L’Érismature à tête blanche (Oxyura leucocephala) est un petit canard rare à la queue rigide souvent tenue dressée. Le mâle a une tête blanche et une calotte noire plus ou moins étendue, tandis que la femelle et le juvénile ont une bande sombre à travers la joue. Au printemps, le bec du mâle devient bleuté avec une base enflée. Ce canard est globalement menacé, principalement à cause de la destruction des zones humides où il niche, hiverne et/ou stationne en migration, d’épisodes de sécheresse prononcés, de la chasse et de ses conséquences (saturnisme lié à l’ingestion de plombs de chasse). En Europe de l’Ouest, le phénomène d’hybridation avec l’Érismature rousse (O. jamaicensis), une espèce américaine introduite en Grande-Bretagne et qui s’est répandue ensuite dans plusieurs pays, a constitué un problème sérieux au début des années 2000, mais cette menace semble désormais sous contrôle (lire Les hybrides sont-ils fréquents chez les oiseaux ? Le biologiste Jente Ottenburghs nous en dit plus).

L’Érismature à tête blanche niche de façon fragmentée du sud de la péninsule ibérique (lire Augmentation du nombre d’Érismatures à tête blanche espagnoles en 2012 et 2013) à l’Asie centrale et au Moyen-Orient. Les populations occidentales sont sédentaires, effectuant seulement des dispersions saisonnières limitées, alors que la majeure partie des populations orientales est migratrice (lire Près de 20 000 Érismatures à tête blanche comptées en septembre 2016 au Kazakhstan) et hiverne en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient (lire La situation des marais irakiens en 2008). Sa population a connu un fort déclin au cours du XXe siècle : elle avait été estimée à 20 000 oiseaux en 1996, entre 8 000 et 13 000 oiseaux en 2003, et à plus de 16 000 actuellement.

La population orientale de ce canard est importante et encore mal connue (lire La population orientale de l’Érismature à tête blanche semble en augmentation et sous-estimée), ou en tout cas partiellement. Le lac de barrage de Manych-Gudilo, situé en Kalmoukie, dans le sud de la Russie, est par exemple bien suivi et peut accueillir jusqu’à 6 300 individus en automne (lire Un rassemblement de 1 200 Vanneaux sociables dans le sud de la Russie). Une petite partie de ces oiseaux fait une halte dans les zones humides de Crimée, une péninsule du sud de Ukraine annexée depuis 2014 par la Russie (lire La Crimée : des steppes, des lagunes, des montagnes et des oiseaux).

Situation de la Crimée (Ukraine)

Situation de la Crimée (Ukraine), un territoire annexé par la Russie en 2014.
Carte : Ornithomedia.com

Yuriy Vergeles et al (2012) avaient suggéré que l’Érismature à tête blanche pourrait s’y reproduire accidentellement, même si aucune donnée n’avait pu le confirmer. Sur le site web de la Rufford Foundation, ces auteurs avaient annoncé en 2012 qu’une prospection des plans d’eau favorables était programmée dans la péninsule de Kertch et le long de la côte orientale de la Crimée. 

Dans un article publié en 2023 dans la revue Ornithology Research, le biologiste Volodymyr M. Kucherenko a présenté la première preuve confirmée de la reproduction de l’Érismature à tête blanche en Crimée : une femelle adulte et quatre canetons âgés d’une semaine ont été observés le 16 juillet 2023 sur le lac Saky, près de la ville du même nom. Une autre couvée composée d’un seul poussin y a aussi été trouvée le 28 août.

La nidification de ce canard sur un plan d’eau proche d’une zone urbaine est peut-être une adaptation aux perturbations causées par la chasse et par la pêche dans des secteurs plus éloignés. Cette première reproduction documentée pourrait être le résultat du réchauffement climatique, qui pourrait favoriser l’expansion de l’espèce dans de nouveaux secteurs, et/ou résulter d’une diminution de la pression cynégétique depuis le début du conflit entre l’Ukraine et la Russie en 2022.

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