L’Outarde canepetière (Tetrax tetrax) mesure de 40 à 45 cm de longueur pour une envergure de 80 à 90 cm. Chez les deux sexes, les parties supérieures du corps sont brun-marron à beige, finement vermiculées, contrastant avec le blanc pur du ventre, de la poitrine et des rémiges. L’extrémité des rémiges primaires externes et des grandes couvertures primaires est noire. En plumage nuptial, le mâle adulte présente un motif noir et blanc sur la tête et le cou. Le chant, émis au printemps par le mâle, est un « prrrit » bref et sec lancé plusieurs fois par minute.

Elle niche dans les steppes semi-arides, les pâtures, les vignobles et les cultures de céréales et de luzerne et elle hiverne dans les grandes étendues ouvertes (lire Les populations hivernantes d’Outardes canepetières et de Gangas catas dans la Crau).

Son aire de répartition discontinue s’étend du Maroc et du sud-ouest de l’Europe à l’Asie centrale, et deux sous-espèces sont reconnues : T. t. tetrax en Afrique du Nord, en France et dans la péninsule ibérique, et T. t. orientalis de la Sardaigne (lire Où observer les oiseaux en Sardaigne ?) au Kazakhstan. Elle était autrefois bien plus répandue, mais suite à un déclin important au cours des XIXe et XXe siècles, causé principalement par l’intensification de l’agriculture, la transformation de son habitat steppique et la chasse, il ne reste plus que deux noyaux de populations : un centré sur le Maroc, la péninsule ibérique, la France, la Sardaigne et l’Italie, et l’autre sur la Russie et le Kazakhstan, jusqu’aux monts Altaï. 

Sous l’ère soviétique, les populations orientales ont fortement décliné, au point d’être considérées comme disparues dans le sud du Kazakhstan dès les années 1960 et au Kirghizstan dans les années 1970. Dans ce dernier pays, l’intensification agricole, menée dès les années 1950, a provoqué une chute marquée des effectifs, ne laissant que quelques groupes résiduels dans des steppes non labourées, notamment près de la frontière kazakhe, dans les vallées de Talas et de Chuy. La situation s’est aggravée au cours des années 1990, et l’espèce a été déclarée éteinte dans le Livre rouge du Kirghizstan en 2006.

Situation de la vallée de Chuy (Kirghizstan)

Situation de la vallée de Chuy (Kirghizstan).
Carte : Ornithomedia.com

Après l’effondrement de l’Union des Républiques Socialistes et Soviétiques (URSS), les premiers signes de retour de l’espèce remontent à 2009, avec la découverte de quatre nids dans la région de Talas. En 2019, un nid a été trouvé près de l’aéroport de Bichkek, marquant un possible retour dans la vallée de Chuy. En 2021, grâce à des agriculteurs, un garde-chasse local a repéré quatre nids détruits dans le secteur de Milyanfan, proche de Bichkek, révélant l’existence d’une autre population ignorée jusqu’alors dans la vallée de Chuy.

Des suivis de reproduction de l’Outarde canepetière ont été menés en mai 2021 et en mai et en juin 2023, avec des visites complémentaires en 2022, 2024 et 2025, grâce au soutien de l’Ornithological Society of the Middle East (OSME). En 2023, le suivi a été renforcé avec 53 points d’écoute prédéfinis (espacés de 500 à 600 m), surveillés pendant quatre semaines, trois jours par semaine. Des observations répétées ont également eu lieu dans la zone de Milyanfan. Comme les Outardes canepetières se rassemblent dans des zones de parade, leurs concentrations peuvent varier fortement localement. Pour mieux comprendre l’ampleur de la recolonisation, des prospections ponctuelles ont été effectuées dans différentes parties de la vallée de Chuy, incluant des habitats non encore explorés : pâturages secs en piémont et zones de plaine alluviale.  

Pour estimer la densité de mâles reproducteurs d’Outarde canepetière dans la vallée de Chuy, les chercheurs ont d’abord calculé le nombre moyen de mâles entendus par semaine en fonction de la surface parcourue, soit 36 km² dans la zone importante pur la conservation de oiseaux de Tulek et 4,47 km² dans le secteur de Milyanfan. Ensuite, ils ont cartographié les densités de mâles à l’aide d’un  logiciel SIG (système d’information géographique), en excluant les zones non propices à la reproduction (zones urbaines, plans d’eau, etc.). Ils ont délimité les habitats favorables potentiels et ont ensuite élargi chaque observation de mâles en parade entre 2019 et 2025 pour tenir compte des zones de parade inaccessibles. La densité de mâles mesurée sur le terrain a été appliquée à ces zones, en utilisant la plus élevée pour la bande s’étendant entre la rivière Chuy et la route principale à l’est de Bichkek. Enfin, pour extrapoler ces résultats à l’ensemble de la vallée de Chuy, les densités observées ont été réduites de 33 % et de 50 % pour établir les limites haute et basse de l’estimation de la population de mâles nicheurs dans le nord du Kirghizstan.

Les méthodes de suivi utilisées n’étaient pas conçues pour détecter les femelles, or, une étude menée en Espagne et en France a montré un déséquilibre des sexes en faveur des mâles, dû à une mortalité accrue des femelles pendant la nidification, notamment à cause des machines agricoles, une menace également observée au Kirghizstan. Les auteurs se sont donc appuyés sur les proportions de femelles observés en Espagne pour estimer la population totale : 23,3 % de femelles dans une population en déclin (communauté autonome d’Estrémadure) et 43,7 % dans une population stable (Castille-La Manche), utilisés comme minimum et maximum.

Enfin, les types de paysages autour des mâles en parade ont été analysés avec le logiciel SIG à partir d’une zone tampon de 500 mètres autour de chaque observation, puis comparés avec une carte d’occupation du sol actualisée à partir d’images satellites de 2023.

Paysage de la vallée de Chuy (Kirghizstan)

Paysage de la vallée de Chuy (Kirghizstan).
Photographie : Vmenkov / Wikimedia Commons

En se basant sur les densités observées (0,55 mâle/km² dans la vallée de Chuy, en dehors du secteur de Milyanfan, et 1,73 mâle/km² dans le secteur de Milyanfan), les auteurs ont estimé la présence respective de 92 et 33 mâles dans ces deux secteurs dans les zones immédiates autour des zones de parade. Pour extrapoler à l’ensemble de la vallée de Chuy, ils ont réduit ces densités de 33 % (estimation haute) et de 50 % (estimation basse), donnant une fourchette de 939 à 1 211 mâles reproducteurs. En appliquant les ratios de femelles issus de l’étude menée en Espagne par Serrano-Davies et al. (2022), cela correspond à une population totale estimée entre 1 224 et 2 151 individus. La moyenne générale donne une estimation générale de 1 446 à 1 865 Outardes canepetières dans la vallée de Chuy.

Pour la vallée de Talas, en l’absence de données récentes, une estimation prudente suggère une population de 50 à 100 individus, compte tenu de la similarité du paysage avec celui de Tulek et de la présence de couples reproducteurs dans le Kazakhstan voisin.

La population nicheuse d’Outardes canepetières au Kirghizstan a donc fortement progressé depuis le début des années 2000, mais elle est encore en phase de récupération, et sa dynamique est menacée par l’évolution rapide des pratiques agricoles : concentration des terres, usage accru de pesticides, remplacement des cultures favorables par des cultures irriguées moins adaptées. Il est essentiel de collaborer avec les agriculteurs pour adopter des pratiques plus favorables à la biodiversité, notamment en retardant certaines récoltes, réduisant la vitesse des machines agricoles, et en contrôlant le surpâturage. La chasse illégale constitue une autre menace.

Par ailleurs, sur les cinq principales populations nicheuses qui existaient au Kirghizstan, seules celles des vallées de Chuy et de Talas semblent s’être rétablies, celles de Suusamyr, de Toktogul et de l’Issyk-Kul étant vraisemblablement toujours éteintes. L’espèce est actuellement classée comme quasi menacée dans le Livre rouge national, et elle est considérée comme une migratrice rare, bien qu’en progression.

En effet malgré la probable disparition de l’Outarde canepetière en tant qu’espèce nicheuse au Kirghizstan à la fin du XXe siècle, elle a continué à y être observée en migration, notamment dans la vallée de Chuy. Des observations de petits groupes y ont persisté, et un grand rassemblement postnuptial de 400 oiseaux y a été observé en 2021. Le nombre individus stationnant dans cette vallée entre août et novembre serait comprise entre 2 000 et 5 000 oiseaux. Le trajet migratoire et les quartiers d’hiver de l’est de l’Eurasie en général restent largement inconnus : des milliers d’oiseaux ont été observés en Ouzbékistan oriental en hiver 2024–2025, ce qui pourrait indiquer qu’il s’agit d’une destination migratoire importante. L’inaccessibilité de l’Afghanistan pourrait aussi cacher la présence d’hivernants. La meilleure méthode pour lever ces incertitudes serait de suivre par balise (télémétrie) des individus reproducteurs identifiés dans la région.

Rappelons le retour récent de l’Outarde canepetière en Algérie en tant qu’espèce nicheuse (lire L’Outarde canepetière est de retour en Algérie, plus de trente ans après son extinction dans le pays).

Outardes canepetières (Tetrax tetrax) en halte migratoire printanière dans le sud de la Russie. 
Source : Заповедник Черные земли

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