Une espèce en déclin en France, mais la barre des 100 chanteurs a été dépassée en 2025

Râle des genêts (Crex crex)

Râle des genêts (Crex crex) dans les Basses Vallées Angevines (Maine-et-Loire).
Photographie : Louis-Marie Préau / LPO Anjou

Le Râle des genêts (Crex crex) est un Rallidé mesurant entre 27 et 30 cm de long au plumage beige strié de noir sur le dessus et au dessus beige clair strié de roux dessous, aux sourcils, à la gorge et au haut de la poitrine gris-bleu, et au bec et aux longues pattes beige-rosé. En vol, ses ailes, plutôt courtes, sont roussâtres. Le chant du mâle (« krrr-krrr ») rappelle le bruit obtenu en frottant un ongle sur les dents d’un peigne. Il est émis en mai et en juin du crépuscule à l’aube (tant qu’un mâle n’est pas apparié, il chante pratiquement sans arrêt entre 23 h et 4 h).
Durant la période de nidification, le Râle des genêts se cantonne généralement dans les prairies, les friches et les abords de zones humides (lire Louis-Marie Préau et le livre « Basses Vallées Angevines, nature discrète et sauvage »), mais aussi dans les champs de céréales et les pâturages, atteignant localement 2 000 mètres d’altitude. La femelle niche au sol dans la végétation haute (lire Planter des orties pour aider le Râle des genêts sur l’île britannique de Rathlin).
Son aire de répartition s’étend de façon discontinue des îles britanniques au nord-ouest du lac Baïkal (Russie), et il hiverne dans les zones herbeuses et les savanes du sud-est de l’Afrique.
Autrefois commune, l’espèce subit depuis plusieurs décennies un déclin marqué dans la plupart des pays d’Europe occidentale à cause de l’intensification de l’agriculture et des fauches précoces fatales aux jeunes et même aux adultes. En France, le Râle des genêts est intégralement protégé et est inscrit sur la Liste Rouge des espèces menacées. Lors de l’enquête nationale réalisée en 2009, sa population était estimée entre 495 et 551 mâles chanteurs, contre 1 140 à 1 280 en 1998. En 2012, les dénombrements n’ont permis de recenser que 344 à 359 mâles. Ce déclin s’est poursuivi depuis, et moins de 100 mâles chanteurs avaient été comptés en 2022. Pour essayer d’enrayer cette chute, l’espèce bénéficie d’un nouveau Plan National d’Action pour la période 2023-2032. En 2025, les effectifs nationaux sont d’ailleurs repassés au-dessus de la barre des 100 mâles chanteurs (entre 108 et 117 recensés) pour la première fois depuis 2022, dont au moins 35 pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui bat un record (voir notre interview ci-dessous).
La tendance récente de l’évolution de la population est par ailleurs favorable dans plusieurs pays, comme en Irlande (lire La population irlandaise de Râles des genêts a augmenté de 35 % depuis 2018) et aux Pays-Bas (lire Forte augmentation surprise du nombre de chanteurs de Râles des genêts en 2024 aux Pays-Bas).

L’interview de Justin Chambrelin, Franck Chastagnol, Thomas Chateigner, Romain Riols et Pauline Toni (Ligue pour la Protection des Oiseaux Auvergne-Rhône-Alpes)

Situations du massif du Mézenc et du mont Gerbier-de-Jonc (Haute-Loire/Ardèche) et du plateau du Devès (Haute-Loire)

Situations du (1) massif du Mézenc, (2) du mont Gerbier-de-Jonc (Haute-Loire/Ardèche) et (3) du plateau du Devès (Haute-Loire), où 22 mâles chanteurs de Râles des genêts (Crex crex) ont été comptés au printemps 2025.
Carte : Ornithomedia.com

1- Le Râle des genêts nichait-il autrefois dans le Puy-de-Dôme, le Cantal et la Haute-Loire ?

LPO AuRA : Bernard Joubert, dans son avifaune de Haute-Loire (Centre Permanent d’Initiative pour l’Environnement du Velay (1992), avait livré cette analyse : « d’après l’atlas des oiseaux nicheurs du Massif central (Centre Ornithologique Auvergne – COA, 1977), les données sur la reproduction de l’espèce sont rares et épisodiques. Elle est donnée nicheuse certaine uniquement sur la planèze de Saint-Flour, dans le Cantal. Depuis, la nidification a été soupçonnée dans cette même région en 1986 (COA, 1987) et en 1977 et 1978 dans le département de l’Allier (COA, 1978 et 1979) ».
Pour la Haute-Loire, quatre mentions sont recensées jusqu’en 1990, « dont deux chanteurs distants de quelques mètres qui se tenaient le 13 juillet 1979 dans la végétation dense de la partie orientale du marais de Landos » (un site occupé en 2025).
Au XIXe siècle, toujours d’après Bernard Joubert : « F. Robert le mentionnait en 1827 dans les prairies autour du Puy et de Brioude, et Jean Moussier 1854) le citait comme très nombreux à l’automne parmi les cailles de passage ».
Plus récemment, des oiseaux ont été contactés en juin ou en juillet sur les plateaux d’Auvergne, mais ils n’ont pas fait l’objet de recherches spécifiques, les ornithologues les considérant parfois comme des individus esseulés, ayant échoué leur nidification en plaine. Toutefois, un chanteur a été noté en 2014 à Aydat (Puy-de-Dôme), et un mâle a été entendu du 2 au 10 juillet 2023 dans la commune de Valuéjols (Cantal), où des fauches retardées ont même été négociées par la LPO. L’espèce a également été entendue en 2024 sur la tourbière d’Issanlas par des éleveurs locaux, mais aucun naturaliste n’a réalisé d’écoute.
En 2024, des contacts réguliers ont eu lieu au début du mois de juillet dans les narses (dépressions humides) de Chaudeyrolles en Haute-Loire, à proximité des plateaux ardéchois, où l’espèce est nouvellement suivie et où des retards de fauche ont été obtenus par la LPO. Le 19 juillet, un poussin déjà grand a été trouvé écrasé sur la route sur la commune des Vastres, sur le plateau du Mézenc, en Haute-Loire (lire Observer les oiseaux sur le mont Mézenc), ce qui constitue la première preuve de reproduction de l’espèce en Auvergne au XXIe siècle.

2- Un mâle chanteur avait été repéré le 31 mai 2025 sur un plateau de la Haute-Loire: cette observation avait-elle été faite par hasard ou lors d’un recensement ornithologique ? L’oiseau avait-t-il seulement été entendu ? Dans quel secteur s’agissait-il plus précisément ?

Vue du plateau du Devès (Haute-Loire)

Vue du plateau du Devès (Haute-Loire).
Carte : Ornithomedia.com 

LPO AuRA : oui, c’est lors d’une prospection pour la sauvegarde des nids de Busards cendrés (Circus pygargus) que cet oiseau avait été entendu en plein jour, au sud du plateau du Devès (lire Balades ornithologiques à partir du village de Cayres). Un enregistreur a été rapidement posé (lire Utiliser des Unités d’Enregistrement Autonomes pour étudier les oiseaux), mais il a révélé que l’oiseau n’était pas resté. Dans le département voisin de l’Ardèche, les premiers chanteurs ont été entendus sur la tourbière d’Issanlas dès le 15 mai 2025 par des éleveurs locaux, puis confirmés par des soirées d’écoutes de la LPO.

3- En 2025, plus de dix bénévoles de la Haute-Loire et de l’Ardèche ont recensé 22 mâles chanteurs (12 en Haute-Loire et 10 en Ardèche) : était-ce uniquement dans des prairies de fauche ou également dans des cultures ? Quelle était l’altitude moyenne ?

LPO AuRA : les oiseaux recensés dans ces deux départements font partie de la même zone géographique, celle du plateau de Mézenc et du mont Gerbier-de-Jonc, où la Loire prend sa source. Ils ont été notés
dans des zones humides non exploitées en bordure de prairies de fauches, ou directement dans des prairies naturelles de fauche. Certains individus ont également été entendus dans des tourbières. L’altitude moyenne était de 1 100 mètres. 

4- Afin de préserver les nids potentiels de Râles des genêts jusqu’à l’envol des jeunes, la LPO a pris contact avec les agriculteurs pour pratiquer un retard de fauche dans les parcelles occupées : quelle a été leur réaction ? Cette fauche retardée at-elle été effective dès 2025 ?

LPO AuRA : le retard de fauche n’a pu être proposé que sur un site, car même sur les plateaux d’altitude, les coupes ont été réalisées précocement du fait de la canicule de juin (lire La fenaison, une période importante pour certains rapaces). Dans le site de Chaudeyrolles, à 1 230 mètres d’altitude, dans le massif du Mézenc (Haute-Loire), les deux agriculteurs concernés ont été réceptifs, et ce d’autant que la LPO a fait en sorte qu’ils puissent toucher une indemnisation pour le manque à gagner avec l’aide de la région Auvergne-Rhône-Alpes, gestionnaire du site Natura 2000 « secteur des sucs Gerbier et Mézenc ». L’un d’entre eux a fauché à la fin du mois de juillet, et l’autre à la fin du mois d’août. Au total, 19 hectares de prairies ont ainsi été fauchés de façon différée. La fenaison a ensuite été effectuée lentement, en commençant par le centre pour faire fuir les oiseaux, en présence d’un bénévole de la LPO et de deux agents de la région Auvergne-Rhône-Alpes : le 29 juillet, ils ont ainsi observé quatre jeunes.

5- D’après vous, quelle pourrait être la taille maximum de cette population récemment découverte dans les prairies d’altitude de la région Auvergne-Rhône-Alpes ? Quels massifs et plateaux pourraient potentiellement accueillir l’espèce ?

Vue sur le mont Mézenc depuis les hauts plateaux de Haute-Loire

Vue sur le mont Mézenc depuis les hauts plateaux de Haute-Loire.
Photographie : Yohann Benmalek / Wikimedia Commons

LPO AuRA : en Auvergne, au cours des vingt dernières années, les données sont annuelles, surtout concentrées en juin et en juillet et concernent essentiellement des secteurs d’altitude, dans des mégaphorbiaies subalpines des massifs du Sancy et du Cantal (lire À la découverte des oiseaux du massif du Sancy), dans des prairies humides fauchées dans le massif du Cantal et sur la planèze de Saint-Flour, ainsi que sur les plateaux du Mézenc, du mont Gerbier-de-Jonc et du Devès, à cheval sur les départements de la Haute-Loire et de l’Ardèche.
La présence de l’espèce apparait fluctuante dans l’espace et dans le temps, et les observations dans la région Auvergne-Rhône-Alpes ont été jusqu’à présent considérées comme se rapportant à des migrateurs en halte prénuptiale (au printemps), ou à des chanteurs ne s’étant pas reproduits provenant d’autres pays européens (en été).
Les données de reproduction confirmées en Haute-Loire en 2024 et en 2025, ainsi que la récurrence de la présence de l’espèce dans certains sites, comme dans val de Courre dans le massif du Sancy, nous poussent donc à être plus vigilants dans l’avenir. Il est cependant probable que les effectifs de l’espèce soient très fluctuants, avec une quasi-absence certaines années. Les 22 mâles contactés en 2025 en Haute-Loire et en Ardèche constituent une grande première, résultant certainement de la combinaison d’une année « faste » et d’un effort de prospection inédit. L’avenir nous en dira plus.
Précisons que des observations opportunistes, mais régulières, sont également faites dans d’autres départements (Drôme et Isère) de la région Auvergne-Rhône-Alpes, et que la population installée dans la zone Natura 2000 des « prairies humides et forêts alluviales du Val de Saône »,
à la limite de l’Ain et de la Saône-et-Loire, qui est suivie depuis plusieurs dizaines d’années, connaît des saisons très fluctuantes, avec des années très mauvaises et d’autres meilleures, comme en 2025 (huit à neuf mâles contactés).

6- Il existe aussi une population de Râles de genêts dans des prairies de fauche entre 1 000 et 1 400 mètres d’altitude dans les Alpes-de-Haute-Provence et dans les Alpes-Maritimes : ces deux populations ont-elles donc a priori les mêmes exigences écologiques ?

Justin Chambrelin (LPO France) : la plupart des observations réalisées dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur sont effectuées entre 1 600 et 1 800 mètres d’altitude (lire Aurélie Torres : recenser les Râles des genêts « montagnards » mal connus des Alpes du Sud). Ce sont essentiellement des prairies de fauche, et plus occasionnellement des pâturages, mais qui ne sont pas systématiquement humides. Les études d’utilisation d’habitat sont en cours dans le cadre d’une thèse de Ryan Boswarthick portée par la LPO Anjou, le Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Évolutive et le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris.

7- Pensez-vous que les prairies de fauche de moyenne montagne constituent un refuge pour le Râle des genêts car l’agriculture y est moins intensive qu’en plaine ? Est-ce selon vous une adaptation aussi au changement climatique ?

Râle des genêts (Crex crex)

Râle des genêts (Crex crex) chanteur dans une prairie de fauche en montagne à Soleilhas (Alpes-de-Haute-Provence) en juin 2022.
Photographie : Nicolas Martinez

Justin Chambrelin (LPO France) : la présence du Râle des genêts dans les Alpes suisses, italiennes et françaises est connue depuis longtemps, et le rôle du changement climatique est donc difficile à évaluer. L’espèce a probablement été longtemps sous-détectée dans ces milieux en raison de sa discrétion et de son apparition « irruptive » et donc imprévisible, la répartition spatio-temporelle de ses effectifs étant très aléatoire d’une année à l’autre. En Suisse, le dernier pic du nombre de chanteurs a eu lieu en 2020, et les effectifs helvétiques sont passés de sept nicheurs certains en 2019, à 50 en 2020, pour revenir à 4 en 2021 (Luc Lombardo, 2024). Ce phénomène a aussi eu lieu en France en 2020, où les effectifs sont passés de 77 à 106 mâles chanteurs en 2019 à 205 – 227 en 2020, pour revenir à 117 – 150 mâles chanteurs en 2021 (T. Hercé et al., 2024).

8- Pourriez-vous nous conseiller quelques secteurs dans les départements de Haute-Loire, d’Ardèche et du Cantal pour avoir une chance d’entendre le Râle des genêts ?

LPO AuRA : dans le Cantal, la planèze de Saint-Flour est favorable (lire Observer les oiseaux dans les prairies humides d’altitude de la narse de Nouvialle) les plateaux du Mézenc et le mont Gerbier-de-Jonc sont conseillés en Haute-Loire et en Ardèche, ainsi que le val de Courre dans le massif du Sancy (Puy-de-Dôme).

9- Est-il possible de participer à des comptages futurs dans la région Auvergne-Rhône-Alpes ?

LPO AuRA : le comptage national a lieu à la mi-juin, et il est possible d’y participer en contactant la LPO Auvergne-Rhône-Alpes et/ou ses antennes locales (site web : auvergne-rhone-alpes.lpo.fr). 

Réagir à notre article

Réagissez à cet article en publiant un commentaire