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Comprendre la mue chez les oiseaux
Mouette rieuse (Chroicocephalus ridibundus) adulte en plumage nuptial sur l’île de Noirmoutier (Vendée) le 4 juin 2024 : ce plumage est acquis après plusieurs mues.
Photographie : Jean Morillon
Introduction
Quelles que soient leur couleur ou leur forme, les plumes finissent par s’user et perdent leur fermeté : elles doivent être remplacées, c’est-à-dire muées. La mue représente donc ce processus biologique de perte des anciennes plumes et de repousse de nouvelles, et la plupart des oiseaux muent au moins une fois par an. Les observateurs peuvent pratiquement toujours identifier une espèce d’oiseau sans faire référence à sa phase de mue, mais une compréhension des principes de base de ce processus peut être utile pour déterminer l’âge d’un oiseau, sa biologie ou parfois pour son identification (cas des limicoles, des laridés par exemple).
Dans cet article, nous décrivons les différentes façons de décrire le cycle de plumages des oiseaux en fonction de leur âge, ainsi que ce processus biologique.
Abstract
Since feathers of birds cannot heal themselves when damaged, they have to be completely replaced. The replacement of all or part of the feathers is called a molt. Molts produce feathers that match the age and sex of the bird, and sometimes the season.
Molting occurs in response to a mixture of hormonal changes brought about by seasonal changes. The entire process is complex and many questions remain regarding how the process is controlled. A basic understanding of molting patterns can, however, be a useful aid in identifying many species and in determining their age.
There are two kinds of molts with different degrees of feather replacement : a complete molt, when all feathers are replaced, and a partial molt only some feathers are replaced.
In this article, we describe the three commonly-used nomenclatures for identifying different plumage stages and the biological process.
I – Les terminologies des mues
Afin de remplacer les plumes usées, tous les oiseaux muent au moins une fois chaque année, en fin d’été/automne. Il existe différentes façons de décrire la succession des plumages des oiseaux en fonction de leur âge et des différentes mues.
La terminologie selon les cycles de vie (Life-year)
Bécasseau variable (Calidris alpina) adulte en cours d’acquisition du plumage nuptial le 15 mai 2018. |
Les oiseaux passent par plusieurs cycles de plumage au cours de leur vie, rythmés par les mues. Un cycle correspond à la période entre deux mues complètes, généralement d’une année. La première mue complète se produit quand le poussin, recouvert de duvet, acquiert son plumage juvénile (= le plumage que l’oiseau porte juste après avoir quitté le nid), et la deuxième mue complète a lieu environ un an plus tard, quand l’oiseau acquiert son premier plumage internuptial à partir de la fin de l’été de l’année qui suit celle de sa naissance. Un oiseau de premier cycle est donc âgé de moins d’un an, il a généralement encore tout ou partie de son plumage juvénile ou un plumage de transition (par exemple, un plumage post-juvénile de premier hiver). Chez certaines espèces, il peut ne pas encore avoir acquis son plumage adulte définitif (notamment chez les goélands, les rapaces, etc.).
Prenons l’exemple des bécasseaux du genre Calidris, qui muent deux fois par an. On distingue plusieurs plumages en fonction de l’âge et de la période de l’année :
- Précycle. Plumage de poussin (composé de duvet), conservé quelques semaines jusqu’à la mue préjuvénile basique complète.
- Premier cycle. Plumage juvénile, conservé jusqu’à la mue post-juvénile (dite formative), souvent partielle, qui débute à la fin de l’été et se poursuit une partie de l’automne.
- Premier cycle. Plumage de premier hiver (appelé aussi premier plumage basique), conservé jusqu’à une mue partielle (= mue alternative 1) qui se déroule au cours de l’hiver ou du début du printemps de la deuxième année et qui touche les plumes du corps, des couvertures alaires et des tertiaires.
- Premier cycle. Premier plumage d’été (ou premier plumage alternatif), conservé jusqu’à une mue complète (= mue basique 2) des plumes du corps qui se déroule entre août et octobre (l’oiseau est alors âgé d’un an). Il devient usé à la fin de l’été.
- Second cycle. Plumage adulte internuptial (ou plumage définitif de base), conservé jusqu’à une mue partielle (= mue alternative définitive) qui se déroule entre janvier et avril et qui touche la plupart des plumes du corps, les tertiaires, les rectrices centrales et souvent plusieurs couvertures alaires (l’oiseau est alors âgé d’un an).
- Troisième cycle. Plumage adulte nuptial (ou plumage alternatif définitif), conservé jusqu’à une mue postnuptiale complète (= mue basique définitive) qui se déroule entre août et octobre.
Dans ce cas, le premier cycle comprend donc les plumages juvénile, de premier hiver et de premier été. Le second cycle commence après la mue complète qui se déroule entre août et octobre de l’année qui suit sa naissance et qui lui permet d’acquérir son plumage adulte internuptial (ou plumage définitif de base).
Goélands argentés (Larus argentatus) de second hiver et juvénile à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) le 7 septembre 2023. |
Prenons l’exemple d’un Goéland argenté (Larus argentatus), qui met plusieurs années avant d’acquérir son plumage adulte complet. Voici la succession de ses cycles :
- De 0 à 1 mois. Pré-cycle – Plumage de poussin (duvet).
- De 1 à 2 mois. Premier cycle – Plumage juvénile (première génération de plumes). Plumage brun très écaillé.
- De 3 à 12 mois. Premier cycle – Plumage de premier hiver acquis après une mue partielle qui débute à la fin du premier été.
- De 3 à 12 mois environ. Premier cycle. Plumage de premier été acquis acquis après une mue partielle qui se déroule au printemps de l’année suivant celle de sa naissance.
- De 12 à 24 mois. Second cycle. Plumage de second hiver (internuptial) acquis après une mue totale qui débute à la fin du second été de sa vie.
- De 12 à 24 mois. Plumage de second été après une mue partielle qui se déroule au printemps.
- De 24 à 36 mois. Troisième cycle. Plumage de troisième hiver acquis après une mue totale qui débute à la fin de l’été.
- De 24 à 36 mois. Troisième cycle. Plumage de troisième été, acquis après une mue partielle au printemps.
- Plus de 36 mois. Quatrième cycle. Plumage de quatrième hiver, après une mue totale qui débute à la fin de l’été qui lui permet d’acquérir un plumage adulte internuptial (non nicheur).
- Plus de 36 mois. Quatrième cycle. Plumage nuptial (nicheur) adulte acquis après une mue partielle au printemps.
Ainsi, un Goéland argenté né au printemps 2025 et observé en décembre 2025 avec un plumage de premier hiver, est un oiseau de premier cycle. Il deviendra un oiseau de deuxième cycle après sa première mue complète, qui se produit généralement à l’été ou l’automne suivant.
Rougegorge familier (Erithacus rubecula) juvénile à Aire-sur-l’Adour (Landes) le 7 juillet 2024. |
Prenons l’exemple d’un passereau, le Rougegorge familier (Erithacus rubecula), dont les cycles de mue sont plus simples que chez les laridés (goélands et mouettes) :
- de 0 à 1 mois. Pré-cycle. Plumage de poussin.
- De 1 à 2 mois. Premier cycle. Plumage juvénile brun tacheté, sans rouge sur la poitrine.
- De 2 à 3 mois. Premier cycle. Plumage de 1er automne/hiver acquis après une mue post-juvénile partielle (août–septembre) concernant la tête, le corps et parfois les petites couvertures, et apparition de la couleur orange sur la poitrine.
- Un an. Second cycle. Plumage adulte complet bien net acquis après une mue complète (été/automne).
- À partir de la deuxième année, tous les rougegorges ont le même plumage, il devient donc impossible de déterminer leur âge.
Chez les rapaces, la succession des cycles est intermédiaire entre celle des passereaux (plutôt simple) et celle des laridés (complexe). Voici un exemple avec le Busard des roseaux (Circus aeruginosus) :
- De 0 à 1 mois. Pré-cycle. Plumage de poussin.
- De 1 à 3 mois. Premier cycle. Plumage juvénile après une mue totale à la fin du premier été.
- De 3 à 12 mois. Premier cycle. Plumage de premier hiver après une mue partielle à la fin du printemps.
- De 12 à 24 mois. Second cycle. Plumage de deuxième année (premier été) après une mue totale (ou partielle selon les individus) en été.
- De 24 à 36 mois. Troisième cycle (subadulte) après une mue complète de mai à septembre/octobre, souvent après le retour de migration.
- Plus de 36 mois. Quatrième cycle (adulte) après une mue complète de juin à octobre.
La terminologie calendaire (ou chronologique)
Barge à queue noire (Limosa limosa) adulte de deuxième année calendaire après sa mue postnuptiale dans la réserve ornithologique du Teich (Gironde) 27 octobre 2022 |
Elle suit comme son nom l’indique les années du calendrier : un « immature » décrit un oiseau depuis son jour de naissance jusqu’au 31 décembre, un « oiseau de deuxième année calendaire » décrit un oiseau entre le 1er janvier et le 31 décembre de la deuxième année, etc.
Elle décrit les mues selon le moment de l’année où elles se produisent :
- Mue post-juvénile : c’est la première mue après l’envol, qui est généralement partielle.
- Mue pré-nuptiale : elle se déroule juste avant la reproduction (fin d’hiver ou printemps), est souvent partielle, et permet de retrouver un plumage nuptial.
- Mue post-nuptiale : elle se déroule après la saison de reproduction (été/automne). C’est souvent la mue principale chez les adultes.
Ce système est simple, mais il pose un problème pour les oiseaux tropicaux ou migrateurs, car la saisonnalité de leurs mues peut varier fortement.
La terminologie Humphrey-Parkes (système évolutif ou ontogénétique)
La terminologie Humphrey-Parkes est indépendante du calendrier et des périodes de reproduction : les plumages sont décrits selon la mue d’acquisition de ces derniers (on parle par exemple de « plumage juvénile », de « premier plumage basique »,etc.). Plus complexe, elle est plus précise et est utilisée par les ornithologues étudiant les phénomènes de mue. Elle convient bien aux espèces migratrices ou tropicales.
- plumage juvénile : premier plumage complet après la pousse initiale (duveteuse).
- Plumage formatif : succède au juvénile après une mue partielle (ou parfois complète).
- Premier plumage de base (« first basic plumage ») : plumage principal que l’oiseau porte la majorité de l’année.
- Premier plumage alternatif (« first alternate plumage ») : plumage souvent plus coloré, porté pendant la reproduction.
- Plumage supplémentaire (supplemental plumage) : très rare, présent chez quelques espèces qui ont trois mues par an.
II – Présentation du processus
Des dépenses en énergie accrues
Ordre de mue des ailes de pipits et de gobemouches : en blanc, les plumes en mue. |
La mue nécessite tellement d’énergie qu’elle ne peut coïncider avec d’autres activités comme la couvaison ou la migration. Les pertes caloriques s’accroissent en raison de la réduction des propriétés isolantes du plumage. Chez le Pinson des arbres (Fringilla coelebs) par exemple, les dépenses en énergie augmentent d’un quart pendant la mue.
Chaque espèce a donc élaboré un calendrier biologique lui permettant de muer quand la nourriture est abondante et lorsque les autres besoins ne sont pas trop élevés. En général, les grands « voyageurs » muent après ou avant la migration d’automne.
Incapacité temporaire
D’autre part, les oiseaux muant sont temporairement privés des plumes en cours de renouvellement : il en résulte une diminution de la valeur isolante des tectrices (plumes tertiaires) et des capacités de vol (rémiges et rectrices). certaines espèces perdent simultanément ou presque toutes leurs rémiges, et sont donc incapables de voler pendant cette période (canards, oies, râles, plongeons, flamants, etc.).
L’ordre de la mue
Le mue se produit selon un ordre précis, afin que le plumage ne présente aucune lacune.
Les plumes ne sont pas implantées uniformément sur le corps : il existe des zones où poussent les plumes, les ptérylies, et des zones nues, les aptéries : le remplacement des plumes des ptérylies se fait par étape. De même, la mue des rectrices se fait selon un ordre précis; Généralement, les rémiges primaires muent de l’intérieur de l’aile vers l’extérieur, dans le sens inverse pour les rémiges secondaires (exemple : le Pipit). Il existe quelques exceptions, dont le Gobemouche, chez lequel la mue se fait de manière inversée.
Le but final est de limiter au maximum les « trous » dans l’aile. Chez certaines espèces qui doivent absolument voler, il y a davantage de points de remplacement : il manque ainsi moins de plumes à un moment donné.
Un atout précieux
Malgré ses contraintes, la mue permet aux oiseaux de remplacer à tout moment des plumes endommagées. Elle leur permet aussi de changer de couleur (acquisition du plumage nuptial chez le mâle, du plumage d’adulte, etc.).
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Compléments
Ouvrages recommandés
- Le guide ornitho : Les 848 espèces d’Europe en 4 000 dessins de Grant, Mullarney et al.
- Gulls of Europe Asia and N America de Klaus Malling Olsen
- Guide des limicoles d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord (Broché) de Stephen Message, Don Taylor
- The Sibley Guide to Birds de D. Allen Sibley




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