vue sur la vallée et les Alpilles, sont de bons sites. La meunerie romaine de Fontvieille constitue également un site d’observation intéressant, quoique très fréquenté.
20 – L’association A Rocha est basée dans le mas Mireille : peut-on visiter vos locaux ? Organisez-vous des sorties guidées ?
Timothée Schwartz : nous organisons des visites guidées sur demande et des balades nature thématiques (rollier, odonates, hirondelles, etc.) avec le soutien du parc naturel régional des Alpilles. Nous n’avons pas de service d’accueil, mais nous accueillons volontiers les visiteurs, sur rendez-vous, en particulier celles et ceux qui souhaitent nous accompagner sur le terrain !
Une vidéo de présentation des actions de l’association A Rocha en faveur des marais des Baux
Les actions de l’association A Rocha dans les marais des Baux (Bouches-du-Rhône).
Source : A Rocha France
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Compléments
Sites web utiles
- Le site web de l’association A Rocha France : france.arocha.org
- Le site web du parc naturel régional des Alpilles : www.parc-alpilles.fr
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- Le guide Ornitho Killian Mullarney
Sources
- CEN PACA. le marais de Beauchamp, un site naturel original entre Camargue et Crau. cen-paca.org
- INPN-MNHN. ZNIEFF Marais de Beauchamp et du Petit Clar – Étang de la Gravière. inpn.mnhn.fr
- Parc naturel régional de Camargue. Site Natura 2000 – Trois Marais – Les marais de la vallée des Baux. www.parc-camargue.fr




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