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Comment expliquer la belle teinte rosée du plumage de certaines espèces de mouettes, de goélands et de sternes ?
Mouette de Ross (Rhodostethia rosea) adulte sur l’île d’Hornøya (Norvège) en mai 2025.
Photographies : Colin Schofield / Sa page X
Introduction
Les couleurs des oiseaux peuvent avoir une origine pigmentaire, structurelle ou une combinaison des deux. Les mélanines et les caroténoïdes sont les pigments les plus répandus dans le monde aviaire. Les seconds sont synthétisés par toutes les algues et les plantes, mais aussi par beaucoup de champignons et de bactéries. De nombreuses espèces d’oiseaux les trouvent dans leur alimentation : facilement assimilables, ils sont transformés chimiquement par le métabolisme grâce à des enzymes, puis fixés dans les plumes et dans les parties nues (caroncules, pattes, cire, etc.), où ils sont à l’origine de la plupart des teintes jaunes, rouges et orange, voire roses, violettes et crème.
Les adultes de plusieurs espèces de mouettes, de goélands et de sternes peuvent présenter une jolie teinte rosée sur leurs plumes blanches, souvent au niveau du ventre, et principalement au printemps, mais pas uniquement. Cette coloration est bien connue chez le Goéland railleur (Chroicocephalus genei), et la Sterne de Dougall (Sterna dougallii) est appelée « Roseate Tern » par les Anglais. C’est aussi le cas de la Mouette de Ross (Rhodostethia rosea), une espèce arctique très rare en dehors des eaux glaciales et dont quelques individus (surtout des jeunes sans coloration rosâtre) ont déjà été observés en hiver le long des côtes ouest-européennes, souvent à la suite de tempêtes. L’origine de cette teinte délicate est encore discutée, mais la présence de caroténoïdes a été confirmée à chaque fois.
Dans cet article, nous présentons les résultats d’analyses du plumage rosé de plusieurs espèces de sternes, de mouettes et de goélands, et nous abordons le cas de Cygnes tuberculés (Cygnus olor) irlandais présentant de curieuses plumes rose saumon.
Abstract
Bird colors can be pigmentary, structural, or a combination of both. Melanins and carotenoids are the most widespread pigments in the avian world. The latter are synthesized by all algae and plants, but also by many fungi and bacteria. Many bird species find them in their diet: easily assimilated, they are chemically transformed by metabolism using enzymes, then fixed in the feathers and bare parts (wattles, legs, cere, etc.), where they are the source of most yellow, red, and orange, even pink, purple, and cream hues.
Adults of several species of gulls, herring gulls, and terns can display a pretty pinkish tint on their white feathers, often on their bellies, and mainly in spring, but not exclusively. This coloration is well known in the Slender-billed Gull (Chroicocephalus genei), and the Roseate Tern (Sterna dougallii) is named after the pink hue of his plumage. This is also the case for the Ross’s Gull (Rhodostethia rosea), an Arctic bird species very rare outside of icy waters, and a few individuals (mostly juveniles without pinkish coloration) have already been observed in winter along the West European coasts, often following storms. The origin of this delicate hue is still debated, but the presence of carotenoids has been confirmed each time.
In this article, we present the results of analyses of the pink plumage of several species of terns, gulls, and gulls, and we discuss the case of Irish Mute Swans (Cygnus olor) with curious salmon-pink feathers.
Les caroténoïdes, des pigments répandus chez les oiseaux
Spatule rosée (Platalea ajaja) adulte près de Tarcolés (Costa Rica). |
Les caroténoïdes sont des pigments répandus chez de très nombreux organismes vivants. Liposolubles, ils sont en général facilement assimilables par les organismes et s’accumulent à la surface des barbes des plumes (lire Les plumes des oiseaux). Ils sont à l’origine de la plupart des teintes rose, rouge, orange, jaune et crème des plumes des oiseaux, et servent en particulier pour la parade nuptiale (lire Sarah N. Davis nous en dit plus sur les couleurs issues des caroténoïdes chez les oiseaux préhistoriques et les dinosaures à plumes). Une modification de l’alimentation (par exemple en captivité, quand le régime est moins riche et moins varié) peut entraîner un palissement.
Les Flamants roses (Phoenicopterus roseus) sont célèbres pour leurs belles teintes rosées et rougeâtres (lire Un Flamant rose entièrement noir dans le sud d’Israël) causées par des caroténoïdes, principalement la canthaxanthine, la phoenicoxanthine et l’astaxanthine, qui sont contenus dans leur alimentation, composée principalement de petits crustacé, notamment les artémies (Artemia sp.). Ces dernières se nourrissent d’algues monocellulaires contenant plusieurs pigments issus de la photosynthèse, dont des caroténoïdes.
Pour accentuer encore l’intensité de leur plumage, les Flamants roses enduisent leurs plumes avec une sécrétion colorée produite par leur glande uropygienne située près de leur croupion.
La couleur du plumage de la Spatule rosée (Platalea ajaja) est également due à plusieurs caroténoïdes, dont la canthaxanthine et l’astaxanthine, qui sont stockés dans ses plumes. On a aussi découvert que l’astaxanthine était emmagasinée dans la peau de ses pattes et dans son plasma sanguin, une caractéristique semblant unique parmi les oiseaux.
Une teinte rosée chez certaines espèces de mouettes, de goélands et de sternes
Mouettes rieuses (Chroicocephalus ridibundus) adultes présentant une teinte rosée sur la poitrine en période de reproduction. |
Chez plusieurs espèces de goélands et de sternes, comme les Goélands railleur (Chroicocephalus genei) (qui est appelé « Gabbiano roseo » en italien) et à bec cerclé (Larus delawarensis) (lire Comment identifier et où chercher le Goéland à bec cerclé en France), les Mouettes de Ross (Rhodostethia rosea), rieuse (Chroicocephalus ridibundus) et de Franklin (Leucophaeus pipixcan), les Sternes élégante (Thalasseus elegans) et de Dougall (Sterna dougallii), une délicate teinte rosée apparaît parfois sur le plumage habituellement blanc pur des adultes, surtout sur les parties inférieures (ventre, poitrine) et dans des proportions très variables selon les individus et les populations. Cette teinte provient de leur alimentation riche en petits crustacés.
La présence de caroténoïdes dans leur plumage a été confirmée, par exemple chez la Sterne élégante. Des chercheurs ont aussi examiné la teneur en caroténoïdes des plumes rosées de la Mouette de Franklin et du Goéland à bec cerclé, et ils n’ont trouvé qu’une seule molécule, l’astaxanthine. C’est aussi la principale responsable de la couleur rosée des Sternes élégantes adultes, mais la canthaxanthine et la zéaxanthine sont aussi présents chez cette espèce.
Chez la Sterne élégante, la Mouette de Franklin et le Goéland à bec cerclé, les caroténoïdes sont contenus à l’intérieur de leurs plumes et ils ne sont pas étalés à leur surface via l’huile produite par la glande uropygienne, comme certains auteurs l’avaient avancé dans un premier temps. R. Debruyne (1980) pensait en effet que la nuance rose de certaines Mouettes rieuses provenait de cette substance liquide colorée dont s’enduisent les oiseaux. La décoloration des spécimens naturalisés serait causée par l’oxydation de l’air. L’absence de teinte rosée chez les juvéniles s’expliquerait par une trop faible concentration pigmentaire liée à un régime pauvre en caroténoïdes.
Certains Goélands à bec cerclé deviennent roses parce qu’ils ingèrent des quantités anormalement élevées d’astaxanthine au moment de leur mue. L’augmentation de la fréquence des observations d’individus rosés depuis la fin des années 1990 coïnciderait ainsi avec le développement de la distribution d’astaxanthine synthétique pure dans les élevages de saumons !
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La Sterne de Dougall, la « Roseate Tern »
Sterne de Dougall (Sterna dougallii), adulte sur les îles Farne (Grande-Bretagne) en juillet 2006. |
La Sterne de Dougall (lire Où observer la Sterne de Dougall en Bretagne ?) porte en anglais le nom explicite de « Roseate Tern » : les adultes présentent en effet une nette teinte rosée, plus prononcée durant certains mois de l’année. Par exemple, lors de l’observation de centaines d’oiseaux le long de la côte de l’État de Bahia au Brésil au cours des mois de janvier et de février entre 1996 et 2003, ainsi qu’en novembre 2005, les ornithologues avaient constaté que la poitrine de la plupart d’entre elles était lavée de rose.
Des analyses de plumes prélevées pendant la saison de reproduction de cette espèce avaient permis de découvrir que cette couleur était bien causée par des caroténoïdes, principalement par l’astaxanthine. Ce pigment est notamment stocké dans les ovaires de lançons (Ammodytes sp.), les petits poissons qui constituent une proie essentielle. Sa concentration est toutefois faible (maximum de 6,2 μg par gramme de plumes) par rapport aux quantités (généralement mesurées en milligrammes) détectées dans les plumes rouges d’autres espèces, et varie considérablement selon les individus.
Cette couleur rosée caractérise le plumage de la Sterne de Dougall durant la plus grande partie de l’année, avec une intensité plus importante en janvier et en février que durant la saison de reproduction (printemps) : cela pourrait s’expliquer par les différences de régime alimentaire ou de métabolisme en fonction de la saison.
Des cygnes avec des plumes roses grâce à des champignons
D’autres oiseaux que les sternes et les goélands peuvent présenter des teintes rosées éphémères sur les parties blanches de leur plumage, comme les lagopèdes ou les pélicans : elles ont généralement pour origine la substance huilée colorée produite par leur glande uropygienne. Cette sécrétion n’a pas été trouvée chez les Anatidés (canards, oies, cygnes, etc.), et on ne connaît pas de teinte rosée saisonnière chez ces derniers. Des cygnes et des canards peuvent toutefois avoir le corps rougeâtres quand ils ont nagé dans des eaux riches en fer, par exemple dans les zones d’hivernage sahéliennes (lire Canards pilets au ventre ocre : ouvrez l’oeil !).
On a aussi déjà observé des Cygnes tuberculés (Cygnus olor) avec de curieuses plumes rose-saumon dispersées sur le corps, essentiellement sur les ailes et sur la queue, par exemple sur le Cork Lough, un petit lac proche de Cork en Irlande: des dizaines d’individus colorés (85 % des individus présents) y avaient été observés entre juillet 2003 et septembre 2004 et entre juillet 2008 et janvier 2009. Cette coloration apparaissait entre juillet et août et s’assombrissait ensuite. Des analyses ont été réalisées et ont montré que ce rose était issu de caroténoïdes (zeaxanthine, lutéine, béta-cryptoxanthine, astaxanthine et béta-carotène) synthétisés par les champignons Chrysonilia sitophila qui se développent sur le pain jeté par les promeneurs et sur les déjections flottant à la surface de l’eau : ils s’accumulent ensuite dans les barbules des plumes lorsque les oiseaux font leur toilette.
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Une vidéo montrant la teinte rosée de la Sterne de Dougall
Sternes de Dougall (Sterna dougallii) adultes en plumage nuptial en Malaisie.
Source : Wildlife & Nature North Borneo
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Compléments
Ouvrage recommandé
Reconnaître facilement les plumes : Collecter, Identifier, Interpréter, Conserver de Cloé Fraigneau
Sources
- Kevin J. McGraw, Lisa S. Hardy (2006). Astaxanthin is responsible for the pink plumage flush in Franklin’s and Ring-billed gulls. Journal of Field Ornithology. Volume : 77. Numéro : 1. Pages : 29–33. Wiley Online Library
- Helen Hays , Jocelyn Hudon , Grace Cormons , Joseph Dicostanzo et Pedro Lima (2006). The Pink Feather Blush of the Roseate Tern. Waterbirds. Volume : 29. Numéro : 3. Pages : 296-301. www.bioone.org
- Jocelyn Hudon et Alan H. Brush (1990). Carotenoids Produce Flush in the Elegant Tern Plumage. The Condor. Volume : 92. Numéro : 3. Pages 798-801. www.jstor.org
- Merita M. O’Connell, Usna Keating, Deirdre MCelligott, Paddy O’Reilly, Julianne O’Callaghan et John O’Halloran (2011). An investigation of a novel anomalous pink feather colouration in the Mute Swan Cygnus olor in Britain and Ireland. Wildfowl. Volume : 61. Pages : 152–165. wildfowl.wwt.org.uk
- Denis L. Fox (1962). Carotenoids of the roseate spoonbill. Comparative Biochemistry and Physiology. Volume : 6. Numéro : 4. Pages : 305–310. www.sciencedirect.com




1 commentaire
1 commentaire(s) sur ce sujet
Participer à la discussion !Yannick Salmon
Posté le 01 mars 2014
Bonjour
Les grands esprits se rencontrent. J’ai observé aujourd’hui des mouettes mélano et rieuse et avoue avoir été intrigué par la teinte rosé de la poitrine/ventre de deux mouettes rieuses adulte.
Merci pour ces expliquations.
Yannick