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Joseph Rowsome nous en dit plus sur la migration postnuptiale sur le mont Ventoux (Vaucluse), un site de suivi sous-estimé
Les habitats ouverts du mont Ventoux (Vaucluse) au-dessus de 1 400 mètres d’altitude sont favorables à l’observation des oiseaux migrateurs à la fin de l’été et en automne.
Photographie : Joseph Rowsome
Introduction
Le mont Ventoux est le point culminant du département du Vaucluse, avec une altitude de 1 909 mètres. Il est situé à l’est de la vallée du Rhône et au sud-ouest du massif alpin. Du fait de sa position géographique dans le prolongement de plusieurs vallées alpines, c’est un lieu privilégié pour l’observation, à la fin de l’été et en automne, des oiseaux migrateurs ayant survolé au préalable plusieurs cols : il est d’ailleurs visible (par beau temps) depuis celui de la Bataille, dans le massif du Vercors, pourtant éloigné de plus de 80 km plus au nord, et qui constitue le site de suivi régulier le plus proche. L’intérêt du mont Ventoux, en termes de diversité et d’effectifs de migrateurs, a notamment été révélé grâce aux efforts de prospection menés en 2022 par Théo Vivensang et Stanislas Wroza, suivis en 2023 par ceux de Florent Yvert, qui a posé des enregistreurs automatiques. Pourtant, du fait de son éloignement relatif des centres urbains et du manque d’observateurs, la pression d’observation y reste faible durant les passages, même si elle augmente d’année en année.
Joseph Rowsome est un passionné franco-britannique qui habite depuis 2018 à Bédoin, au pied du mont Ventoux. Il organise directement depuis 2024 un suivi de la migration postnuptiale du 20 juillet au 20 novembre. Après une présentation de la méthodologie utilisée et une synthèse ornithologique de l’étude du passage lors des saisons précédentes, nous vous proposons une interview de ce passionné de l’avifaune du « géant de Provence »
Abstract
Mont Ventoux is the highest point in the Vaucluse department, with an altitude of 1,909 meters. It is located to the east of the Rhône Valley and southwest of the Alpine massif. Due to its geographical position in the extension of several Alpine valleys, it is a privileged place for watching, in late summer and autumn, migratory birds having previously flown over several passes: it is also visible (in good weather) from the col de La Bataille, in the Vercors massif, although more than 80 km further north, and which constitutes the closest regular monitoring site.
The interest of Mont Ventoux, in terms of diversity and numbers of migrants, was notably revealed thanks to the prospecting efforts carried out in 2022 by Théo Vivensang and Stanislas Wroza, followed in 2023 by Florent Yvert, who installed automatic recorders. However, due to its relative distance from urban centers and the lack of observers, observation pressure remains low during migrations, even if it increases year after year.
Joseph Rowsome is a Franco-British bird enthusiast who has lived in Bédoin, at the foot of Mont Ventoux, since 2018. Since 2024, he has been directly organizing a postbreeding migration monitoring program from July 20 to November 20. After a presentation of the methodology used and an ornithological summary of the migration study during previous seasons, we offer you an interview with this enthusiast of the avifauna of the « giant of Provence. »
La méthodologie utilisée pour le suivi de la migration postnuptiale sur le mont Ventoux
Situation du mont Ventoux (Vaucluse). |
Le mont Ventoux constitue l’avancée la plus occidentale des Alpes méridionales. Il mérite bien son surnom de « Géant de Provence » : malgré son altitude moyenne (1 909 mètres), il domine largement les environs, et l’on jouit à son sommet d’un panorama remarquable allant du mont Canigou (Pyrénées-Orientales) au mont Blanc (Savoie et Haute-Savoie). Il est soumis à plusieurs influences climatiques, ce qui en fait un ensemble écologique d’une grande richesse botanique et faunistique, qui est étudié par les naturalistes depuis le XVIIIe siècle. Son avifaune nicheuse, migratrice et hivernante est notamment remarquable (lire Observer les oiseaux sur le mont Ventoux, le Géant de Provence).
Un suivi organisé de la migration postnuptiale est réalisé depuis 2024 (et de façon plus informelle depuis 2022) du 20 juillet au 20 novembre depuis plusieurs zones de prospection :
- Une s’étendant le long de la crête du mont Ventoux, du radôme (radar qui assure la sécurité de l’espace aérien) au Chalet Reynard en passant par le sommet, et qui comprend plusieurs biotopes (forêts de conifères et de feuillus, milieux buissonnants, pâturages et pierriers).
- Une plus large, couvrant toute la montagne au-dessus de 1 400 mètres d’altitude.
- Un site supplémentaire établi sur la Tête des Mines, le long de la crête en descendant vers Malaucène, à 840 mètres d’altitude.
Carte du mont Ventoux (Vaucluse) et emplacements de plusieurs sites d’observation de la migration postnuptiale. |
Trois méthodes de comptage sont utilisées :
- le comptage des oiseaux en halte, réalisé en prospectant une grande surface de terrain, avec un effort particulier sur la zone comprise entre le Chalet Reynard et la Fontaine de la Grave où de nombreux passereaux font halte. Les résultats sont comptabilisés dans un tableau Excel tous les jours.
- La VisMig (migration visible), qui consiste à compter les oiseaux en migration active depuis deux points fixes (Têtes de la Grave et des Mines).
- La NocMig (suivi acoustique de la migration nocturne). Son objectif est de compter les oiseaux en migration nocturne depuis trois points fixes (Têtes de la Grave et des Mines et col des Tempêtes) grâce à des enregistreurs numériques (« pièges à son »), incluant les Song Meter Mini et S4 (lire Stanislas Wroza : l’approche sonore pour étudier et identifier les oiseaux).
Les principales espèces migratrices d‘oiseaux observées depuis 2022
Les principales espèces d’oiseaux observées durant le suivi de la migration postnuptiale depuis 2022 sont le Pluvier guignard (Eudromias morinellus), des passereaux transsahariens comme le Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca), le Rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus), le Pouillot fitis (Phylloscopus trochilus) et le Pipit des arbres (Anthus trivialis), ainsi que des passereaux migrateurs qui passent tout leur cycle de vie dans les limites du Paléarctique occidental (lire Qu’est-ce que le Paléarctique occidental ?), hivernant principalement en Afrique du Nord et en Europe du Sud, comme le Merle à plastron (Turdus torquatus) et le Pouillot véloce (P. collybita). Des raretés sont parfois notées, comme un Pipit à dos olive (Anthus hodgsoni) en 2023 et un Bruant nain (Emberiza pusilla) en 2024.
Entre 2022 et 2024, 636 oiseaux ont été observés en moyenne chaque saison dans la zone de prospection s’étendant le long de la crête du mont Ventoux, et 690 depuis le mont Serein, situé dans la zone de prospection élargie, au-dessus de 1 400 mètres d’altitude.
L’interview de Joseph Rowsome, organisateur du suivi de la migration postnuptiale sur le mont Ventoux
1- Pourquoi avoir choisi le mont Ventoux pour organiser un suivi de la migration ? Vivez-vous dans le secteur ?
Le Merle à plastron (Turdus torquatus) est un migrateur régulier en automne sur le mont Ventoux (Vaucluse) (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Joseph Rowsome : je suis franco-britannique mais j’ai toujours vécu en France. J’habite à Bédoin depuis 2018, au pied du mont Ventoux, qui constitue le meilleur endroit pour observer la migration postnuptiale dans mon secteur, et l’un des meilleurs du Vaucluse en ce qui concerne les passereaux. C’est en découvrant le potentiel ornithologique du site lors du passage automnal, révélé en 2022, que nous avons eu l’idée d’essayer d’organiser un suivi plus poussé.
2- Le site de suivi de la migration le plus proche est-il celui du col de la Bataille, dans le Vercors (1 313 mètres d’altitude) ?
Joseph Rowsome : effectivement, le principal site de suivi régulier de la migration active est celui du col de la Bataille, mais d’autres sites propices à l’observation d’oiseaux migrateurs se situent notamment plus à l’ouest, dans la vallée du Rhône (lire Le site naturel de Printegarde : des oiseaux et des castors).
3- Un suivi avait-il déjà été effectué avant vous par d’autres observateurs ou associations ? Combien de personnes participent actuellement à ce suivi ?
Joseph Rowsome : par le passé, le mont Ventoux avait été prospecté par Georges Olioso, mais souvent en dehors de la période de migration postnuptiale et de manière occasionnelle. Nous devons surtout la découverte de son potentiel en termes de diversité et d’effectifs des migrateurs à des efforts de recherche récents, notamment en 2022 par Théo Vivensang et Stanislas Wroza, puis en 2023 avec la pose d’enregistreurs automatiques par Florent Yvert. J’ai eu l’idée de ce suivi, encore non officiel, en 2024, et j’ai compilé l’ensemble des données disponibles depuis 2022 : nous en sommes donc à la quatrième année de suivi. D’autres ornithologues locaux ou venant du sud de la France passent aussi parfois, en particulier lorsqu’il y a des Pluviers guignards !
4- Le suivi de la migration n’est organisé que du 20 juillet au 20 novembre et pas au printemps, car le passage prénuptial est beaucoup moins important : comment expliquez-vous cette différence ?
Des dizaines de Pouillots fitis (Phylloscopus trochilus) passent en automne sur le mont Ventoux (Vaucluse) (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Joseph Rowsome : nous nous sommes beaucoup posé la question depuis que nous observons les oiseaux sur le mont Ventoux, sans encore avoir de réponse définitive jusqu’à présent. Nous constatons effectivement que les effectifs au printemps sont extrêmement faibles comparés à ceux notés en automne, en particulier pour les oiseaux faisant une halte, la différence étant plus faible en migration active ou nocturne, mais cela pourrait être dû en partie à un plus faible effort de prospection. Le mont Ventoux semble être idéalement situé en automne pour recevoir les flux de migrateurs provenant du Vercors et des vallées alpines, et/ou les espèces suivies effectuent peut-être des haltes ailleurs durant leur migration prénuptiale. D’autre part, leurs effectifs sont gonflés en automne par l’apport des jeunes de l’année.
5- L’intensité de la prospection sur le mont Ventoux est plus faible en été qu’en automne, car le nombre d’observateurs participant au suivi est alors plus faible : ne serait-il pas possible de contacter des associations locales, comme le groupe local Ventoux de la Ligue pour la Protection des Oiseaux de Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour venir vous aider à cette période ? Avez-vous aussi contacté le parc naturel régional du mont Ventoux ?
Joseph Rowsome : l’intensité de prospection reste assez faible, en particulier durant le mois de septembre. Il est vrai que nous pourrions contacter le groupe local de la LPO ou encore le parc naturel régional si nous souhaitons rendre le suivi un peu plus officiel et plus approfondi.
6- Pourquoi avoir choisi de faire le suivi au-dessus de 1 400 mètres d’altitude ? Les changements fréquents des conditions météorologiques au sommet influencent-ils le suivi de la migration ?
Joseph Rowsome : il y a plusieurs raisons pour lesquelles nous ciblons la zone au-dessus de cette altitude. Tout d’abord, cela correspond aux 500 derniers mètres avant le sommet, ce qui constitue une limite logique. En outre, cela correspond aussi à peu près à la limite supérieure de la forêt. Or, les milieux ouverts sont plus propices à l’observation et plus riches en migrateurs en général.
Nous n’avons pas assez de recul pour identifier l’ensemble des effets des changements de météo sur le passage des oiseaux au-dessus du mont Ventoux, en particulier en ce qui concerne ceux qui y font un halte, bien qu’il soit certain qu’elle joue un rôle important. Pour l’observation de la migration active et notamment des passereaux, nous avons pu remarquer que les effectifs étaient plus importants lorsqu’il y a un vent contraire au sens de la migration. Le suivi de la migration visible depuis la Tête des Mines est à privilégier lorsqu’il y a un plafond nuageux bas, les autres sites étant alors dans le brouillard et empêchant les oiseaux de passer.
7- Le nombre d’oiseaux observés durant chaque saison de suivi est relativement faible (moins de 2 000), êtes-vous surpris par ces effectifs ?
Joseph Rowsome : pas forcément, et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ce chiffre est plutôt indicatif des effectifs en halte. Or, si le suivi de la migration active depuis les Têtes de la Grave et des Mines était plus complet, il ne fait aucun doute que nous compterions plusieurs dizaines de milliers d’oiseaux chaque saison. En effet, comme partout ailleurs, les oiseaux faisant une halte sur le mont Ventoux seront toujours moins nombreux que ceux comptés en migration active.
D’autre part, les effectifs comptés de certaines espèces sont relativement importants malgré une faible prospection, et il est probable qu’avec un suivi plus complet, nous compterions beaucoup plus d’oiseaux. Par exemple, les effectifs de Gobemouches noirs et de Merles à plastron dépasseraient probablement le millier d’individus par saison.
Étant donné la diversité des migrateurs observés sur une surface relativement réduite, nous pourrions envisager l’installation d’un futur camp de baguage appliquant le protocole PHENO (pour «phénologie de la migration»), coordonné par le Muséum National d’Histoire Naturelle, ou bien comparable à ceux installés dans les Alpes suisses, sur les cols de Bretolet et de Jaman.
8- Vous combinez plusieurs méthodes pour suivre la migration (comptages en halte, VisMig et NocMig) : est-il rare qu’autant de méthodes soient utilisées dans le même site de suivi ? Toutes ces méthodes sont-elles utilisées chaque année ? Quelles sont les principales différences obtenues selon les méthodes (espèces contactées, effectifs, etc.) ?
Joseph Rowsome : ce n’est pas très courant en effet que toutes ces méthodes soient utilisées à la fois. Le matériel, la méthode et le cadre scientifique du suivi de la migration nocturne par enregistrement automatique (NocMig) sont encore très récents (après 2019), et le temps nécessaire au suivi de la migration visible (VisMig) et à l’analyse des enregistrements est conséquent.
Le vallon de la Grave sur le mont Ventoux (Vaucluse) est très favorable à l’observation des passereaux (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Par ailleurs il n’existe pas vraiment de suivi protocolaire des oiseaux en halte migratoire en France en dehors du baguage. Sur le mont Ventoux, le suivi le plus complet est celui effectué de nuit par enregistrement automatique, et c’est aussi le seul pouvant être réalisé sans être sur le terrain.
Le site est surtout intéressant pour l’observation des oiseaux en halte, et en particulier pour le Gobemouche noir, qui est l’espèce la plus abondante de notre suivi avec 459 individus comptés en 2024, suivi du Merle à plastron, qui est très commun en octobre, avec 361 individus observés en 2024. D’autres espèces peu fréquentes dans le Vaucluse, comme le Gobemouche gris (Muscicapa striata) et le Torcol fourmilier (Jynx torquilla), sont régulièrement observées en plus des habituels Pipits des arbres, Rougequeues à front blanc, Pouillots fitis et véloces.
C’est grâce au suivi automatique VisMig que nous avons trouvé des espèces très rares, comme un Pipit à dos olive en 2023 et un Bruant nain en 2024.
Lorsque les conditions météorologiques sont favorables, plusieurs milliers d’oiseaux peuvent passer en automne au-dessus des Têtes de la Grave et des Mines.
9- Les principales espèces ciblées sont le Pluvier guignard, les passereaux transsahariens et migrateurs du Paléarctique occidental : ce choix est-il lié au fait que ce sont simplement les migrateurs les plus nombreux sur le mont Ventoux ?
Le mont Ventoux (Vaucluse) constitue un site de halte classique pour le Pluvier guignard (Eudromias morinellus) (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Joseph Rowsome : en effet, ces espèces composent la majorité des oiseaux observés en migration depuis le mont Ventoux. Nous classons toutefois à part le Pluvier guignard, car il est assez emblématique et c’est le seul limicole régulier. J’ai par ailleurs séparé les passereaux en deux catégories pour faciliter la présentation des résultats dans le rapport de fin de saison.
10- Le mont Ventoux constitue une halte traditionnelle pour le Pluvier guignard : comment expliquer cette attractivité ? Peut-il être observé de façon continue entre août et octobre ? La seconde partie du mois d’août correspond-elle au pic de son passage ? Quelles sont les informations apportées par les enregistreurs à distance ? Le col des Tempêtes est-il le meilleur site pour l’observer ?
Joseph Rowsome : l’attractivité du mont Ventoux pour le Pluvier guignard tient évidemment à la morphologie et à l’aspect de ses crêtes. L’érosion du massif a créé sur de vastes surfaces des habitats steppiques que l’espèce affectionne (lire Où et comment rechercher le Pluvier guignard en migration ?). Même si la présence de l’espèce est (semble-t-il) annuelle, la pose d’enregistreurs permet de mieux préciser sa phénologie, les échanges entre les groupes, les périodes de migration, et, nous l’espérons, de mieux comprendre l’utilisation des différents sites de halte. Actuellement le col des Tempêtes reste le meilleur site pour observer l’espèce (nous y notons une présence quasi continue de mi-août à la fin-septembre, qui se prolonge souvent jusqu’à la mi-octobre), mais d’autres sites sont également utilisés sans que nous connaissions la fréquence de présence de l’espèce, comme la « plaine » s’étendant sous le radar situé à l’ouest du sommet.
11- Les passereaux migrateurs les plus nombreux sur le mont Ventoux sont le Gobemouche noir, le Rougequeue à front blanc, les Pouillots fitis et véloce, le Pipit des arbres et le Merle à plastron. Est-ce comparable à ce que l’on observe dans d’autres sites de suivi du sud de la France ou est-ce plutôt original ?
Pouillots véloces (Phylloscopus collybita) en halte migratoire sur le mont Ventoux (Vaucluse) (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Joseph Rowsome : cette diversité n’est pas inhabituelle dans le sud de la France, mais les effectifs de ces espèces sont parfois exceptionnels, comme pour le Gobemouche noir, avec par exemple 208 individus le 27 août 2024 et 146 le 17 août 2025. C’est surtout le cas pour le Merle à plastron, un passereau généralement difficile à observer en plaine, mais dont les effectifs en montagne ne sont pas pour autant très importants : sur le mont Ventoux, il devient réellement « abondant » au mois d’octobre. On peut également noter le fait qu’il y a des migrateurs qui sont pratiquement vus durant tous les jours du suivi.
12- Comment expliquer qu’il n’y a pas davantage de passereaux des milieux ouverts, comme le Traquet motteux, ou d’oiseaux forestiers, comme le Bec-croisé des sapins (Loxia curvirostra) et le Pinson des arbres (Fringilla coelebs) ?
Joseph Rowsome : toutes ces espèces sont présentes, mais elles ne figurent pas pour l’instant dans notre suivi, car ce sont des espèces nicheuses ou hivernantes pour lesquelles il est impossible de faire la différence entre les oiseaux locaux et les migrateurs en halte. Le suivi VisMig permet de compter ces espèces car nous sommes alors sûrs du caractère migratoire des individus. Probablement quelques dizaines de milliers de Pinsons des arbres passent ainsi chaque automne.
13- Le vallon de la Grave, la plaine des Ermitants et la Citerne sont-ils les secteurs les plus favorables pour l’observation des passereaux migrateurs ? Pour quelles raisons ?
Joseph Rowsome : les meilleurs secteurs de halte pour les passereaux se situent entre le Chalet Reynard et la Fontaine de la Grave, en particulier dans le secteur de la plaine des Ermitants et le long de la piste adjacente. Ces secteurs de prairies et de pinèdes semi-ouvertes sont riches en insectes et constituent donc des haltes idéales. Elles sont aussi faciles à prospecter. La plaine des Ermitants peut concentrer quelques dizaines de migrateurs en halte, même lorsque les alentours sont presque complètement désertés, en particulier en août. Plus tard dans la saison, les oiseaux affectionnent notamment les enclos où ont stationné les moutons durant l’été, car ils y trouvent une nourriture abondante.
14- Comment expliquer que le Torcol fourmilier soit régulier au passage sur le mont Ventoux ? Est-ce surprenant ?
Vue de la plaine des Ermitants sur le mont Ventoux (Vaucluse) : avez-vous repéré le Pluvier guignard ? (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Joseph Rowsome : le mont Ventoux semble être le meilleur site vauclusien pour observer cette espèce en migration, même si ses effectifs restent modestes (trois au maximum ont été contactés sur la seule journée du 25 août 2023 dans la plaine des Ermitants). Il n’est pas absent dans les environs du mont Ventoux, mais il est relativement facile à détecter dans les pinèdes assez ouvertes d’altitude.
15- Quels sont les rapaces nicheurs sur le mont Ventoux ? Avez-vous une idée du nombre de couples de chaque espèce ?
Joseph Rowsome : l’Aigle royal (Aquila chrysaetos) et le Circaète Jean-le-Blanc (Circaetus gallicus) nichent également sur le mont Ventoux, ainsi que d’autres plus classiques comme la Buse variable (Buteo buteo), la Bondrée apivore (Pernis apivorus), l’Épervier d’Europe (Accipiter nisus), le Faucon crécerelle (Falco tinnunculus), la Chouette hulotte (Strix aluco) et le Hibou moyen-duc (Asio otus). Le Busard cendré (Circus pygargus) s’est raréfié, mais est encore présent sur le plateau voisin d’Albion, et il est visible en migration. Le Faucon pèlerin (Falco peregrinus) et le Grand-duc d’Europe (Bubo bubo) nichent dans les gorges de la Nesque, et ce dernier est aussi assez commun sur les contreforts du mont Ventoux jusqu’aux Dentelles de Montmirail, où nous observons aussi parfois l’Aigle de Bonelli (Aquila fasciata). Le Petit-duc scops (Otus scops) est omniprésent dans les villages du parc naturel régional du mont Ventoux. Nous ne nous sommes pas vraiment intéressés aux rapaces nicheurs jusqu’à présent, je ne pourrais donc pas vous donner les effectifs nicheurs, d’autant plus qu’une grande partie du mont Ventoux est sauvage et peu prospectée, par exemple au niveau de la forêt du Ventouret. Le parc naturel a publié quelques fiches qui peuvent apporter des informations sur certaines espèces.
16- Pourquoi les rapaces sont-ils si peu nombreux durant le passage postnuptial depuis le mont Ventoux ?
Faucon kobez (Falco vespertinus) de première année en halte migratoire postnuptiale sur le mont Ventoux (Vaucluse) en 2022 (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Joseph Rowsome : les rapaces en migration sont peu nombreux d’une manière générale au-dessus du mont Ventoux, même au printemps, sans que nous sachions vraiment pourquoi. Ils semblent préférer suivre la vallée du Rhône. Les quatre espèces de vautours nichant en France ont toutefois déjà été observées, et d’autres plus discrètes, comme l’Autour des palombes (Accipiter gentilis), sont nicheuses.
17- En dehors du Pluvier guignard, pourquoi selon vous n’avez-vous pas encore observé l’Œdicnème criard (Burhinus oedicnemus) durant le passage postnuptial ?
Joseph Rowsome : l’Œdicnème criard ne fait pas fréquemment de halte en altitude, contrairement au Pluvier guignard. Nous l’avons cependant enregistré en migration nocturne depuis la Tête des Mines au printemps 2025, et nous espérons l’ajouter à la liste des espèces observées en automne.
18- Le mont Ventoux est également intéressant durant la période de nidification, avec notamment la nidification probable de la Nyctale de Tengmalm (Aegolius funereus) : cette espèce bénéficie-t-elle de la forte présence du Pic noir (Dryocopus martius) ?
Joseph Rowsome : il est certain que la présence importante du Pic noir sur l’ensemble du massif offre des sites de nidification (cavités) à la Nyctale de Tengmalm, et peut être même à la Chevêchette d’Europe (Glaucidium passerinum). La Gélinotte des bois (Tetrastes bonasia) a déjà été observée et pourrait nicher dans des zones peu fréquentées du massif.
19- Quelles sont les espèces de passereaux qui nichent sur le mont Ventoux au-dessus de la limite des arbres ? Le Bruant ortolan (Emberiza hortulana) est-t-il encore nicheur ?
Joseph Rowsome : le Traquet motteux (Oenanthe oenanthe) est abondant sur le mont Ventoux. Parmi les autres nicheurs d’altitude remarquables, citons le Monticole de roche (Monticola saxatilis) qui se reproduit sur les crêtes dénudées, et le Merle à plastron, qui se reproduit dans les forêts de la face nord, entre le mont Serein et le sommet. Le Bruant ortolan n’a jamais été confirmé comme nicheur sur le mont Ventoux, bien que d’anciennes observations durant la période de reproduction suggèrent qu’il l’a été par le passé. Il demeure nicheur sur le plateau d’Albion, mais ses effectifs ont fortement régressé. Sur le mont Ventoux, il est régulièrement contacté en migration nocturne et il est annuel en migration active depuis les Têtes de la Grave et des Mines, généralement tôt le matin, il arrive aussi que quelques individus fassent une halte en migration.
20- Quelles sont les fauvettes méditerranéennes nicheuses sur le mont Ventoux ? En particulier, la Fauvette orphée (Curruca hortensis) est-elle répandue ? Quel est le meilleur secteur pour l’observer ?
Niverolle alpine (Fringillla montifringilla) en hiver dans la plaine des Ermitants, sur le mont Ventoux (Vaucluse) (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Joseph Rowsome : dans le secteur que nous étudions, seule la Fauvette babillarde (Curruca curruca) est une nicheuse certaine. La Fauvette passerinette (Curruca iberiae) se reproduit également probablement au-dessus de 1 400 mètres. La Fauvette orphée est peu abondante sur les pentes méridionales du mont Ventoux, notamment dans les forêts de Chênes verts au sud de la Tête des Mines, mais sa présence reste fluctuante d’une année sur l’autre. Elle est cependant plus abondante du côté de Sault et du plateau d’Albion, où elle est plus facile à observer.
21- La Niverolle alpine (Fringilla montfringilla) est-elle toujours régulière en automne et en hiver sur le mont Ventoux ? Combien d’individus sont vus en moyenne chaque année ? Quel est le meilleur secteur pour observer cette espèce ?
Joseph Rowsome : la Niverolle alpine est effectivement toujours hivernante sur le mont Ventoux, bien que ses effectifs ont sans doute régressé, à l’exception notable de l’hiver 2023-2024, durant lequel jusqu’à 80 individus ont stationné. Les Niverolles alpines sont généralement mobiles le long de la crête du Ventoux, elles sont cependant le plus facile à observer au niveau du Col des Tempêtes, avec toujours la possibilité de trouver un ou deux Bruants ou Plectrophanes des neiges (Plectrophenax nivalis) et des Accenteurs alpins (Prunella collaris).
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Compléments
Contact
Joseph Rowsome – Contact : josephrowsome@gmail.com
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- Le guide Ornitho de L. Svensson et al
- Le Parc naturel régional du Mont-Ventoux à pied : 44 promenades & randonnées (2020) de FFRandonnée (Avec la contribution de)
- Une ascension du Mont Ventoux de Jean-Henri Fabre, Pétrarque et Philippe Galanopoulos
- Ventoux Géant de nature : Guide des richesses biologiques du mont Ventoux (2007) de Frédéric Melki, Maxime Briola et Collectif
- Carte Mont Ventoux au 1/25 000ème de l’IGN (Auteur)
Sites web utiles
- Le site web du Syndicat Mixte d’Aménagement et d’Equipement du Mont Ventoux : www.smaemv.fr
- Le site web Ventoux Provence : www.ventouxprovence.fr
Sources
- Maisons Pariente (2020). Le Parc naturel régional du Mont Ventoux est officiellement créé. Date : 31/08. www.maisonspariente.com













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