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Sébastien Lartique (AssoButeo) : favoriser la présence des rapaces dans les campagnes grâce à l’installation de perchoirs et de nichoirs
Sébastien Lartique, président de l’association AssoButeo, lors de la pose d’un nichoir.
Source : AssoButeo
Introduction
Les rapaces diurnes et nocturnes jouent un rôle essentiel dans les écosystèmes agricoles : en effet, en régulant naturellement les populations de rongeurs, ils contribuent à protéger les cultures, tout en limitant le recours aux produits chimiques. Faucons, buses, chouettes et hiboux sont ainsi de précieux partenaires pour les agriculteurs, à condition que leurs habitats restent suffisamment accueillants pour qu’ils puissent se reproduire et se nourrir.
C’est précisément pour mieux connaître, protéger et favoriser la présence de ces oiseaux que l’association Assobuteo a été créée en 2022. Elle mène des actions de suivi scientifique de la Buse variable et de pose de perchoirs pour cette espèce dans la Meuse via le projet Buteo, d’installation de nichoirs pour l’Effraie des clochers, la Chevêche d’Athéna et le Faucon crécerelle dans ce département et de sensibilisation du public et de collaboration avec le monde agricole. Afin de mieux comprendre ses actions concrètes sur le terrain, nous avons interrogé Sébastien Lartique, le président de l’association.
Abstract
Birds of prey, both diurnal and nocturnal, play a vital role in agricultural ecosystems. By naturally regulating rodent populations, they help protect crops while reducing the need for chemical products. Falcons, buzzards, owls, and barn owls are therefore invaluable partners for farmers, provided their habitats remain sufficiently welcoming for them to breed and feed.
It is precisely to better understand, protect, and promote the presence of these birds that the Assobuteo association was created in 2022. It conducts scientific monitoring of the Common Buzzard and installs perches in the Meuse department through the Buteo project, installs nest boxes for the Barn Owl, Little Owl, and Common Kestrel in this department, and raises public awareness and collaborates with the agricultural sector.
To better understand its concrete actions on the ground, we interviewed Sébastien Lartique, the president of the association.
L’association AssoButeo, des actions concrètes pour les rapaces de la Meuse
Buse variable (Buteo buteo) mâle suivi depuis quatre ans en Meuse. |
L’association AssoButeo a été créée le 11 novembre 2022 et est basée à Buxières-sous-les-Côtes (Meuse). Son objet principal est d’observer et d’étudier la Buse variable (Buteo buteo), mais aussi d’autres espèces de rapaces diurnes et nocturnes, afin d’enrichir les connaissances sur ces oiseaux. Elle favorise aussi leur présence dans les milieux agricoles en installant des nichoirs et des perchoirs et promeut leur rôle précieux dans les agro-écosystèmes et la lutte naturelle contre les rongeurs.
Elle organise et coordonne des observations systématiques des rapaces, collecte des données sur leur présence, leur habitat et leurs comportements, et réalise des suivis d’individus. Elle fédère aussi les acteurs locaux (agriculteurs, collectivités, écoles…) autour de projets de conservation, coordonne les bénévoles et partage les données collectées avec des partenaires scientifiques ou associatifs. Elle propose enfin des sorties nature, tient des stands lors d’événements, participe à des conférences, réalise des supports pédagogiques pour le grand public ou les scolaires, et accompagne des personnes souhaitant approfondir leurs connaissances naturalistes.
Le projet “Buteo” conçu autour de l’étude de la Buse variable, un rapace largement répandu mais encore mal connu dans certains aspects de son écologie, est le premier à avoir été lancé.
Le projet “Chouettes Campagnes”, qui a débuté en 2025, vise à installer des abris et des perchoirs pour l’Effraie des clochers (Tyto alba), la Chevêche d’Athéna (Athene noctua) et le Faucon crécerelle (Falco tinnunculus) dans des parcelles agricoles et communales. Plus de 50 nichoirs sont ainsi destinés à être construits et implantés dans la Meuse, non seulement pour soutenir les populations mais aussi pour sensibiliser différents publics (scolaires, personnes âgées, ESAT, associations locales) à la richesse de la biodiversité locale.
Le financement d’AssoButeo repose largement sur l’adhésion de ses membres, les dons, ainsi que les contributions de partenaires techniques et financiers. Les contributions servent à acheter du matériel d’observation (longues-vues, jumelles et enregistreurs sonores), à soutenir l’organisation d’activités, et à produire des supports pédagogiques adaptés aux différents publics.
Interview de Sébastien Lartique, président d’AssoButeo
1 – Pourquoi avez-vous eu l’idée de créer l’association AssoButeo ? Y-a-t-il un vrai manque de sites de nidification pour les rapaces dans votre secteur ?
Nichoir pour Effraies des clochers (Tyto alba). |
Sébastien Lartique : l’origine de notre engagement pour les rapaces remonte à une vingtaine d’années. À l’époque, avec un ami passionné d’ornithologie, nous arpentions la plaine agricole picarde pour observer différentes espèces, et tout particulièrement la Buse variable (Buteo buteo). Nous étions fascinés par cet oiseau : sa silhouette élégante, son vol majestueux et sa remarquable rusticité nous impressionnaient à chaque sortie. C’est ainsi que nous avons créé un collectif baptisé « Buteo », du nom latin de la buse, afin de partager notre passion et d’approfondir nos connaissances sur cette espèce.
En novembre 2022, portés par de nouvelles rencontres et une volonté commune d’aller plus loin, nous avons décidé de faire évoluer ce collectif en fondant l’association AssoButeo.
Basés dans la Meuse, en Lorraine, nous avons constaté, comme dans d’autres régions françaises, que la conservation de la Buse variable n’était pas une urgence, car les populations locales se portent globalement bien. Notre objectif s’est donc orienté vers une démarche éthologique, c’est-à-dire une observation attentive et une ’étude des comportements de l’espèce dans son milieu naturel. Cette approche vise à mieux comprendre la place de la Buse variable dans les écosystèmes agricoles et à valoriser sa présence auprès du grand public.
Notre engagement s’appuie sur la conviction que la connaissance et la sensibilisation sont essentielles pour préserver la biodiversité, même lorsque les espèces ne sont pas menacées. En partageant nos observations et en impliquant différents publics dans nos actions, nous souhaitons renforcer le lien entre les humains et la nature, tout en contribuant à une meilleure compréhension des rapaces dans notre région.
2 – Le projet « Chouettes Campagnes » a pour but d’accueillir sur des parcelles agricoles et communales, des Effraies des clochers, des Chevêches d’Athéna, des Faucons crécerelles et d’autres rapaces : a-t-il bien débuté en 2025 ? Avez-vous commencé à fabriquer et à installer des nichoirs ? Sont-ils déjà occupés ou visités ?
Faucons crécerelles (Falco tinnunculus) posés sur un nichoir pour Effraies des clochers (Tyto alba) dans la Meuse le 14 octobre 2025. |
Sébastien Lartique : oui, le projet a commencé au début de l’année 2025. Nous l’avons lancé à la suite d’un constat de la baisse et de la fragilisation des populations de chouettes dans certaines communes de la Meuse. Nous avons à ce jour installé 54 nichoirs, et une trentaine d’autres seront encore installés d’ici la fin de 2026. Pour l’instant, les nichoirs ne sont pas encore occupés par des couples, puisque les installations n’ont commencé qu’en fin de printemps 2025. Par contre depuis les premières installations, nous avons noté plusieurs visites et nous pensons que plusieurs d’entre eux seront occupés lors des prochaines nidifications au printemps 2026. Dans le cadre du projet il est prévu de suivre chaque nichoir et d’en juger l’efficacité au fil du temps.
3 – Vous avez pour objectif de fabriquer et d’installer plus de 50 nichoirs dans le département de la Meuse : quelles communes sont-elles concernées ? Pourquoi avez-vous fixé ce chiffre ?
Sébastien Lartique : nous avons principalement ciblé les communes présentant des enjeux particuliers, soit en raison d’une baisse constatée des populations de chouettes, soit du fait du manque de cavités, de nids ou de supports de nidification, notamment pour le Faucon crécerelle, mais aussi parfois pour préserver et renforcer certaines petites populations locales existantes, comme celles de la Chevêche d’Athéna.
Le nombre de nichoirs fixé répond à plusieurs objectifs : il permet de ne pas être limité par le stock disponible pour les installations, et il facilite la présentation du projet auprès des financeurs publics et privés, en démontrant son ambition et son impact potentiel sur la biodiversité locale.
4 – Quels partenaires financiers et techniques vous soutiennent pour le projet « Chouettes Campagnes » ? En cherchez-vous d’autres ? Quels fonds vous manquent encore ?
Nichoir pour Chouettes hulottes (Strix aluco) posé en forêt dans la Meuse. |
Sébastien Lartique : nous avons eu le privilège de bénéficier du soutien financier de plusieurs partenaires, dont l’engagement a été déterminant pour la mise en œuvre et le développement de notre projet :
• les fonds de dotation Maupertuis.
• La fondation Humus.
• La fondation UEM de la ville de Metz.
• La fondation Nature & Découvertes.
• Le département de la Meuse.
• Et, plus récemment, la Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne, grâce à un concours remporté.
Nous leur exprimons toute notre gratitude pour leur confiance et leur appui, qui nous permettent de concrétiser nos actions en faveur de la biodiversité.
Nous avons obtenu un soutien financier bien supérieur à nos attentes initiales, grâce à l’engagement de partenaires privés et du département. Cette mobilisation a permis d’accroître la visibilité du projet, de fabriquer et d’acquérir un nombre plus important de nichoirs, ainsi que du matériel nécessaire à leur installation et à leur suivi. Toutefois, nous regrettons de ne pas avoir encore reçu le soutien de la région Grand Est, malgré le dépôt de notre dossier en début d’année. Les circonstances économiques actuelles ralentissent l’instruction de notre demande, mais nous restons confiants quant à une issue favorable.
5 – Vous désirez poser des « super perchoirs » pour rapaces dans des zones de cultures ouvertes : pourquoi les appelez-vous « super perchoirs » ? Combien allez-vous en poser et en avez-vous déjà posé ? Si oui, sont-ils déjà utilisés par des rapaces ? Sont-ils destinés aux rapaces diurnes et nocturnes ? Comment choisissez-vous les emplacements ? Vous êtes-vous inspirés par d’autres actions similaires menées ailleurs en France ou en Europe ?
Un exemple de super-perchoir. |
Sébastien Lartique : nous les appelons « des supers perchoirs » car ils doivent être assez robustes pour durer dans le temps (une trentaine d’années). Le poteau est d’une section 10 x 10cm et l’essence utilisée est soit de l’acacia, soit du chêne. On installe aussi sur ces poteaux un système spécifique de fixation pour accueillir un piège photographique afin de suivre la fréquentation et l’utilisation par les oiseaux, et notamment les rapaces. Nous avons prévu d’en installer une dizaine, mais pour l’instant, nous avons surtout consacré notre temps à l’installation des nichoirs, et seuls quelques poteaux ont été posés.
Nous choisissons comme emplacements des lieux stratégiques, par exemple, un endroit où les perchoirs naturels et artificiels sont complétement absents, ce qui est malheureusement trop souvent le cas au milieu des plaines agricoles. La fréquentation directe des oiseaux après l’installation des poteaux prouve l’intérêt de ce type d’aménagement. Ces installations permettent d’assurer une transition le temps de lancer des chantiers de restauration des habitats, comme la plantation de haies et d’arbres, voire même un jour (avec un peu d’utopie), des pratiques agroécologiques.
L’installation de ce type de perchoir nous a été inspirée par d’autres associations ou structures comme la FREDON, qui posent aussi ce type de perchoirs en milieu agricole.
6 – Vous désirez installer des nichoirs pour rapaces diurnes et nocturnes pour maintenir, voire dynamiser, les populations existantes : quelles sont les populations actuelles de rapaces dans le secteur de la Meuse que vous couvrez ? Quelle est leur évolution ?
Sébastien Lartique : la situation varie selon les espèces. Par exemple, la population d’Effraies des clochers, l’espèce au cœur du projet « Chouettes Campagnes », est estimée à environ mille individus dans le département. Cependant, cette population, tout comme celle de la Chevêche d’Athéna, reste fragile et connaît un déclin local dans certaines communes. Ce recul s’explique notamment par la fermeture des clochers, l’isolation et la rénovation des bâtiments anciens, ainsi que la disparition des cavités naturelles due au remplacement des vieux arbres. À titre d’exemple, des inventaires réalisés en 1994 confirmaient encore la présence de quelques Chevêches d’Athéna à Bar-le-Duc et dans ses environs, or, entre 2020 et 2023, nos protocoles d’écoute n’ont permis de détecter aucun individu dans cette zone. Ces constats soulignent l’importance de poursuivre les actions de suivi et de conservation pour préserver ces espèces emblématiques de notre territoire.
7 – Les agriculteurs et propriétaires de terrains sont-ils intéressés par vos actions ? Avez-vous déjà essuyé des refus ?
Visite d’une exploitation agricole dans la Meuse pour y poser un nichoir à Effraies des clochers (Tyto alba). |
Sébastien Lartique : nous n’avons eu aucun refus. Au contraire, à la suite de divers articles sur le projet, nous avons reçu beaucoup de demandes, et c’est pour cette raison aussi que nous poursuivrons les installations de nichoirs en 2026.
8 – Vous êtes-vous inspirés d’autres projets de poses de nichoirs pour rapaces nocturnes et diurnes ailleurs en France ou en Europe ? Avez-vous des contacts avec d’autres structures pour mener ou coordonner vos actions ?
Sébastien Lartique : nous avons eu l’opportunité d’échanger avec Alexandre Roulin, spécialiste suisse de l’Effraie des clochers, dont l’ouvrage sur l’espèce constitue une référence précieuse (lire Des idées de livres francophones sur les oiseaux parus en 2024 à offrir pour les fêtes).
Parmi les initiatives qui nous ont particulièrement inspirés figure le projet « Une chouette pour la paix », qui consiste à installer des nichoirs de part et d’autre de frontières entre pays en conflit, comme entre Israël et la Palestine. Ce projet encourage la coopération transfrontalière et sensibilise à la préservation de l’environnement. Même si nous avons la chance d’être en paix dans notre pays, nous avons trouvé cette démarche exemplaire, car elle associe enjeux environnementaux et une dimension humaine. C’est pourquoi notre projet vise également à impliquer différents publics (notre second axe du projet) : agriculteurs, scolaires, personnes en situation de handicap, personnes âgées, etc. Chacun peut ainsi devenir acteur direct de la préservation de la biodiversité via la création et installation des nichoirs.
Enfin, les actions menées en Suisse nous ont incités à innover en installant des nichoirs à Effraies des clochers au cœur des plaines agricoles, et non plus seulement dans des clochers ou des bâtiments. En effet, l’Effraie des clochers, tout comme le Faucon crécerelle, sont capables de s’installer dans les lieux que nous jugeons « désertiques », il suffit parfois de leur donner un petit coup de pouce.
9 – Vous allez poser (ou avez déjà posé) des nichoirs pour chevêches dans les vergers : y-a-t-il encore des vergers actifs dans votre secteur de la Meuse ? Les propriétaires contactés sont-ils intéressés par vos démarches ?
Ancien arbre fruitier dans un pré-verger dans la Meuse. |
Sébastien Lartique : malheureusement, comme dans beaucoup d’autres territoires en France, les vieux arbres fruitiers se font de plus en plus rares (lire L’importance des pommiers pour les oiseaux, notamment en automne et en hiver). Pourtant, l’activité arboricole en Meuse est encore très présente, avec notamment la production de la fameuse mirabelle mais aussi la production de pommes et d’autres fruits. Les arbres plantés sont souvent du type basse-tige, et au bout de quelques années, ils sont arrachés puis remplacés par des arbres plus jeunes dans l’espoir de redynamiser la production. Ces pratiques ne laissent donc aucune chance de se voir former des cavités naturelles pour la nidification des oiseaux. Un constat marquant est celui des Côtes de Meuse, où les vergers et vignobles sont très nombreux, mais où la Chevêche d’Athéna est quasiment absente. Pourtant, entre les vergers et les pâtures voisines, les ressources alimentaires pourraient suffire à l’installation de cette espèce, mais le manque d’abris pour la nidification est une des raisons pour laquelle elle ne prospère pas.
10 – Pour la pose de nichoirs pour Chevêches d’Athéna, vous indiquez que vous choisissez des pré-vergers avec une présence avérée de l’espèce dans les environs (moins de 10 km) : pourquoi un pré-verger et pas un verger ? Comment a été déterminée cette distance de présence ?
Sébastien Lartique : contrairement aux vergers, nous choisissons les pré-vergers puisque généralement les arbres encore présents n’ont plus d’objectif de production, et ce sont les derniers endroits où l’on trouve encore de vieux fruitiers offrant des cavités naturelles pour la chevêche.
En outre, avec la présence du pâturage extensif, ce type de milieu offre une riche biodiversité et des ressources alimentaires. A contrario, comme expliqué précédemment, les vergers « modernes » sont utilisés de manière intensive, la végétation est quasiment absente sous les arbres et l’utilisation des produits phytosanitaire est un frein au développement de la biodiversité, bien que nous notions depuis quelques années une meilleure prise en compte de l’environnement et le changement progressif des pratiques, qui deviennent plus respectueuses.
11- Vous allez poser (ou avez déjà posé) des nichoirs pour Effraies des clochers dans les églises et autres bâtiments : quels sont les critères importants à prendre en compte pour choisir les bâtiments ? Avez-vous des conseils pratiques à donner pour les personnes souhaitant en installer un chez elles ?
Première installation d’Effraies des clochers (Tyto alba) un mois seulement après la pose d’un nichoir. |
Sébastien Lartique : suite à nos quelques retours d’expérience et aux rapports publiés disponibles, il est préférable de poser un nichoir là où l’Effraie des clochers fréquente déjà les lieux. Poser un nichoir où nous n’avons aucun indice de présence (pelotes de réjection, fientes et/ou plumes) aura moins de chance d’être utilisé. Toutefois, placer un abri/nichoir est toujours un plus. Dans le meilleur des cas, l’espèce peut s’y installer très rapidement, comme ce fut le cas lors d’une pose dans une grange : nous avions placé le nichoir en mai et dès le mois suivant, un couple y avait élu domicile pour nicher ! Dans d’autres cas, il faudra attendre quelques années pour que des individus visitent les lieux et décident de s’y installer. Nous pouvons maximiser les chances d’installation en effectuant un pré-repérage d’occupation des lieux, mais au final, ce seront toujours les chouettes qui décideront d’y nicher ou pas.
12 – Vous allez poser (ou avez déjà posé) des nichoirs pour faucons dans des bâtiments agricoles, des cabanes, sur des pylônes, etc. Quels sont les critères importants à prendre en compte pour choisir les lieux d’accueil ? Avez-vous des conseils pratiques à donner pour les personnes souhaitant en installer un chez elles ?
Sébastien Lartique : là encore, dans l’idéal, avant de poser un nichoir, il est préférable de détecter une éventuelle fréquentation de l’espèce, ou à défaut, de s’assurer qu’elle est bien présente dans les environs (à moins d’un kilomètre où sera installé le nichoir). Ensuite, l’idée est de poser le nichoir à au moins cinq mètres de haut, dans un espace ouvert (lire Conseils pour favoriser la nidification du Faucon crécerelle sur une maison). Le nichoir pourra par exemple être posé en haut d’une antenne-relais, sur le pignon d’une ferme, sous le toit d’un vieux bâtiment, etc. Les faucons utilisent spontanément des cavités dans les murs ou des nids déjà existants. Enfin, il est important de veiller à ce que l’ouverture soit exposée dans les directions Nord/Nord-est, Est ou par défaut Nord/Nord-ouest. Il faut éviter l’exposition plein Sud, qui déplait généralement aux rapaces de chez nous.
13 – Sur votre site web, vous présentez les différents nichoirs (formes et dimensions) que vous souhaitez installer (pour l’Effraie des clochers, un nichoir extérieur à 3 m de haut, des dimensions de 50x50x60 cm et un trou d’envol de 12 x18 cm et un nichoir intérieur aux dimensions 75x60x60 cm et avec un trou envol de 12×18 cm, pour le Faucon crécerelle, un nichoir de 60x60x50 cm et une grande ouverture rectangulaire, et pour la Chevêche d’Athéna, un nichoir de 100x60x60 cm et un diamètre du trou d’envol de 7 cm). Comment avez-vous choisi ces modèles ? Sont-ils basés sur vos recherches ou expériences ?
Différents modèles de nichoirs pour Effraies des clochers (Tyto alba). |
Sébastien Lartique : lors de nos recherches bibliographiques, nous avons constaté qu’il existait une grande diversité de modèles de nichoirs pour une même espèce. Par exemple, la Chevêche d’Athéna peut utiliser des nichoirs en forme de « T », mais d’autres formes sont également utilisées avec la même efficacité, tout en étant plus faciles à construire. Notre expérience nous a montré que la forme du nichoir importait relativement peu, à condition de prévoir un volume intérieur suffisant pour accueillir les chouettes et leur nichée. Ainsi, pour l’Effraie des clochers, certains sites web proposent des nichoirs d’une longueur d’un mètre et même plus, mais une longueur de 70 cm s’avère généralement suffisante pour permettre la nidification. En revanche, il est essentiel de respecter les dimensions du trou d’envol : s’il est trop grand ou trop petit, d’autres espèces risquent de s’y installer ou, pire, de prédater l’hôte. Nous recommandons donc de se référer aux dimensions préconisées dans les ouvrages de référence.
Enfin, des études récentes ont mis en avant l’intérêt des systèmes « anti-prédation », qui consistent par exemple à installer un bout de tuyau PVC devant l’ouverture du nichoir (le prédateur glissera et n’arrivera pas à s’accrocher pour y rentrer). Dans la logique, l’absence de passage pour accéder à la cavité permet d’assurer la tranquillité de l’hôte et de favoriser sa nidification.
14 – Vous menez aussi depuis 2022 un projet Buteo Obs pour améliorer les connaissances sur la Buse variable dans plusieurs communes de la Meuse en impliquant le public : pensez-vous qu’il reste encore des choses à découvrir sur ce rapace ? Combien de Buses variables suivez-vous depuis le début du projet ? Comment se porte la population nicheuse de Buses variables dans la Meuse ?
Sébastien Lartique : oui, je pense sincèrement qu’il y a encore beaucoup de choses à découvrir, aussi bien sur la Buse variable que sur les autres espèces de rapaces, et ce d’autant plus avec l’essor de l’éthologie. A l’instar de Jane Goodall avec les chimpanzés, Diane Fossey et les Gorilles des montagnes ou plus récemment François et Véronique Sarano sur les cachalots et les requins, l’éthologie permet d’ouvrir des portes vers des connaissances plus précises. Les connaissances acquises mettent en avant la singularité de chaque individu constituant une espèce. L’éthologie ouvre ainsi un nouveau monde de connaissances, à condition d’y passer beaucoup de temps.
En Meuse, nous avons la chance que les populations de Buses variables se portent bien, très bien même. L’abondance des proies permet ainsi à certains couples de se contenter de territoires de moins 500 m² (contre 2 km² en moyenne). De mon côté, je suis trois couples depuis plus de quatre ans : cela représente de nombreuses sorties et plus de mille heures d’observation/an. Ces heures sur le terrain permettent de collecter de nombreuses données et couplées avec les observations des autres participants, elles contribuent à l’enrichissement des connaissances sur l’espèce.
15 – Auriez-vous des observations remarquables/intéressantes ou des anecdotes amusantes à partager concernant la Buse variable ?
Buse variable (Buteo buteo) à Frozes (Vienne) le 27 juillet 2021. |
Sébastien Lartique : oui, plusieurs. C’est ça aussi l’intérêt de l’éthologie, les cessions longues d’observation permettent d’observer des comportements et des situations particulières. Par exemple, on raconte souvent que chez les rapaces, c’est la femelle qui domine. Or, durant l’hiver 2024-2025, j’ai observé le mâle d’un des couples que je suis, profiter de la faiblesse d’un Pigeon ramier (Columba palumbus) qui était coincé entre deux labours pour l’attraper et le consommer sur place. Durant toute la durée de la scène, la femelle (adulte) est arrivée en émettant des cris réguliers semblables à ceux d’un jeune quémandant sa nourriture. Elle s’est approchée de la proie, mais à chaque fois le mâle l’a repoussée. Une fois repu, il est parti et lui a laissé les restes. Elle ne semblait donc pas être dominante dans ce couple.
En 2013, en Saône-et-Loire, j’ai pu suivre un couple durant près d’une année. De nature solitaire, le mâle adulte de la Buse variable chasse souvent dans son coin et ne se rapproche de la femelle que durant la période de nidification. Or là, durant toute l’année, j’ai pu observer très régulièrement le couple chasser côte à côte et j’ai pu observer des offrandes de proies entre le mâle et la femelle en dehors de la saison de nidification.
Par ailleurs, on raconte souvent que la Buse variable est « pataude », or un jour, alors qu’un mâle d’un des couples suivis avait attrapé un rongeur, deux Milans royaux (Milvus milvus) sont arrivés pour tenter de lui prendre sa proie. Lors de chacun de leur passage, la buse se couchait sur le dos, serres en avant, défendant son butin. Après une vingtaine de tentatives, elle a profité d’un moment de répit pour aller s’abriter sous une haie et manger tranquillement sa proie. En soit, l’anecdote ne semble pas impressionnante, mais observer la buse se défendre avec cette agilité déconcertante fut un sacré spectacle.
On pourrait aussi parler des buses qui se spécialisent dans la capture de certaines proies, comme les amphibiens, les vers ou les insectes, dans des habitats différents (lire Une Buse variable capture une carpe dans le Gard). Depuis un an, je suis un couple principalement forestier, un habitat où le suivi est plus complexe, car il est difficile d’effectuer un suivi à distance : il faut donc se remettre en question, changer ses habitudes et développer de nouvelles techniques.
16 – Sur votre site web, vous évoquez un projet d’étude (Buteo Trek) sur la Buse variable mené dans le Cézallier (Massif central) fin mai 2025 (mais aussi en 2022), dont le but était d’observer l’espèce pendant une semaine pour comprendre comment les buses réussissaient à nicher dans un secteur sans arbre : qu’avez-vous découvert ?
Séance d’observation des Buses variables (Buteo buteo) dans le Cézallier (Massif central) en 2025. |
Sébastien Lartique : en septembre et en octobre 2022, j’avais effectué un trek de deux mois en partant de la Lorraine pour rejoindre l’Aveyron, avec quelques petits détours dans la région d’Auvergne. Il s’agissait d’une aventure un peu particulière pour compter et observer les Buses variables croisées en chemin. J’ai pu confirmer la rareté des individus très sombres (trois seulement observée) durant toute la durée de la traversée, contrairement à ceux aux plumages pratiquement blanc (une cinquantaine rencontrée) et typique (près de 500). J’ai aussi pu mettre en évidence le type de paysage qui plait le plus à cette espèce, comme le bocage en Saône-et-Loire.
Dans le Cézallier, les recherches et les observations effectuées durant la période de nidification m’ont permis de comprendre que les adultes occupaient peu les espaces dépourvus d’arbres. De ce fait, ces zones vacantes sont surtout utilisées par les buses de première année et les immatures de seconde année. Nous n’avons pas détecté de couples nicheurs dans les grands espaces, hormis certains nids placés dans des vieux arbres en bordure de villages.
En reprenant mes notes de mon trek de 2022, j’ai pu constater que de nombreuses buses étaient présentes sur le plateau du Limon en Auvergne en automne. Ces milieux dépourvus d’habitation et d’arbres à des kilomètres à la ronde sont des terres d’élevage à la riche biodiversité. En 2026, une nouvelle petite expédition aura lieu dans les mêmes secteurs pour tenter de répondre à quelques questions : la présence des buses est-elle toute aussi importante en période de nidification qu’en période automnale ? Si oui, où nichent-elles ? Comme pour le Cézallier, est-ce seulement les buses immatures et solitaires qui profitent de l’absence de couples territoriaux pour fréquenter les lieux en période de nidification ?
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Compléments
À visiter
Le site web de l’association AssoButeo : assobuteo.jimdofree.com
Dans la galerie d’Ornithomedia.com
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