Le « regroupement » de deux anciennes sous-espèces du Milan noir

Aires de répartition des sous-espèces du Milan noir (Milvus migrans)

Aires de répartition de cinq sous-espèces du Milan noir (Milvus migrans) : (A) zones d’intergradation entre M. m. migrans et M. m. linaetus, (B) entre M. m. migrans et M. m. govinda et (C) entre M. m. lineatus et M. m. govinda. Le Milan à bec jaune (M. aegyptius) le remplace de l’Égypte et du sud de la péninsule Arabique à l’Afrique tropicale et à Madagascar.
Carte : Ornithomedia.com d’après I. V. Karyakin (2017)

Le Milan noir (Milvus migrans) est un rapace migrateur de taille moyenne dont l’aire de nidification est très vaste, allant de l’ouest de l’Europe et le nord-ouest de l’Afrique à la Chine et au Japon et du Moyen-Orient à l’Australie, en passant par l’Inde et le Sud-est asiatique.
Au moins cinq sous-espèces sont reconnues :

  • M. m. migrans de l’Europe à l’Asie centrale en passant par l’Afrique du Nord.
  • Le Milan brun (M. m. lineatus), parfois considéré comme une espèce à part entière, présent de la Sibérie au Japon et à l’Inde (lire L’aire de répartition du Milan brun progresserait vers l’Europe).
  • M. m. govinda du Pakistan au sud de l’Indochine.
  • M. m. formosanus sur les îles de Hainan (Chine) et de Taïwan.
  • M. m. affinis des petites îles de la Sonde (Indonésie) à l’Australie.

Sur la base d’éléments génétiques et morphologiques, ses deux anciennes sous-espèces africaines M. m. aegyptius et M. m. parasitus ont été regroupées dans une espèce à part entière, le Milan à bec jaune ou d’Afrique (Milvus aegyptius), composé lui-même de deux sous-espèces :

  • M. a. aegyptius de l’Égypte et du sud-ouest de la péninsule Arabique au Kenya.
  • M. a. parasiticus dans le reste de l’Afrique subtropicale et à Madagascar.

La divergence génétique entre les Milans noir et à bec jaune est importante, Scheider et al. (2004) ayant même montré que sa sous-espèce M. a. parasiticus était plus proche du Milan royal (M. milvus) que de M. migrans.

Le Milan à bec jaune ou d’Afrique (Milvus aegyptius)

Longueur : 44 – 58 cm.

Envergure : 115 – 135 cm.

Milan à bec jaune (Milvus aegyptius)

Milan à bec jaune ou d’Afrique (Milvus aegyptius) adulte sur l’île de Wight (Grande-Bretagne) le 12 mai 2023 : notez (1) le bec jaune, (2) la tête brun-roux, (3) les cinq rémiges primaires bien visibles à l’extrémité de l’aile et (4) les rémiges primaires internes sous-alaires moins pâles que chez le Milan noir (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Ashley Howe

Description : le Milan à bec jaune ressemble au Milan noir, mais il est un peu plus petit que ce dernier, dont l’envergure est comprise entre 120 et 140 cm. Ses ailes sont plus étroites, seules cinq rémiges primaires étant nettement visibles en vol (contre six), et sa queue est plus fourchue (30-46 mm contre 20-35 mm) quand l’oiseau est posé. Sa queue est plus fortement barrée, et sa tête est plus colorée (brun-roux plutôt que grisâtre). La zone pâle barrée de sombre à la base des rémiges primaires sous-alaires est moins visible. L’adulte a le bec entièrement jaune, même si celui de la sous-espèce M. a. parasiticus est parfois gris-sombre à son extrémité.
Le juvénile est très proche et difficile à distinguer du Milan noir, son bec étant également jaune et noir et son plumage brun moucheté de chamois.

Habitats : le Milan à bec jaune est répandu en Afrique subsaharienne et à Madagascar, même s’il semble en déclin. Il est plus rare en Égypte et dans le sud-ouest de la péninsule Arabique. Il vit dans des habitats variés (milieux arborés clairs, zones cultivées et zones urbaines, généralement près de l’eau).  

Un Milan à bec jaune (ou d’Afrique) en Grande-Bretagne en mai 2023

Le 10 mai 2023, un Milan à bec jaune a été découvert dans le centre de traitement des déchets de Lynnbottom (Lynnbottom Household Waste Recycling Centre), sur l’île de Wight, dans le sud de la Grande-Bretagne, où il était encore présent le 14 au moins.

Situation de l'île de Wright (Grande-Bretagne)

Situation de l’île de Wight (Grande-Bretagne).
Carte : Ornithomedia.com

Le lendemain, il a été photographié au-dessus de Polgigga, à l’extrémité sud-ouest de la Grande-Bretagne, soit à plus de 350 km de l’île de Wight. Plusieurs photographes ont pris de bons clichés de cet oiseau, permettant de noter plusieurs éléments : un bec jaune vif (ce qui indique qu’il s’agit d’un adulte), une tête brun-roux plus colorée que celle du Milan noir, cinq rémiges primaires nettement visibles en vol (et non pas six comme chez le Milan noir), et des rémiges primaires internes sous-alaires grisâtres moins pâles (= »fenêtres ») que chez le Milan noir.

Une origine sauvage possible

Le Milan à bec jaune (ou d’Afrique) est parfois détenu dans des zoos et des collections (un individu est par exemple visible dans le parc de Bellewaerde, dans la province belge de Flandre-Occidentale), et les observations éloignées du continent africain sont donc toujours sujettes à discussion. Toutefois, aucun propriétaire de parc n’a a priori déclaré d’oiseau perdu en Grande-Bretagne suite à l’observation de mai 2023 sur l’île de Wight. Cet oiseau n’est outre pas marqué (ailes ou pattes), il semble bien voler et son comportement est typique des milans, la visite d’une décharge étant en effet assez classique chez ces rapaces. Néanmoins, les plumes abîmées des ailes et de la queue, une caractéristique inhabituelle à cette période de l’année, pourrait quand même être un indice d’une origine captive. 

Milan à bec jaune (Milvus aegyptius)

Milan à bec jaune ou d’Afrique (Milvus aegyptius) adulte sur l’île de Wight (Grande-Bretagne) le 12 mai 2023 : notez (1) le bec jaune, (2) la tête brun-roux, (3) les rémiges primaires internes sous-alaires moins pâles que chez le Milan noir et (4) les cinq rémiges primaires bien visibles à l’extrémité de l’aile (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Ashley Howe

Un Milan à bec jaune avait été observé à Stuivekenskerk en Flandre-Occidentale (Belgique) le 1er mai 2023, et d’après les photographies disponibles, cela pourrait être le même que celui trouvé le 10 mai en Grande-Bretagne (même usure de la queue et des ailes) : cela suggère que cet individu aurait séjourné sur le continent européen avant de traverser la Manche, et donc un éventuel trajet depuis l’Afrique du Nord devient un peu moins improbable. 
Le Milan à bec jaune a déjà été vu en dehors du continent africain, et parfois très loin de ce dernier :

  • un individu a été observé le 3 mai 2023 à Cayenne, en Guyane française. Cette observation coïncide avec le passage d’une dépression sur l’Afrique de l’Ouest qui a pu favoriser sa traversée de l’océan Atlantique, au cours de laquelle il a aussi pu trouver refuge temporairement sur un navire (lire Ces oiseaux qui voyagent sur des bateaux). Il s’agit de la seconde observation pour ce département d’Outre-mer après celle du 10 mai 2018 sur les îles du Salut. Cette espèce a déjà été observée dans plusieurs îles antillaises depuis 1999, mais aussi sur l’archipel brésilien de Saint Pierre et Saint Paul en 2014 (source : Faune-guyane.fr).
  • Le site Birdguides.com précise que plusieurs oiseaux ont été vus récemment en Europe : en Estonie et en Serbie en avril 2022, aux Pays-Bas, en Allemagne et au Danemark en avril 2021, et au-dessus de la carrière de Springfield Farm, dans le Buckinghamshire (Grande-Bretagne), le 29 avril 2019.
  • Un oiseau a été observé le 7 mars 2020 près du village d’Arico, sur Tenerife, une première pour l’archipel espagnol des Canaries. Son arrivée est certainement liée à la violente tempête de sable (vents de plus de 100 km/h) qui a touché ces îles du 22 au 25 février, et qui a provoqué une arrivée sans précédent d’oiseaux africains (lire Un Blongios de Sturm récupéré dans un centre de soins à Ustaritz en janvier 2023).

Toutes ces observations sont printanières : comme pour les quelques Vautours de Rüppell (Gyps rueppelli) qui atteignent la péninsule ibérique, voire le sud de la France, après avoir suivi des Vautours fauves (G. fulvus) qui ont séjourné en hiver en Afrique de l’Ouest et qui reviennent en Europe au printemps suivant (lire Un visiteur africain parmi les vautours des gorges de la Jonte depuis janvier 2023), des Milans à bec jaune pourraient avoir suivi des Milans noirs lors de leur migration de retour depuis l’Afrique tropicale.

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