Le Râle des genêts, une espèce en déclin en France

Râle des genêts (Crex crex) chanteur dans une prairie de fauche dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur

Râle des genêts (Crex crex) récupéré dans un centre de sauvegarde de la LPO Provence-Alpes-Côte d’Azur en 2021 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Anaïs Thomas

Le Râle des genêts (Crex crex) est un Rallidé mesurant entre 27 et 30 cm de long au plumage beige strié de noir sur le dessus et au dessus beige clair strié de roux dessous, aux sourcils, à la gorge et au haut de la poitrine gris-bleu, et au bec et aux longues pattes beige-rosé. En vol, ses ailes, plutôt courtes, sont roussâtres. Le chant du mâle (« krrr-krrr ») rappelle le bruit obtenu en frottant un ongle sur les dents d’un peigne. Il est émis en mai et en juin du crépuscule à l’aube (tant qu’un mâle n’est pas apparié, il chante pratiquement sans arrêt entre 23 h et 4 h).
Durant la période de nidification, le Râle des genêts se cantonne généralement dans les prairies, les friches et les abords de zones humides, mais aussi dans les champs de céréales et les pâturages, atteignant localement 2 000 mètres d’altitude. La femelle niche au sol dans la végétation haute.
Son aire de répartition s’étend de façon discontinue des îles britanniques au nord-ouest du lac Baïkal (Russie), et il hiverne dans les zones herbeuses et les savanes du sud-est de l’Afrique.
Autrefois commune, l’espèce subit depuis plusieurs décennies un déclin marqué dans la plupart des pays d’Europe occidentale à cause de l’intensification de l’agriculture et des fauches précoces fatales aux jeunes et même aux adultes. En France, le Râle des genêts est intégralement protégé, est inscrit en danger sur la Liste Rouge des espèces menacées (UICN France, 2016). Lors de l’enquête nationale de 2009, sa population était estimée entre 495 et 551 mâles chanteurs, contre 1 140 à 1 280 en 1998. En 2012, les dénombrements n’ont permis de recenser que 344 à 359 mâles. Ce déclin s’est poursuivi depuis, et moins de 100 mâles chanteurs ont été comptés en 2022. Pour essayer d’enrayer cette chute, l’espèce bénéficie d’un nouveau Plan National d’Action pour la période 2023-2032. La tendance n’est toutefois pas aussi mauvaise partout en Europe, comme en Irlande (lire La population irlandaise de Râles des genêts a augmenté de 35 % depuis 2018) ou en Écosse (Grande-Bretagne) (lire Nombre record de Râles des genêts en Écosse en 2014).

Les Alpes accueillent aussi des populations de Râles des genêts

Val Müstair (Suisse)

Le Râle des genêts (Crex crex) niche par exemple dans les prairies de fauche du val Müstair, dans le canton des Grisons (Suisse) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : Roland Zumbühl / Wikimedia Commons

En France, le Râle des genêts est généralement associé aux prairies des plaines alluviales, comme les basses vallées angevines (Maine-et-Loire) (lire Louis-Marie Préau et le livre « Basses Vallées Angevines, nature discrète et sauvage ») ou la vallée de l’Oise (lire Observer le Râle des genêts dans la vallée de l’Oise), mais on peut le rencontrer également dans quelques secteurs de prairies de fauche et de pâturages au-dessus de 1 000 mètres d’altitude dans les Alpes-Maritimes et dans les Alpes-de-Haute-Provence, où treize mâles chanteurs ont été comptés en 2023 (lire la déclinaison régionale du Plan National d’Actions Râle des genêts en Provence Alpes-Côte d’Azur).
La présence de l’espèce dans le massif alpin est méconnue et n’est pas limitée à la France. La population italienne est ainsi concentrée dans les Alpes : de 160 à 200 mâles chanteurs y ont été recensés, dont la moitié dans la province autonome de Trente. Dans le Piémont et la Vallée d’Aoste, des chanteurs ont par exemple été notés au-dessus de 1 800 mètres d’altitude dans les pâturages et les prairies du val Cluson et des hautes vallées de la Varaita, de la Maira et de la Grana.
En Suisse, où le nombre de mâles chanteurs recensés chaque année varie entre 12 et 87, l’espèce est contactée majoritairement entre 1 000 et 2 000 mètres d’altitude dans des prairies de fauche : une nichée a par exemple été découverte en 2005 à 1 940 mètres d’altitude dans le val Müstair, dans le canton des Grisons. 
En haute montagne, la hauteur de la végétation ne devient suffisante pour la nidification du Râle des genêts qu’au cours du mois de juin, ce qui explique pourquoi la plupart des chanteurs ne sont contactés en Suisse qu’à partir de ce mois : il s’agit probablement d’individus chassés par une fauche trop précoce dans d’autres pays et/ou cherchant un nouveau site pour une deuxième nichée. Les jeunes de ces nichées tardives éclosent généralement en juillet et en août.
L’agriculture étant généralement moins intensive en montagne qu’en plaine, et le réchauffement climatique rendant peut-être certains territoires trop secs, les prairies et les pâturages d’altitude pourraient peut-être servir localement de refuges pour l’espèce à moyen terme, où en tout cas de « zones de la seconde chance ». La proportion d’individus observés au-dessus de 1 000 mètres d’altitude a d’ailleurs augmenté au cours des vingt dernières années dans la confédération helvétique, mais aussi en Italie, en Autriche (de 150 à 400 mâles chanteurs pour la période 2013-2018) et en Slovénie (de 240 à 350 mâles chanteurs pour la période 2013-2018). Toutefois, l’embroussaillement des prairies suite à l’abandon agricole constitue un facteur négatif qui pourrait limiter la capacité d’accueil de ces habitats montagneux, le Râle des genêts préférant les surfaces fauchées régulièrement.

Deux camps de prospection en juin 2024 dans les Alpes du Sud

Situations des secteurs de Péone/Beuil (Alpes-Maritimes) et de Seyne/Auzet (Alpes-de-Haute-Provence)

Situations des secteurs de Péone/Beuil (Alpes-Maritimes) et de Seyne/Auzet (Alpes-de-Haute-Provence).
Carte : Ornithomedia.com

Afin de mieux connaître le statut du Râle des genêts dans les Alpes méridionales, la Ligue pour la Protection des Oiseaux organise deux camps de prospection ouverts du 14 au 16 juin 2024 (accueil le vendredi midi, repérage les vendredi et samedi après-midi et écoute les deux soirs, et séjour, dîner et petit-déjeuner pris en charge) dans deux secteurs favorables :

  • les prairies de fauche des communes de Péone et de Beuil (Alpes-Maritimes). Cliquez ici pour remplir le formulaire d’inscription. Contact : pierre.zimberlin@lpo.fr.
  • Les prairies de fauche des communes de Seyne et d’Auzet (Alpes-de-Haute-Provence). Cliquez ici pour remplir le formulaire d’inscription. Contact : aurelie.torres@lpo.fr.

L’interview d’Aurélie Torres (Ligue pour la Protection des Oiseaux)

1- Combien de chanteurs de Râles des genêts ont été recensés dans les Alpes-de-Haute-Provence et dans les Alpes-Maritimes lors des derniers comptages ? Quelle est la tendance ?

Aurélie Torres : depuis 2021, la LPO Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) participe au Plan National d’Actions dédié à l’espèce et organise des enquêtes participatives et des camps de prospection annuels grâce au financement de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) PACA. Ces animations ont permis de recenser respectivement sept, six, quatre et deux mâles chanteurs en 2020, 2021, 2022 et 2023 dans les Alpes-de-Haute-Provence. Précisons que l’effort de prospection a été moindre en 2023, du fait notamment de l’absence de camp de prospection dans le secteur le plus prometteur pour l’espèce, comprenant les communes de Seynes et d’Auzet.
Dans les Alpes-Maritimes, nous n’avons pas encore suffisamment de recul pour déterminer si la population est plus importante ou non que dans les Alpes-de-Haute-Provence, d’autant plus que cela n’a pas vraiment de sens d’un point de vue biologique, étant donné les capacités de dispersion de l’espèce. Les effectifs recensés dans ces deux départements étant faibles, nous préférons parler de population régionale composée de deux noyaux de population actuellement connus.
Le Râle des genêts a été détecté beaucoup trop récemment dans ces deux départements pour que l’on puisse avoir une idée de l’évolution des effectifs régionaux, même si la tendance est négative au niveau national. 

2- Dans les Alpes-de-Haute-Provence et dans les Alpes-Maritimes, le Râle des genêts fréquente les prairies de fauche entre 1 000 et 1 400 mètres d’altitude et les pâturages jusqu’à 1 850 mètres d’altitude : ces habitats sont-ils en régression ? Sont-ils plutôt humides ? L’espèce recherche-t-elle particulièrement certains types de parcelles (planes, etc.) ?

Vue de l'habitat du Râle des genêts (Crex crex) dans la commune de Seyne (Alpes-de-Haute-Provence)

Vue de l’habitat du Râle des genêts (Crex crex) dans la commune de Seyne (Alpes-de-Haute-Provence) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : LPO PACA

Aurélie Torres : de façon générale, les prairies de fauche et les pâturages d’altitude sont menacés par le changement climatique, mais aussi par une modification de l’occupation du sol (NDLR urbanisation, etc.) et la déprise agricole. Par ailleurs, les prairies sont fauchées de plus en plus tôt, n’offrant aux râles qu’une période de plus en plus courte pour mener à bien leur cycle de reproduction (de la ponte à l’envol des jeunes), remplacer l’intégralité de leur plumage (qui induit une perte de la capacité de vol) et faire des réserves alimentaires avant la migration postnuptiale.
Du fait de l’utilisation de produits phytosanitaires, la quantité d’insectes disponible dans les prairies de fauche est également en diminution.
Les prairies de fauche fréquentées peuvent être temporairement inondées, mais l’espèce nichant au sol, évite les zones trop humides. Elle recherche des parcelles suffisamment vastes et un paysage homogène, délaissant les secteurs trop fragmentés. 

3- Les Râles des genêts reviennent-ils de migration en mai en montagne, comme en plaine ?

Aurélie Torres : le Râle des genêts revient plus tardivement de migration en Provence-Alpes-Côte-d’Azur que dans le reste de la France. Les premiers oiseaux arrivent ainsi dès la mi-avril dans les Basses Vallées Angevines (ou en Écosse), et près d’un mois plus tard dans la région. Il s’agirait d’individus ayant échoué lors de leur première tentative de reproduction, et qui feraient une seconde tentative. Précisons qu’actuellement, nous ne disposons d’aucune preuve de nidification certaine de l’espèce dans les Alpes françaises.

4 – Les agriculteurs locaux sont-ils sensibilisés à la protection de cette espèce ? Quelles actions sont-elles menées ? Quelles menaces pèsent sur l’espèce dans le secteur ?

Aurélie Torres : la découverte de l’espèce dans les Alpes-de-Haute-Provence et dans les Alpes-Maritimes étant récente (les contacts étaient  sporadiques jusqu’en 2019 et les recherches n’ont véritablement débuté qu’en 2020), les agriculteurs de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur connaissent encore peu l’espèce, contrairement à d’autres secteurs en France où l’espèce est suivie depuis des dizaines d’années. Nous initions donc un travail de sensibilisation auprès des propriétaires de parcelles accueillant l’espèce, en vue de mettre en place des mesures d’urgence dans un premier temps, puis de contractualiser des mesures agro-environnementales et climatiques à plus long terme. Les principales menaces qui pèsent sur les Râles des genêts nicheurs sont des dates de fauche beaucoup trop précoces, et localement la déprise agricole.

5- Les secteurs fréquentés dans les Alpes-de-Haute-Provence et dans les Alpes-Maritimes sont-ils protégés d’une façon ou d’une autre ?

Aurélie Torres : dans ces deux départements, les secteurs fréquentés sont généralement situés dans un site Natura 2000 ou dans le territoire d’un parc naturel régional ou national. Toutefois, la conservation de l’habitat et la mise en œuvre de pratiques de gestion (dates de fauche tardive notamment) compatibles avec la reproduction de l’espèce ne sont pas garanties dans l’ensemble des zones favorables.

6- Les communes de Seyne et d’Auzet (Alpes-de-Haute-Provence) et de Péone et de Beuil (Alpes-Maritimes) sont-elles les seules à accueillir cette espèce dans ces deux départements ? Quels sont les autres secteurs connus ?

Vue de l'habitat du Râle des genêts (Crex crex) dans la commune de Péone (Alpes-Maritimes)

Vue de l’habitat du Râle des genêts (Crex crex) dans la commune de Péone (Alpes-Maritimes) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : LPO PACA

Aurélie Torres : l’espèce a été contactée dans d’autres communes des Alpes-de-Haute-Provence, comme Peyroules, Thorame-Haute, Le Vernet, Saint-Geniez, Sisteron, Venterol, Faucon-de-Barcelonnette et Val d’Oronaye. Cet inventaire n’est toutefois pas exhaustif et beaucoup d’autres secteurs sont à prospecter. Dans les Alpes-Maritimes, un autre secteur connu se situe dans le parc naturel régional des Préalpes d’Azur (lire Observer les oiseaux sur les plateaux de Calern et de Caussols), mais là encore, de nombreux secteurs mériteraient des recherches ciblées afin de découvrir peut-être de nouveaux territoires.

7- Dans les Alpes-de-Haute-Provence et dans les Alpes-Maritimes, peut-on écouter les râles depuis les routes départementales ou les sentiers ?  

Aurélie Torres : le chant du Râle des genêts porte assez loin, et il n’est donc pas nécessaire de pénétrer dans les prairies pour l’entendre. Pour avoir une chance de découvrir l’espèce en compagnie d’observateurs avertis et de participer à son recensement, nous vous invitons à vous inscrire (gratuitement) aux camps de prospection organisés du 14 au 16 juin 2024 dans les communes de Seyne et d’Auzet (Alpes-Maritimes) et de Beuil et de Péone (Alpes-Maritimes).  

8- Quelles autres espèces d’oiseaux peuvent être observées dans le même habitat que le Râle des genêts dans les Alpes-de-Haute-Provence et dans les Alpes-Maritimes ?  

Aurélie Torres : de nombreuses autres espèces agricoles peuvent être observées dans le même biotope que le Râle des genêts, comme l’Alouette des champs (Alauda arvensis), le Bruant jaune (Emberiza citrinella), le Tarier des prés ou Traquet tarier (Saxicola rubetra) (lire Pétrel et Traquet, deux noms génériques d’oiseaux qui seraient utilisés à tort), la Caille des blés (Coturnix coturnix), etc.

9- Vous organisez deux camps de prospection naturalistes dans les deux départements du 14 au 16 juin 2024 : reste-t-il encore des places ? Faut-il être un observateur confirmé pour y participer ?

Aurélie Torres : il reste encore des places pour les deux camps de prospection, mais n’attendez pas pour vous inscrire. Le chant du mâle étant caractéristique, nul besoin d’être un expert pour participer. Les observations se feront en binôme-trinôme, où un observateur confirmé sera présent pour aider au positionnement des points d’écoute et à la localisation précise des mâles chanteurs.

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