Les effets des incendies sur les populations d’oiseaux forestiers varient en fonction de nombreux facteurs

Paysage calciné près de Ribaute (Aude)

Paysage calciné près de Ribaute (Aude) le 11 août 2025.
Photographie : Simon de l’Ouest / Wikimedia Commons

Le passage du feu peut créer des niches écologiques disponibles pour certaines espèces animales et végétales recherchant des milieux moins denses, plus ouverts et donc plus lumineux. Pour cette raison, des brûlages contrôlés, « imitant » les effets des incendies naturels, déclenchés par exemple par la foudre, sont parfois réalisés par les gestionnaires pour empêcher l’envahissement de certains secteurs par les arbres et les arbustes et pour favoriser l’installation d’oiseaux et de plantes rares, ou pour créer des bandes pare feu limitant la propagation des flammes.
Toutefois, en raison de différents facteurs, comme l’abandon de l’agriculture et du pâturage, la fréquentation croissante des espaces naturels par des utilisateurs parfois imprudents et/ou le réchauffement climatique, la fréquence et l’intensité des incendies ne correspondent plus au rythme naturel du passage du feu. En outre, leur ampleur a tendance à augmenter (lire Les effets des incendies sur les oiseaux forestiers du sud-est de l’Australie).
Des passages trop rapprochés du feu occasionnent des changements profonds dans la structure du sol et de la végétation, rendant difficile le retour à une forêt « équilibrée » et créant un milieu fragilisé.  
La plantation d’arbres pour reboiser des secteurs incendiés peut accélérer le retour de la flore et de la faune forestières, mais  elle peut aussi homogénéiser les habitats, ce qui peut avoir un impact négatif sur les espèces préférant des milieux plus ouverts.
L’exploitation forestière de récupération (« salvage logging » en anglais) est une pratique courante de gestion qui consiste à retirer les arbres morts ou endommagés dans les zones brûlées ou dévastées par une tempête ou une inondation. Cette perturbation supplémentaire, qui peut avoir une justification économique (récupérer du bois pouvant être vendu) et/ou pratique (dégager certains secteurs), a toutefois un impact significatif sur la diversité ornithologique en supprimant les souches et les cavités qui constituent des abris, des sites de nidification et de nourrissage, en perturbant le comportement des espèces les plus territoriales et en modifiant la régénération végétale naturelle. Pourtant, les espèces les plus généralistes peuvent faire preuve d’une capacité d’adaptation surprenante, si on leur en laisse l’occasion.
Il est important d’identifier les facteurs sous-jacents qui influencent les variations des communautés d’oiseaux après le passage du feu, en se concentrant particulièrement sur les caractéristiques de  l’incendie (intensité et hétérogénéité) et des zones touchées (relief, humidité, structure de la végétation, etc.) et sur la gestion forestière post-incendie.

Une étude menée en Catalogne espagnole

Emplacements des 68 zones ayant brûlé en Catalogne (Espagne)

Emplacements des 68 zones ayant brûlé en Catalogne (Espagne) prises en compte dans l’étude.
Carte : Ornithomedia.com d’après Roger Puig-Gironès et al

L’étude a été présentée en 2023 dans la revue Forest Ecology and Management. Elle a été menée en Catalogne (Espagne), une région au climat essentiellement méditerranéen, mais d’une grande hétérogénéité environnementale due à de forts gradients climatiques et géologiques. Comme dans une grande partie de la péninsule ibérique, le manque d’eau constitue le principal facteur de stress environnemental. Les forêts recouvrent aujourd’hui 31 % de la communauté autonome, mais environ 25 % des territoires naturels ont déjà brûlé au moins une fois depuis 1975. En outre, la déprise agricole a conduit à une augmentation de la surface des zones affectées par les incendies, dont l’intensité est par ailleurs croissante. 

Des inventaires ornithologiques effectués dans 68 zones brûlées

Un échantillon de 68 secteurs, d’une superficie allant de 51 à 6 647 hectares et ayant été touchés au moins une fois par un incendie entre 2000 et 2011, a été choisi. Dans chaque zone brûlée, des comptages ornithologiques ont été menés au moins une fois par an sur une période de un  à neuf ans dans des périmètres de 500×200 mètres, espacés les uns des autres d’au moins 150 mètres et placés à au moins 50 mètres de l’extrémité de la zone touchée. Les observations effectuées en dehors de ces rectangles ont été exclues.
Au total, 3 048 inventaires ont été réalisés dans 685 périmètres. Chacun d’entre eux a duré 15 minutes, divisées en trois périodes de cinq minutes, et couvrait environ 165 mètres de longueur. Les oiseaux étaient comptés s’ils étaient entendus ou vus dans l’une des trois bandes de détection (de 0 à 25 mètres, de 25 à 50 mètres ou de 50 à 100 mètres). Ces comptages ont été menés une fois durant la saison de reproduction (du 10 mai au 15 juin), par beau temps (c’est-à-dire sans pluie ni vent fort), dans les quatre premières heures après le lever du soleil et par des ornithologues expérimentés marchant à environ 2 km/h.

Les espèces forestières prises en compte dans l’étude

Pipit des arbres (Anthus trivialis)

Le Pipit des arbres (Anthus trivialis) a été observé dans moins de 12 des 68 zones brûlées en Catalogne (Espagne) prises en compte dans l’étude.
Photographie : Gilles Bourrioux

Les espèces d’oiseaux se spécialisent souvent dans des habitats particuliers et constituent donc des indicateurs utiles sur leur habitat : ainsi leur présence après un incendie peut fournir des informations précieuses sur la structure d’une forêt. Les auteurs ont sélectionné des espèces forestières méditerranéennes ayant une forte préférence pour les forêts matures, humides ou ouvertes, et ils ont exclu les spécialistes des écosystèmes de transition (comme les lisières), du maquis et de la garrigue. 
Pour mesurer l’abondance relative des oiseaux forestiers, ils ont utilisé leur fréquence d’occurrence (nombre de présences/nombre total de relevés) par périmètre parcouru.
Ils ont concentré leur étude sur les espèces qui ont été détectées dans au moins 12 des 68 zones brûlées étudiées, excluant ainsi le Pipit des arbres (Anthus trivialis), le Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca), le Bec-croisé des sapins (Loxia curvirostra), le Pouillot véloce (Phylloscopus collybita), la Sittelle torchepot (Sitta europaea), la Fauvette des jardins (Sylvia borin) et la Grive musicienne (Turdus philomelos). Toutefois, celles-ci ont été incluses dans les 27 utilisées pour effectuer l’analyse de la diversité :

  • Orite à longue queue (Aegithalos caudatus)
  • Pipit des arbres (Anthus trivialis)
  • Grimpereau des jardins (Certhia brachydactyla)
  • Pigeon ramier (Columba palumbus)
  • Coucou gris (Cuculus canorus)
  • Pic épeiche (Dendrocopos major)
  • Rougegorge familier (Erithacus rubecula)
  • Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca)
  • Pinson des arbres (Fringilla coelebs)
  • Geai des chênes (Garrulus glandarius)
  • Bec-croisé des sapins (Loxia curvirostra)
  • Rossignol philomèle (Luscinia megarhynchos)
  • Loriot d’Europe (Oriolus oriolus)
  • Mésange noire (Periparus ater)
  • Mésange bleue (Cyanistes caeruleus)
  • Mésange huppée (Lophophanes cristatus)
  • Mésange charbonnière (Parus major)
  • Pouillot de Bonelli (Phylloscopus bonelli)
  • Pouillot véloce (Phylloscopus collybita)
  • Pic vert (Picus viridis)
  • Roitelet triple-bandeau (Regulus ignicapilla)
  • Sittelle torchepot (Sitta europaea)
  • Fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla)
  • Fauvette des jardins (Sylvia borin)
  • Troglodyte mignon (Troglodytes troglodytes)
  • Merle noir (Turdus merula)
  • Grive musicienne (Turdus philomelos).

Les variables environnementales prises en compte

Paysage dévasté par un incendie près de Bages en Catalogne (Espagne)

Paysage dévasté par un incendie près de Bages en Catalogne (Espagne).
Photographie : Generalitat de Catalunya / Wikimedia Commons

Plusieurs variables environnementales ont été définies dans les zones brûlées (temps écoulé depuis le passage du feu et distance par rapport aux parcelles non brûlées) et dans les périmètres de comptage (déficit hydrique, pourcentage boisé avant le feu, sévérité et hétérogénéité spatiale du feu, densité végétale des parcelles non brûlées, exploitation forestière post-incendie et présence de tas de bois mort).
La surface des périmètres d’étude était d’au moins 10 hectares, donc dans une zone brûlée de 50 hectares, deux à trois secteurs d’étude ont été définis, couvrant entre 40 et 60 % de la surface totale brûlée.
Le temps écoulé depuis l’incendie a été mesuré en comptant le nombre d’années passées depuis le passage du feu. 

Une analyse statistique des données 

Les relations entre la diversité des oiseaux forestiers migratrices et sédentaires (nombre d’espèces par périmètre d’étude et par année) et les différentes variables environnementales choisies ont été évaluées. 
Une étude statistique a été réalisée sur les données collectées. Elle était basée sur l’utilisation de modèles GAMM (additifs généralisés mixtes), pour analyser l’influence des variables environnementales sur la présence et sur la diversité des espèces, et GLMM (linéaires mixtes généralisés) pour évaluer l’effet des caractéristiques spatiales (taille de la zone brûlée et proximité de zones non brûlées) et des traitements forestiers post-incendie (coupe des arbres brûlés et mise en place de tas de bois). Le logiciel R et d’autres programmes spécialisés ont été utilisés.  

Les espèces les plus souvent contactées

Mésange charbonnière (Parus major)

La Mésange charbonnière (Parus major) a été observée dans la plupart des zones brûlées de l’étude.
Photographie : Charlie Potier

Au cours de l’étude, 7 471 contacts de 27 espèces d’oiseaux forestiers ont été obtenus dans les 68 zones brûlées échantillonnées (moyenne de 13,5 espèces/zone brûlée étudiée). Les espèces les plus communes (présentes dans plus de 25 % des localisations) étaient, par ordre décroissant, le Merle noir, la Mésange charbonnière, le Pigeon ramier, le Rossignol philomèle, le Geai des chênes, le Loriot d’Europe et la Mésange huppée. Cinq d’entre elles sont sédentaires et deux sont migratrices.
Six espèces avec la fréquence de présence la plus élevée ont représenté 61 % du total des détections : le Merle noir,  la Mésange charbonnière, le Rossignol philomèle,  le Pigeon ramier, le Troglodyte mignon et le Pinson des arbres.

Les variables les plus importantes pour expliquer la présence des oiseaux dans les zones brûlées

Dans les 68 zones brûlées analysées, les modèles mixtes additifs généralisés ont révélé des associations significatives entre la présence des espèces d’oiseaux forestiers et certaines variables environnementales, en particulier le temps écoulé depuis l’incendie et le manque d’eau (déficit hydrique). 
La fréquence de présence de la plupart des espèces diminue jusqu’à la sixième année après l’incendie.
L’étendue de la surface brûlée et la distance par rapport aux secteurs restés intacts sont essentiels.
Pour dix espèces sédentaires, la coupe des arbres après le feu a un effet négatif, alors que la présence de tas de bois leur est favorable.  

Des oiseaux restent fidèles aux sites ayant brûlé 

Rossignol philomèle (Luscinia philomelos)

Le Rossignol philomèle (Luscinia philomelos) est rapidement observé après le passage du feu.
Photographie : Bob Malrieu

L’étude a mis en avant le rôle de la fidélité au site dans le comportement des oiseaux forestiers après un incendie. Les espèces les plus attachées à leur domaine sont naturellement plus susceptibles de rester sur place et d’exploiter les ressources encore disponibles, tandis que les autres ont tendance à quitter la zone sinistrée pour chercher ailleurs un habitat plus favorable. Les adultes sont généralement moins enclins à s’éloigner de leur domaine que les juvéniles. 
Trois des quatre espèces migratrices étudiées (le Coucou gris, le Rossignol philomèle et le Loriot d’Europe) sont les plus rapidement réobservées après un incendie, alors que les oiseaux sédentaires strictement forestiers, comme l’Orite à longue queue, la Mésange huppée et le Pic épeiche, ont besoin de plus de temps avant de revenir.   
Plus de neuf ans après l’incendie, la plupart des espèces sont de retour, probablement grâce à l’arrivée de nouveaux individus et à la reproduction des oiseaux sédentaires ayant survécu au feu et à celle des générations suivantes, soulignant leur importance pour la recolonisation d’un secteur. Il est donc important de ne pas les priver des ressources (nourriture et abris) encore disponibles après le passage du feu, en conservant par exemple les arbres encore vivants, même brûlés.

L’importance cruciale des parcelles qui n’ont pas brûlé

Les auteurs ont constaté que les oiseaux forestiers étaient plus fréquents après un incendie dans les secteurs les plus humides, par exemple ceux qui sont parcourus par un cours d’eau, ainsi que lorsque des zones restées indemnes ne sont pas trop éloignées. Les parcelles non brûlées jouent en effet un rôle crucial dans le maintien de la biodiversité dans les écosystèmes sujets aux incendies, en servant de refuges et en fournissant des ressources pour la recolonisation des zones touchées. Elles créent aussi une hétérogénéité des habitats, ce qui peut renforcer la résilience de l’écosystème aux perturbations futures. L’attraction des oiseaux vers les zones non brûlées voisines, la densité des parcelles non brûlées et l’hétérogénéité et la sévérité du feu influent fortement sur la distribution des oiseaux forestiers après un incendie : cela souligne la nécessité de lutter contre le feu en conservant au maximum des parcelles non brûlées.

Ne pas couper et retirer les arbres brûlés

Arbres brûlés

Il est important de laisser des arbres brûlés sur place pour aider les oiseaux qui sont restés dans le secteur. 
Photographie : Martin Lopatka / Wikimedia commons

L’exploitation forestière de récupération, qui consiste à couper les arbres après un incendie, est une pratique forestière courante, mais elle peut avoir des effets négatifs sur les oiseaux forestiers, qui ont été constatés chez 10 des 20 espèces d’oiseaux forestiers pris en compte dans l’étude, principalement sur les sédentaires, ainsi que sur la diversité ornithologique. Elle réduit les capacités du milieu à se régénérer et diminue le nombre de perchoirs, d’abris et de sources de nourriture. Par exemple, les pics sont très affectés par la réduction de la quantité de bois mort, de souches et d’arbres vivants après le passage du feu (lire Martijn Versluijs nous décrit les effets des feux de forêt sur la population et sur le comportement de nourrissage du Pic tridactyle). La présence de tas de bois mort peut toutefois atténuer dans une certaine mesure les effets de ces coupes. 

Des recommandations pour la gestion forestière des zones brûlées

Les principaux facteurs identifiés pour expliquer le délai de retour des oiseaux après un incendie sont le déficit hydrique et la présence de parcelles non brûlées dans les environs. Une stratégie de gestion forestière favorisant le maintien et le retour des espèces dans les zones incendiées serait donc de préserver au maximum des parcelles non brûlées et de maintenir les arbres, même s’ils ont été touchés, dans les zones ayant récemment brûlé (lire Installation d’une population de Pics noirs dans une forêt du sud-ouest de la Russie suite à un incendie). Si des arbres  doivent être coupés, il convient d’éviter les coupes rases et l’utilisation de machines lourdes et de former des tas de débris de bois mort pour encourager la récupération de la végétation et servir de refuges.
Face à l’intensification et à l’augmentation de la fréquence des incendies, les gestionnaires doivent chercher à maintenir une mosaïque de paysages, alternant forêts continues et espaces plus ouverts, afin d’encourager le maintien d’une diversité ornithologique maximale et de limiter la propagation du feu sur de grandes surfaces. Toutefois, avec l’augmentation de la fréquence des incendies, même des paysages diversifiés peuvent finir par s’appauvrir sévèrement, d’autant plus que le déficit croissant en eau dû à l’élévation des températures affecte sévèrement la végétation et la faune après les incendies. Une approche multifacette, prenant en compte les impacts du feu, du changement climatique et des interventions humaines, est donc nécessaire. 

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