Une « petite Laponie » en France

Situation de la station de ski des Saisies (Savoie)

Situation de la station de ski des Saisies (Savoie).
Carte : Ornithomedia.com

S’étendant entre 1 550 et 1 718 mètres d’altitude dans les communes de Crest-Voland, de Cohennoz, d’Hauteluce et et de Queige (Savoie), à cheval entre le Beaufortain et le Val d’Arly, la tourbière acide des Saisies est le plus vaste écosystème de ce type dans l’arc alpin, avec une superficie totale de près de 600 hectares. Issue de la fonte d’une langue glaciaire apparue il y a plus de dix mille ans (lors de la dernière glaciation, dite de Würm), il s’agit d’une tourbière de pente (ou soligène)  alimentée principalement par un écoulement lent et constant des eaux de ruissellement, mais aussi par des précipitations relativement abondantes et une forte accumulation de neige chaque hiver, suivie par une fonte lente et tardive liée à l’orientation Nord-est de la pente. Ces eaux au pH plutôt acide expliquent la prolifération des sphaignes, dont l’accumulation au fil des siècles a entraîné la formation de tourbe.
Située intégralement dans des forêts communales, elle a été classée en Arrêté de Protection de Biotope en 1989 et en site Natura 2000 en 2006 pour protéger sa faune et sa flore d’un grand intérêt et un paysage très rare en France, qui rappelle celui des montagnes scandinaves (ce site est parfois appelé la « petite Laponie »).
La réserve naturelle régionale de la tourbière des Saisies-Beaufortin-Val d’Arly a été créée en 2013 sur une surface de 292 hectares. L’une de ses particularités est de représenter les deux tiers du domaine skiable nordique de la station des Saisies : toutefois, la pénétration dans la réserve naturelle ne peut se faire que le long des pistes aménagées et exclut tout hors piste.
La réserve naturelle et le site Natura 2000 sont cogérés par l’Office National des Forêts (ONF) de Savoie et le Syndicat intercommunal à Vocations Multiples (SIVOM) des Saisies. L’ONF est le gestionnaire « historique » et assure la coordination générale et pilote les activités scientifiques et de surveillance, tandis que le SIVOM s’occupe de la communication, de la pédagogie et de la maîtrise d’ouvrage de tous les travaux.

Vieille pessière

Vieille pessière dans la réserve naturelle régionale de la tourbière des Saisies-Beaufortin-Val d’Arly (Savoie) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : G. Canova

Sentier pédagogique

Sentier pédagogique dans la réserve naturelle régionale de la tourbière des Saisies-Beaufortin-Val d’Arly (Savoie) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : G. Canova

Des plantes rares voire uniques en Savoie

Linaigrettes (Eriophorum sp.)

Linaigrettes (Eriophorum sp.) dans la réserve naturelle régionale de la tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly (Savoie) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : G. Canova

Le sol de la réserve est composé de tourbe acide. Cette particularité, associée à l’altitude et au climat froid et humide, a contribué à l’apparition d’une flore adaptée à ces conditions, incluant des espèces extrêmement rares, voire uniques en Savoie. 
La réserve est composée d’une mosaïque d’habitats : marais tourbeux à sphaignes, prairies humides à laîches (Carex sp.), ancienne pessière (peuplement d’épicéas), bosquets de bouleaux, fourrés, landes, pelouses, mégaphorbiaies, etc.
274 végétaux ont été recensés, dont près de 40 espèces végétales rares ou menacées comme la Trientale d’Europe (Trientalis europaea), une Primulacée aux fleurs blanches à sept pétales que l’on ne trouve en France qu’en Savoie, dans les Vosges, les Ardennes et en Corse, le Lycopode des Alpes (Diphasiastrum alpinum), la Scheuzérie des marais (Scheuchzeria palustris), l’Andromède à feuilles de podium (Andromeda polifolia) et trois plantes carnivores, la Rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia), la Grassette vulgaire (Pinguicula vulgaris) et la Petite Utriculaire (Utricularia minor).
Les floraisons des Linaigrette à feuilles larges (Eriophorum latifolium), à feuilles étroites (E. angustifolium) et vaginée (E. vaginatum), du Comaret des marais (Potentilla palustris) et de la Canneberge (Vaccinium oxycoccos) agrémentent la tourbière au printemps. On trouve aussi quelques orchidées, dont la Racine de corail (Corallorhiza trifida) et la Listère en coeur (Listera cordata).
La réserve compte une belle population de Buxbaumies vertes (Buxbaumia viridis), une petite mousse discrète se développant à l’ombre sur du bois pourrissant : du fait de cette écologie restrictive, elle constitue une excellente indicatrice des forêts montagnardes dans un bon état de conservation.

Des libellules et des papillons nordiques ou montagnards

Leucorrhine douteuse (Leucorrhinia dubia)

Leucorrhine douteuse (Leucorrhinia dubia) dans la réserve naturelle régionale de la tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly (Savoie) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : A. Albisson

La faune de la réserve est également très riche. Le cortège d’insectes rappelle dans une moindre mesure celui que l’on peut retrouver dans le nord de l’Europe. On a recensé douze espèces d’odonates (libellules et demoiselles), dont la moitié sont inscrites sur des listes rouges nationale et/ou régionale : c’est le cas des Cordulies des Alpes (Somatochlora alpestris) et arctique (S. arctica), cette dernière étant strictement inféodée aux tourbières à sphaignes, de l’Agrion hasté (Coenagrion hastulatum) et de la Leucorrhine douteuse (Leucorrhinia dubia).
La richesse en papillons est remarquable avec 178 espèces, dont trois ont une valeur patrimoniale : le Solitaire (Colias palaeno), le Nacré de la canneberge (Boloria aquilonaris) et l’Azuré de la canneberge (Agriades optilete).

Des Vipères aspics mélaniques

Des amphibiens et des reptiles sont présents : la Grenouille rousse (Rana temporaria), le Triton alpestre (Ichthyosaura alpestris), le Lézard vivipare (Zootoca vivipara), la Couleuvre helvétique (Natrix helvetica) et la Vipère aspic (Vipera aspis), avec une proportion importante d’individus mélaniques pour cette dernière.

Le Lynx boréal et le Loup d’Europe ont été observés

Vingt mammifères ont déjà été observés, dont le Loup d’Europe (Canis lupus) et le Lynx boréal (Lynx lynx), ce dernier étant très rare. Le Chevreuil d’Europe (Capreolus capreolus), le Cerf élaphe (Cervus elaphus) (rare), le Chamois (Rupicapra rupicapra), le Sanglier d’Europe (Sus scrofa), la Martre des pins (Martes martes), le Blaireau d’Eurasie (Meles meles) et le Renard roux (Vulpes vulpes) sont plus fréquents mais très discrets.
Précisons également que 18 espèces de chauves-souris ont été inventoriées, dont les Murins à oreilles échancrées (Myotis emarginatus) et de Daubenton (M. daubentonii), le Petit Murin (M. blythii), le Grand Murin (M. myotis), la Noctule de Leisler (Nyctalus leisleri), les Pipistrelles commune (Pipistrellus pipistrellus) et de Nathusius (P. nathusii), les Oreillards roux (Plecotus auritus) et montagnard (P. macrobullaris), la Sérotine bicolore (Vespertilio murinus), le Vespère de Savi (Hypsugo savii) et la Barbastelle d’Europe (Barbastella barbastellus). Comparée aux autres sites des Alpes du Nord qui ont fait l’objet d’un inventaire selon une méthodologie similaire, l’activité des chiroptères dans la réserve est plutôt moyenne et concentrée autour des points d’eau libre.

Accès et observation 

Carte d'accès à la réserve naturelle régionale de la tourbière des Saisies (Savoie)

Carte d’accès à la réserve naturelle régionale de la tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly (Savoie).
Carte : Ornithomedia.com

Depuis Ugines ou Sallanches, on peut rejoindre la station de ski des Saisies par la D1212 puis la D218B en passant par Crest-Voland. La réserve naturelle régionale de la tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly (voir sa localisation) est située juste au nord de la station de ski des Saisies.
Deux sentiers de découverte (dont un de 4,2 km de long inauguré en 2019) sont en accès libre du début du mois de juin à la mi-octobre (les dates varient en fonction de l’enneigement) et permettent de découvrir la flore et une partie de l’avifaune de la tourbière, les espèces les plus discrètes pouvant parfois être entendues ou aperçues tôt le matin ou en soirée. Une carte complète des sentiers d’accès est visible en ligne.
L’hiver, toutes les pratiques hors piste sont interdites.
Il est conseillé de visiter la Maison des tourbières, située dans la station des Saisies, au niveau de l’aire de stationnement du col (voir sa localisation). Vous pourrez y obtenir des informations utiles sur la faune et la flore. Une exposition thématique et ludique, qui change tous les trois ans, est aussi proposée (en 2023, le thème est la flore).
Durant la saison estivale, des visites guidées sont proposées aux visiteurs.

Une avifaune montagnarde d’un grand intérêt

Les sentiers qui parcourent la réserve ouvrent à partir de la fin mai, et la fin du mois de juin est une bonne période pour découvrir son avifaune nicheuse. Une étude de deux ans achevée en 2017, réalisée par le réseau avifaune de l’ONF, avec la participation active du SIVOM des Saisies, a permis de porter à 67 le nombre d’espèces d’oiseaux recensées dans son périmètre.

Tétras lyre (Lyrurus tetrix)

Tétras lyre (Lyrurus tetrix) dans la réserve naturelle régionale de la tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly (Savoie) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : A. Albisson

Le Tétras lyre (Lyrurus tetrix) est certainement le symbole de son intérêt ornithologique. La réserve constitue essentiellement un lieu d’hivernage.
La population est assez faible mais stable, avec de cinq à dix chanteurs en fonction des années (un recensement mené entre le 20 avril et le 12 mai 2017 avait permis de compter entre trois et quatre mâles chanteurs, et entre six et sept en tenant compte des individus entendus en périphérie). Trois grandes zones semblent être les plus favorables à ce gallinacé : le grand marais de Crest-Voland (voir sa localisation), la zone centrale et l’extrême sud de la réserve (vers Bisanne). Les sentiers étant très fréquentés et ouverts après la période de chant, le Tétras lyre est très difficile à observer depuis ces derniers, et il sera plutôt noté ou entendu depuis les pistes de ski de fond en hiver et au début du printemps. 
Le Pic tridactyle (Picoides tridactylus), une espèce forestière extrêmement rare en France (lire Observer les oiseaux dans le massif des Bauges), a été vu et photographié en 2016. Sa nidification n’a pas été prouvée à ce jour dans son périmètre, mais elle a été constatée deux fois dans les forêts communales voisines. Ce pic se distingue des autres par son régime alimentaire principalement constitué de scolytes durant la période de reproduction (lire Martijn Versluijs nous décrit les effets des feux de forêt sur la population et sur le comportement de nourrissage du Pic tridactyle). Les Pics épeiche (Dendrocopos major) et noir (Dryocopus martius) sont plus communs.

Chevêchette d'Europe (Glaucidium passerinum)

Chevêchette d’Europe (Glaucidium passerinum) dans la réserve naturelle régionale de la tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly (Savoie) (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : A. Albisson

De deux à quatre couples de Chevêchette d’Europe (Glaucidium passerinum) et probablement de un à deux couples de Nyctales de Tengmalm (Aegolius funereus) nichent chaque année dans la pessière sénescente. Précisons que la réserve a été proposée en 2017 pour constituer un site de référence ONF/LPO pour l’inventaire annuel des petites chouettes de montagne. S’il n’est pas rare d’entendre la Chevêchette d’Europe en automne depuis les sentiers, la Nyctale de Tengmalm est plus discrète et sera plutôt notée à la fin de l’hiver depuis les pistes de ski.
La Bécasse des bois (Scolopax rusticola) et la Gélinotte des bois (Tetrastes bonasia) se reproduisent dans la réserve, mais elles sont très discrètes : il faudra beaucoup de chance pour les apercevoir depuis les sentiers, et plutôt en soirée.
Le Cassenoix moucheté (Nucifraga caryocatactes) est un nicheur possible, mais il est également dur à voir (l’automne est plus favorable), ce qui n’est pas le cas du Geai des chênes (Garrulus glandarius).
La forêt accueille un beau cortège de passereaux : Merle à plastron (Turdus torquatus) en lisière, Grives musicienne (Turdus philomelos) et draine (T. viscivorus), Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca), Roitelets huppé (Regulus regulus) et à triple-bandeau (Regulus ignicapilla), Mésanges boréale (Poecile montanus), noire (Periparus ater) et huppée (Lophophanes cristatus), Rougegorge familier (Erithacus rubecula), Bec-croisé des sapins (Loxia curvirostra), Sizerin cabaret (Acanthis flammea cabaret), Tarin des aulnes (Spinus spinus), Pinson de arbres (Fringilla coelebs) et Bouvreuil pivoine (Pyrrhula pyrrhula).
L’Aigle royal (Aquila chrysaetos) et le Vautour fauve (Gyps fulvus) sont vus très régulièrement en vol, par contre le Gypaète barbu (Gypaetus barbatus) est beaucoup plus rare.
La réserve n’est pas située sur un couloir migratoire important, mais on peut observer des groupes parfois importants de passereaux (grives et fringilles) se nourrissant de baies d’airelles ou de myrtilles.

Le « Grand Marais », un documentaire sur la tourbière des Saisies

Un documentaire réalisé par Clara et Thibaut Lacombe et consacré à la réserve naturelle régionale de la tourbière des Saisies-Beaufortain-Val d’Arly est sorti en 2021. Il a été distingué ou reçu plusieurs prix dans différents festivals internationaux (Mountain Film Festival, Vaasa Wildlife Festival, Chamonix Film Festival, Grand Paradiso Film Festival, etc.).

La bande-annonce du documentaire « Le Grand Marais » de Clara et Thibaut Lacombe.
Source : Gran Paradiso Film Festival

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