Le Fuligule à tête noire ou Petit Fuligule (Aythya affinis)

Fuligule à tête noire (Aythya affinis) mâle adulte

Fuligule à tête noire (Aythya affinis) mâle adulte. Notez (1) le bec gris-bleu assez court, (2) la tête conique, (3) le dessus densément vermiculé et (4) les flancs grisâtres.
Photographie : Ómar Runólfsson / Wikimedia Commons

Longueur : 38 – 45 cm.

Envergure : 66 – 74 cm.

Description : canard plongeur nord-américain ressemblant au Fuligule milouinan (Aythya marila), mais il est plus petit : cette différence de taille est visible dans les troupes mixtes de fuligules. L’iris est jaune chez l’adulte, brun clair chez le juvénile.
Son bec est gris-bleu avec une extrémité noire très réduite, encore plus que celle du Fuligule milouinan. Sa calotte présente une sorte de pointe à l’arrière de la tête : attention toutefois, cette forme peut varier en fonction de la posture et de l’excitation, et une observation prolongée est conseillée si cela est possible. Ses joues semblent aussi plus « gonflées ».
La barre alaire est blanche au niveau des rémiges secondaires et grise sur les rémiges primaires, la limite entre les deux étant nette : elle semble ainsi bicolore. Il n’y a pas de blanc sur les rémiges primaires, contrairement aux Fuligules morillon et milouinan. Toutefois, il existe un certain chevauchement entre les espèces et en fonction de l’âge et du sexe, les mâles ayant plus de blanc que les femelles.
Le mâle adulte en plumage nuptial (souvent largement acquis au cours du premier hiver) a la tête noire avec des reflets verdâtres ou violets en fonction de l’éclairage (il ne constitue donc pas un critère utile), avec une poitrine et un arrière du corps noirs, et un manteau gris densément vermiculé de sombre, surtout à l’arrière, et paraissant ainsi plus sombre que le dos du Fuligule milouinan.
De subtiles « vagues » grises sont visibles sur les flancs blancs, qui sont donc moins pâles que ceux du Fuligule milouinan.
Le mâle en plumage d’éclipse a la tête et la poitrine brun sombre, avec peu ou pas de blanc à la base du bec et des vermiculations grises sur les ailes et le dos.

Fuligule à tête noire (Aythya affinis) femelle adulte

Fuligule à tête noire (Aythya affinis) femelle, Anahuac National Wildlife Refuge, Chambers County (Texas), États-Unis, le 26 décembre 2016. Notez (1) le bec assez court, (2) l’étendue du blanc à la base du bec inférieure à celle du Fuligule milouinan, (3) la tête « pointue », (4) la tête paraissant sombre et (5) les flancs contrastant peu avec le dessus. 
Photographie : Colette Micaleff

La femelle adulte ressemble à celle du Fuligule milouinan, mais son dos est plus pâle, davantage mêlé de gris, et sa tête semble ainsi plus sombre. Il y a peu de contraste entre le dos et les flancs. La zone blanche autour de la base du bec est moins étendue que celle de la femelle du Fuligule milouinan et plus grande que celle de la femelle du Fuligule morillon.
Le juvénile ressemble à la femelle, mais il est plus terne et présente moins de blanc à la base du bec.

Habitats : marais et berges des plans d’eau durant la période de nidification, et plans d’eau variés en migration et en hiver.

Aire de répartition : il niche en Alaska, au Canada et dans le nord-ouest des États-Unis et il migre en hiver dans le sud-ouest et dans le sud de l’Amérique du Nord, en Amérique centrale, aux Antilles et dans le nord de l’Amérique du Sud (Colombie et Venezuela). Des oiseaux isolés ou de petits groupes ont atteint l’Europe de l’Ouest (voir plus bas), les archipels d’Hawaï et des Mariannes dans l’océan Pacifique, le Japon, l’Équateur, etc.

Une espèce nord-américaine encore nombreuse, mais en déclin depuis les années 1980

L’aire de reproduction principale du Fuligule à tête noire se situe dans la taïga du nord-ouest du Canada et de l’Alaska, dans la zone de transition entre les forêts boréales et de feuillus dans le centre-ouest du Canada, et dans les prairies du nord-ouest de l’Amérique du Nord.
Au début des années 1980, sa population était estimée à environ sept millions d’individus et son aire de répartition était alors en expansion au Canada, notamment en Ontario et au Québec. Cette situation s’est nettement dégradée depuis, et la tendance ne semble pas s’inverser : il y aurait actuellement moins de quatre millions d’oiseaux, même si les recensements ne sont pas faciles à réaliser du fait de l’étendue de son aire de répartition. Par ailleurs, sa ressemblance en vol avec le Fuligule milouinan complique les comptages aériens. Ce déclin est particulièrement sévère dans la forêt boréale dans les Territoires du Nord-Ouest (Canada), où le nombre de couples baisse annuellement de plus de 2 % par an depuis les années 1980. 

Yukon Flats (Alaska)

Aperçu de l’habitat de nidification du Fuligule à tête noire (Aythya affinis) dans les Yukon Flats  en Alaska (États-Unis) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Laura Kennedy (U.S. Fish and Wildlife Service) / Wikimedia Commons

Néanmoins, cette tendance n’est pas uniforme : près de Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, le nombre de couples et la taille des couvées ont progressé respectivement de 4,3 et 6,5 % entre 2001 et 2011, et la population semble être stable en Alaska, à l’exception notable des Yukon Flats, une vaste zone humide de 30 000 km² située à la confluence du fleuve Yukon et des rivières Porcupine et Chandalar, où elle décline depuis des dizaines d’années.
La situation globale du Fuligule à tête noire est ainsi devenue une source de préoccupation pour les biologistes et les chasseurs. Plusieurs facteurs ne s’excluant pas mutuellement et interagissant même probablement entre eux ont été identifiés :

  • une contamination aux métaux lourds des plans d’eau, des fleuves et des rivières.
  • Une diminution de la quantité et de la qualité des ressources alimentaires au printemps, affaiblissant la condition physique des femelles et donc le succès de reproduction. Une étude menée dans les Yukon Flats (Alaska) a montré une baisse de la densité des amphipodes (petits crustacés) qui pourrait avoir un impact négatif sur la croissance des canetons. 
  • Une dégradation des habitats de nidification à cause du changement climatique, qui provoque des incendies géants et un assèchement des zones humides, mais aussi des inondations printanières à cause de la fonte des glaces. 
  • Une prédation accrue pendant la saison de reproduction suite à la progression de certains mammifères vers le Nord, comme le Renard roux (Vulpes vulpes).
  • Une hausse de la charge parasitaire liée au réchauffement des régions arctiques.
  • Des prélèvements (chasse) par l’Homme qui n’ont pas forcément suivi la courbe de l’évolution des effectifs. 

De nouvelles études doivent être menées, notamment pour évaluer les taux de survie annuels et saisonniers des nicheurs, les différences du succès de reproduction selon les régions et les relations entre les zones de reproduction, de migration et d’hivernage. 

Une augmentation des observations en Europe de l’Ouest depuis une vingtaine d’années au moins

Fuligules à tête noire (Aythya affinis) mâles

Fuligules à tête noire (Aythya affinis) mâles dans la station de lagunage des Tanguières à Bréhal (Manche) le 27 février 2024 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Michel Leroux

Le Fuligule à tête noire est un visiteur rare, mais régulier en Europe de l’Ouest, dont les effectifs varient grandement d’une année sur l’autre, mais dont le nombre semble en progression depuis une vingtaine d’années au moins. 
C’est la Grande-Bretagne qui compte le plus de données, avec plus de 150 homologuées depuis 1987, principalement entre décembre et mars. Après un pic de 25 oiseaux atteint en 2007, le Fuligule à tête noire avait même été retiré de la liste des espèces soumise à homologation en 2015, avant d’y être remis en 2020 après une baisse des observations durant les années 2010 (66 oiseaux seulement en dix ans). Toutefois, le pays a connu un « afflux » de plus de 15 oiseaux en novembre 2021, et un groupe record de douze individus a même été trouvé le 28 octobre 2023 sur le réservoir Drif, en Cornouailles.
En France, plus de 50 observations ont été homologuées depuis 1993, dont 31 après 2007, la période d’observation s’étalant du 11 octobre au 21 avril. Comme en Grande-Bretagne, des afflux ont été notés en 2007 et en 2021. Les départements de l’Ouest concentrent la majorité des données (voir une sélection d’observations récentes en France), mais des oiseaux ont également déjà été vus loin à l’intérieur des terres : citons par exemple un mâle découvert en mars 2015 sur un étang de la Dombes (Ain) (lire Eric Bureau, vétérinaire du Parc des Oiseaux de Villars-les-Dombes, répond à nos questions), certainement revu en mars 2018 au moins, ou encore un mâle qui visite depuis plusieurs années le barrage de Kembs sur le Rhin (Haut-Rhin) (lire Où observer les oiseaux en hiver dans la vallée française du Rhin ?).
En janvier et en février 2024, de petits groupes ont été notés en Bretagne et en Normandie (même si l’on ne peut exclure que certains d’entre eux ne se déplacent pas d’un endroit à un autre) : citons par exemple six oiseaux sur l’étang de Nérizelec (Finistère), trois dans les marais de Kersahu à Gâvres (Morbihan), trois sur l’étang de Saint Jean à Locoal-Mendon (Morbihan), trois sur la station de lagunage des Tanguières à Bréhal (Manche), ou encore trois sur les étangs de Lespoul à Pont-Croix (Finistère). Un mâle découvert en mars 2021 sur l’étang de Saint-Quentin-en-Yvelines (Yvelines) a été revu en 2022, en 2023 et 2024, attirant de nombreux observateurs franciliens.  
Dans les autres pays d’Europe de l’Ouest, le nombre de données a également progressé depuis une vingtaine d’années au moins : c’est le cas notamment en Irlande, en Espagne et au Portugal. L’espèce a été vue dans de nombreux pays du continent (Allemagne, Danemark, Norvège, Pays-Bas, Suède, Suisse, etc.) (source : Tarsiger), mais aussi au Maroc et logiquement, étant noté leur situation géographique, en Islande et sur les différents archipels de l’Atlantique Nord : Canaries, Açores (lire Observer les oiseaux sur l’île de Corvo), Féroé (lire Observer les oiseaux sur les îles Féroé, un archipel isolé dans l’Atlantique Nord), etc. 

Une meilleure connaissance des critères d’identification et des dépressions plus puissantes

Fuligules à tête noire (Aythya affinis) mâles et femelle et Fuligule milouinan (A. marila) femelle

Fuligules à tête noire (Aythya affinis) mâles et femelle et Fuligule milouinan (A. marila) femelle (à droite) dans la station de lagunage des Tanguières à Bréhal (Manche) le 27 février 2024 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Michel Leroux

L’une des explications possibles de l’augmentation des observations de Fuligules à tête noire en Europe est le développement du nombre d’amateurs et leurs meilleures connaissances des critères d’identification, même si ce sont le plus souvent des mâles adultes qui sont signalés, car ils sont plus faciles à distinguer des Fuligules milouinan et morillon (Aythya fuligula) que les juvéniles et les femelles (lire Comment distinguer les Fuligules morillon, milouinan et à tête noire ?).
La plupart des observations sont faites en automne et en hiver, après la période des dépressions sur l’Atlantique Nord, qui favorisent les arrivées d’oiseaux nord-américains accidentels sur notre continent (lire Comment arrivent les oiseaux rares ?) : or le changement climatique, en réchauffant la température des mers et des océans, contribue à renforcer l’énergie des cyclones et des ouragans et donc des vents qui les accompagnent.

Une possible voie de migration en formation entre l’Amérique du Nord et l’Europe ?

Dans un article publié en 2010 dans la revue Ardeola, Eduardo De Juana et Ernest F. J. Garcia ont émis une autre hypothèse concernant les observations de canards nord-américains en Europe de l’Ouest en étudiant les exemples des Sarcelles à ailes vertes (Anas carolinensis) et à ailes bleues (Spatula discors), dont le nombre de données sur notre continent est indépendant de la prévalence des vents d’Ouest résultant des variations de l’oscillation nord-atlantique, un indice basé sur la différence de pression atmosphérique entre les Açores et l’Islande et pour lequel une relation avec le nombre de limicoles et de passereaux néarctiques vus en Europe a été démontrée en France, en Grande-Bretagne et en Irlande.
En outre, contrairement aux « vraies » espèces accidentelles transatlantiques, les totaux annuels de leurs observations en Europe ne varient pas énormément.
Enfin, un pourcentage significatif de ces sarcelles est noté au printemps, ce qui n’est généralement pas le cas des visiteurs dont les arrivées dépendent principalement des conditions météorologiques automnales au-dessus de l’océan Atlantique, comme le Viréo aux yeux rouges (Vireo olivaceus) ou le Martinet ramoneur (Chaetura pelagica).

Aire de répartition du Fuligule à tête noire (Aythya affinis)

Aire de répartition connue du Fuligule à tête noire (Aythya affinis)(en rouge nidification au printemps, en violet, présence toute l’année et en bleu, présence en hiver) et possible voie de migration (flèches orange) entre l’Amérique du Nord et l’Europe.
Carte : Ornithomedia.com d’après Nature Serve

Pour ces auteurs, ces deux canards ne seraient donc pas de simples « vagabonds », mais des migrateurs réguliers en petit nombre entre l’Amérique du Nord et l’Europe, avec des pics d’observations au printemps et en automne. Au printemps, les oiseaux présents en Europe migreraient vers les régions arctiques pour rejoindre leurs sites de nidification nord-américains en passant par l’Islande et le Groenland, et ils reviendraient en Europe en automne par le trajet inverse. Les canards de surface et plongeurs sont par ailleurs capables de traverser de grandes étendues marines en faisant des haltes à la surface de l’eau. 
Plusieurs cas de reprises dans le Paléarctique occidental (lire Qu’est-ce que le Paléarctique occidental ?) de Sarcelles à ailes vertes et à ailes bleues marquées dans le sud-est du Canada confortent l’hypothèse selon laquelle elles effectueraient une migration régulière entre l’Amérique et l’Europe : après tout, le trajet entre le Canada et l’Irlande est plus court qu’entre ce pays et l’Amérique centrale, où elles hivernent régulièrement. N’oublions pas que l’Oie du Groenland (Anser albifrons flavirostris), dont l’aire de nidification est proche de l’Amérique du Nord, hiverne dans les îles britanniques. 
Selon Eduardo De Juana et Ernest F. J. Garcia, cette hypothèse d’une voie de migration en formation, un phénomène que l’on connaît déjà chez d’autres espèces comme le Pouillot à grands sourcils (Phylloscopus inornatus) (lire Le Pouillot à grands sourcils, un nouveau visiteur hivernal de nos parcs et jardins ?), pourrait s’appliquer au Fuligule à tête noire. 
Un oiseau de premier hiver marqué avec une selle nasale portant le code « VH » dans la réserve naturelle des dunes de São Jacinto (Portugal) le 20 décembre 2013, où il est resté jusqu’au 3 février 2014, avait été retrouvé le 17 octobre 2014 parmi une troupe de 100 Fuligules morillons sur le lac Llangorse, au Pays de Galles (Grande-Bretagne) : cette reprise, la première pour cette espèce en Europe, pourrait confirmer l’existence de mouvements migratoires. On ne sait pas s’il est retourné en Amérique du Nord au printemps suivant ou s’il est resté dans le nord de l’Europe avec les Fuligules morillons. Les fuligules peuvent vivre assez longtemps (plus de 15 ans), ce qui donne l’opportunité de les revoir durant plusieurs saisons.

Une espèce fidèle à ses sites d’hivernage

En Amérique du Nord, le Fuligule à tête noire migre typiquement en petits groupes de 25 à 50 oiseaux. Cette caractéristique, combinée à une grande fidélité à ses sites d’hivernage (des oiseaux sont vus plusieurs hivers de suite dans certains sites européens), pourrait contribuer à augmenter le nombre cumulé d’oiseaux vus chaque année en Europe de l’Ouest, les nouveaux arrivants s’ajoutant à ceux qui reviennent chaque année. 

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