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Observer les oiseaux dans la forêt domaniale de Bercé (Sarthe), un refuge pour le Pic cendré
Introduction
Avant l’occupation romaine, une immense forêt, dite des Carnutes, s’étendait de la Loire à la Seine, formant un quadrilatère délimité grossièrement par Chartres, Le Mans, Blois et Orléans. Elle recouvrait donc la Beauce, une partie du Perche, de la Sologne et le Val de Loire. Elle accueillait chaque année le grand rassemblement annuel des druides, rendu célèbre par les albums d’Astérix le Gaulois.
Elle a été en grande partie défrichée au cours des siècles suivants, et il n’en reste désormais que des vestiges, parfois de grande taille : c’est le cas de la forêt domaniale de Bercé, située dans le département de la Sarthe, et d’une superficie de 5 415 hectares. Classée Forêt Royale au XIVe siècle, elle est en majorité composée de chênes, de hêtres et de pins. C’est l’une des plus belles futaies de chênes de France, certains spécimens de plus de 300 ans pouvant atteindre 50 mètres de haut. Du fait de ses vallons pittoresques, de la diversité de ses habitats, de la valeur patrimoniale de ses peuplements, de son remarquable réseau de routes forestières qui se rejoignent en carrefours en étoile et de sa diversité végétale et animale, elle a obtenu en mars 2017 le label de Forêt d’Exception. Elle accueille en particulier un intéressant cortège d’insectes et d’oiseaux qui dépendent des bois âgés, comme le Pique-prune, le Capricorne du chêne, le Lucane cerf-volant et six espèces de pics, dont le Pic cendré, devenu rare dans l’ouest de la France.
Grâce à Titouan Roguet, créateur du site web Fan de Faune, nous vous proposons une présentation de la forêt domaniale de Bercé, de son avifaune et des bons secteurs pour observer ses espèces remarquables.
Abstract
Before the Roman occupation, the Carnutes forest stretched from the Loire to the Seine rivers, forming a quadrilateral roughly delimited by Chartres, Le Mans, Blois and Orléans. It therefore covered Beauce, part of Perche, Sologne and the Loire Valley. Every year, it hosted the great annual gathering of druids, made famous by the albums of Asterix the Gaul. It was largely cleared over the following centuries, and now only remnants of it remain, some of them large. This is the case of the forest of Bercé, located in the Sarthe department, and covering an area of 5,415 hectares. Classified Royal Forest in the 14th century, it is mostly made up of oaks, beeches and pines. It is one of the finest oak forests in France, with some specimens over 300 years old reaching 50 meters in height. Due to its picturesque valleys, the diversity of its habitats, the heritage value of its settlements, its remarkable network of forest roads which meet at star-shaped crossroads and its plant and animal diversity, it obtained in March 2017 the « Forêt d’Exception » label. In particular, it is home to an interesting procession of insects and birds that depend on old wood, and six species of woodpeckers, including the Grey-headed Woodpecker, which has become rare in Western France.
Thanks to Titouan Roguet, creator of the Fan de Faune website, we propose you a presentation of the forest of Bercé, its avifauna and good areas to find its remarkable breeding bird species.
Des arbres de plus de 300 ans, des landes et des mares
Situation de la forêt domaniale de Bercé (Sarthe). |
La forêt de Bercé, située dans le département de la Sarthe, représente l’un des derniers vestiges de l’ancienne forêt gauloise des Carnutes. En 1723, elle a été agrandie à l’ouest par l’ajout de 1 200 hectares de landes qui ont été reboisées par la suite en résineux. Autrefois propriété de la Maison d’Anjou, puis de la couronne d’Angleterre, elle a été incorporée au domaine de l’État après la Révolution. Depuis, elle est restée domaniale et est gérée par l’Office National de Forêts (ONF).
En forme de «fer à cheval» regardant vers le Sud, elle occupe un vaste plateau d’environ 150 mètres d’altitude qui domine la vallée du Loir. Sa superficie est de 5 415 hectares, dont les deux tiers sont occupés par une futaie de Chênes sessiles ou rouvres (Quercus petraea), une essence qui apprécie le sol en craie recouverte de limons. D’autres feuillus, dont le Hêtre commun (Fagus sylvatica) et le Châtaigner (Castanea sativa), sont maintenus pour favoriser la biodiversité et pour leur intérêt paysager.
Le bois des chênes de Bercé, dont plusieurs ont plus de 300 ans, est réputé pour sa qualité, notamment pour la tonnellerie. Certaines parcelles constituent les derniers témoignages de la rénovation forestière décidée au XVIIe siècle par Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des Finances de Louis XIV : c’est le cas par exemple de la futaie des Clos, qui regroupe les plus beaux arbres de Bercé, dont certains ont plus de 350 ans, comme le chêne Boppe, baptisé en 1894 du nom de Lucien Boppe, directeur de l’École forestière de Nancy, et qui a été frappé par la foudre en 1934. En 1935, un second arbre, plus petit en diamètre, a repris ce nom. Non loin de là, le chêne Emery a plus de 270 ans. La Fontaine de la Coudre, qui figure sur la carte de 1673, se distingue aussi par son ancienneté.
La partie occidentale de la forêt, dont les sols sont plus pauvres (sables), est occupée par des landes et des boisements de Pins sylvestre (Pinus sylvestris), maritime (P. pinaster), laricio (P. nigra laricio) et de Sapins de Douglas (Pseudotsuga menziesii), qui couvrent près de 2 400 hectares.
Plusieurs vallons parcourus par des ruisseaux, qui s’assèchent parfois en été, entaillent le plateau, et de nombreuses mares ponctuent la forêt. Créées à l’origine pour abreuver les animaux, pour extraire de l’argile ou pour l’agrément, elles constituent désormais des habitats favorables à la biodiversité, et notamment aux amphibiens (tritons, grenouilles et salamandres), aux odonates (libellules et demoiselles), dont le Gomphe serpentin (Ophiogomphus cecilia), et à un poisson peu commun en France, la Loche d’étang (Misgurnus fossilis).
Le Chevreuil (Capreolus capreolus) est commun dans la forêt domaniale de Bercé (Sarthe) (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Grâce à la diversité du relief, des sols et des habitats, la flore est riche et compte plusieurs espèces protégées, notamment dans les zones humides, comme la Parisette à quatre feuilles (Paris quadrifolia), le Lycopode en massue (Lycopodium clavatum) et la Laîche maigre (Carex strigosa).
La gestion de l’ONF, qui exclut l’utilisation des produits chimiques et conserve des îlots de peuplements anciens et des arbres tombés au sol, permet le maintien d’un cortège d’insectes désormais rares qui dépendent des bois âgés comme le Pique-prune (Osmoderma eremita), le Capricorne du chêne (Cerambyx cerdo) et le Lucane cerf-volant (Lucanus cervus), ce dernier étant commun.
Les mammifères sont bien représentés avec le Chevreuil (Capreolus capreolus), le Sanglier d’Europe (Sus scrofa) et le Cerf élaphe (Cervus elaphus), mais aussi avec plusieurs mustélidés dont le Blaireau d’Eurasie (Meles meles) et la Martre des pins (Martes martes), qui chasse ici sa principale proie, l’Écureuil roux (Sciurus vulgaris).
Grâce aux nombreuses cavités disponibles, la richesse en chiroptères est remarquable : lors d’un recensement effectué en juillet 2011, 21 espèces ont été contactées, dont le Rhinolophe euryale (Rhinolophus euryale) et le Murin de Bechstein (Myotis bechsteinii), qui sont en danger critique.
665 hectares de la forêt de Bercé ont été inclus dans le site Natura 2000 intitulé « Vallée du Narais, Forêt de Bercé et Ruisseau du Dinan ». On peut également mentionner la présence de six Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF).
Une forêt d’exception depuis 2017
Depuis le 18 mars 2017, la forêt domaniale de Bercé bénéficie du label de Forêt d’Exception créé par l’ONF et qui récompense son patrimoine unique en termes d’histoire, de paysages, de biodiversité et de bois de grande valeur, ainsi que sa gestion durable. Les forestiers s’occupent en effet d’un héritage issu de plusieurs siècles de sylviculture en futaie régulière, une pratique qui a été reconnue comme patrimoine culturel immatériel en juin 2022. Ses futaies majestueuses, qui produisant un bois d’une qualité mondialement reconnue, ses vallons et lieux pittoresques, ses vestiges archéologiques (tumulus, enclos gallo-romains, traces d’anciennes forges, etc.) plus ou moins cachés dans la végétation, son réseau de routes forestières qui se rejoignent en carrefours en étoile (ou ronds) et la richesse de sa faune et de sa flore font en effet de la forêt de Bercé un endroit d’un grand intérêt scientifique, économique et social.
Accès et bons secteurs d’observation
Carte de la forêt domaniale de Bercé (Sarthe) et bons secteurs d’observation (cliquez sur la carte pour l’agrandir). |
La forêt domaniale de Bercé est située entre Le Mans et Tours. Pour y accéder depuis Le Mans, on peut prendre la A28 ou la D338 en direction de Tours. Au niveau des sorties 25 ou 26 (par la A28) ou du Relais Saint-Hubert (par la D338), rejoindre le village de Jupilles où est installée « Carnuta », la maison de l’Homme et de la forêt, un lieu ludique et interactif qui propose des expositions, des animations interactives et des sorties pour découvrir le monde forestier (téléphone : 02 43 38 10 31 et site web : www.carnuta.fr).
De nombreuses allées forestières, qui se rejoignent au niveau de plusieurs carrefours en étoile ou « ronds »), permettent de parcourir la forêt de Bercé à pied, à VTT ou à cheval : évitez toutefois de vous promener les jours de chasse (les lundis et jeudis de la fin septembre à la fin février).
Trois sentiers pédestres balisés ont été créés par l’ONF : « à l’école de la forêt », une boucle familiale d’1 h 30, le « sentier du Vivier », une boucle d’environ 2 h 30 entre bocage et forêt, et le « sentier de la futaie des Clos », que vous pouvez découvrir à travers une application téléchargeable sur smartphone.
Pour observer les oiseaux nicheurs remarquables, Titouan Roguet nous propose particulièrement de parcourir les secteurs suivants (voir notre carte ci-contre et téléchargez la carte des parcelles numérotées et des sentiers disponibles sur www.vallee-du-loir.com) :
- les parcelles proches des ronds du Chêne Désiré et de l’Embranchement (numéros 181, 166, 171 et 174 par exemple), dont les grands arbres âgés et anciens sont favorables aux six pics nicheurs, dont le Pic cendré (Picus canus), mais aussi à la Bondrée apivore (Pernis apivorus).
- La futaie des Clos est également intéressante pour observer les pics.
- Les parcelles entre les ronds de la croix Chambeaux et Volumiers (par exemple numéros 207 et 208) et celles proches du rond des Défaits (numéro 13 par exemple) pour le Pouillot siffleur (Phylloscopus sibilatrix) notamment.
- Les parcelles proches de la Croix du Genêt, du rond des Renardières (numéro 13 par exemple) et de la fontaine de la Coudre (numéro 127 par exemple) pour chercher le Pouillot de Bonelli (P. bonelli).
- Les parcelles situées entre les ronds des Renardières et des Forges (numéros 41, 43 et 45 par exemple) pour l’Engoulevent d’Europe (Caprimulgus europaeus).
L’un des derniers secteurs pour observer le Pic cendré dans l’ouest de la France
La forêt domaniale de Bercé (Sarthe) est l’un des derniers secteurs de l’ouest de la France où il est possible d’observer régulièrement le Pic cendré (Picus canus) (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Titouan Roguet nous précise que 152 espèces d’oiseaux ont été recensées dans la forêt de Bercé d’après le site collaboratif Faune-maine. Grâce à sa richesse en arbres anciens et morts, on peut y observer six Picidés nicheurs : les Pics épeiche (Dendrocopos major), épeichette (D. minor) et mar (Dendrocoptes medius) (150 couples), noir (Dryocopus martius) (présent depuis les années 1970), vert (Picus viridis) et cendré (P. canus).
Cette dernière espèce est en déclin en France (- 30 % entre les atlas des oiseaux nicheurs de France de 1985-1989 et celui publié en 2016), à cause de l’évolution des pratiques sylvicoles (abaissement de l’âge d’exploitation, enrésinements et suppression des arbres morts ou sénescents), de la destruction des prairies permanentes (où il trouve des fourmis), de la compétition avec le Pic vert et du réchauffement climatique. Autrefois bien présent dans l’ouest de la France, il ne reste plus que quelques populations, dont celle de la forêt de Bercé, estimée à dix ou quinze couples, et qui est l’une des dernières de la région Centre-Val-de-Loire (lire Réaliser un atlas ornithologique : l’exemple des Pays de la Loire). Précisons que dans la région naturelle du Perche (Normandie et Centre-Val-de-la-Loire), qui constituait un secteur fiable, il est également devenu très rare (Promenade ornithologique dans la forêt de Senonches).
Pour avoir une chance d’observer cette espèce discrète, il faut repérer son chant au printemps et privilégier les parcelles aux grands arbres espacés. Titouan nous conseille particulièrement les environs des ronds du Chêne Désiré et de l’Embranchement (voir notre carte plus haut).
Le Pouillot de Bonelli (Phylloscopus bonelli) peut être observé dans la partie ouest de la forêt domaniale de Bercé (Sarthe) (cliquez sur la photo pour l’agrandir). |
Outre le cortège classique des passereaux nicheurs des forêts de l’ouest de la France, la futaie ancienne de chênes et de hêtres est le domaine de plusieurs passereaux nicheurs remarquables, comme le Pouillot siffleur, qui est présent par exemple dans les parcelles proches des ronds de la Croix Chambeaux, Volumiers et des Défaits. Cet habitat accueille aussi le Rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus) et le Grimpereau des bois (Certhia familiaris), qui coexiste ici avec le Grimpereau des jardins (C. brachydactyla) (lire Distinguer les Grimpereaux des bois et des jardins).
Le Pouillot de Bonelli se reproduit dans les boisements clairs et secs de l’ouest du massif, par exemple près du Croix du Genêt, du Rond des Renardières et de la Fontaine de la Coudre. Le Bec-croisé des sapins (Loxia curvirostra) est à rechercher dans les pinèdes, mais ses effectifs sont irréguliers d’une année sur l’autre.
Le Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca) ne semble pas nicher, mais il est régulier en migration à la fin de l’été.
La Fauvette pitchou (Curruca undata) est une nicheuse très rare et locale, à chercher par exemple dans le secteur de la parcelle 45.
Les landes parsemées de résineux et de bouleaux de l’ouest de la forêt sont le domaine de l’Engoulevent d’Europe, par exemple dans les secteurs des ronds des Renardières et des Forges.
Plusieurs espèces de rapaces sont nicheurs : la Bondrée apivore, que l’on peut par exemple observer dans le secteur des ronds du Chêne Désiré et de l’Embranchement, la Buse variable (Buteo buteo), l’Autour des palombes (Accipiter gentilis) (rare), l’Épervier d’Europe (A. nisus), le Faucon hobereau (Falco subbuteo), qui profite de la présence de plusieurs mares et étangs, et le Busard Saint-Martin (Circus cyaneus) (rare), qui est à rechercher dans les parcelles en régénération.
La Bécasse des bois (Scolopax rusticola) se reproduit aussi dans la forêt de Bercé, mais elle y est rare et difficile à repérer, sauf en mars, lors de la croûle (lire Photographier la croule de la Bécasse des bois).
Un tour au bord des étangs disséminés dans la forêt, par exemple ceux de la petite vallée de l’Yre, près de Beaumont-Pied-de-Bœuf, sera l’occasion de voir d’autres espèces, comme le Héron cendré (Ardea cinerea), le Martin-pêcheur d’Europe (Alcedo atthis) ou le Grand Cormoran (Phalacrocorax carbo).
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Compléments
À lire sur le web
- Le site web « Fan de Faune » de Titouan Roguet : fandefaune.free.fr
- La galerie Flickr de Titouan Roguet : www.flickr.com/photos/166616147@N06/
- Le site web Carnuta : www.carnuta.fr
Ouvrages recommandés
- Oiseaux nicheurs des Pays de la Loire de B. Marchadour et al
- Le guide ornitho de L. Svensson et al
- Guide des oiseaux de Bretagne et de Loire-Atlantique de Serge Nicolle, Bruno Dubrac et Hervé Michel
Sources
- ONF (2020). Bercé Forêt d’Exception® mobilisé pour un nouveau sentier pédagogique. Date : 7/12. www.onf.fr
- Ouest-France (2014). Pics et rapaces de la forêt de Bercé ont été inventoriés. Date : 12/01. data.over-blog-kiwi.com
- Hugo Touzé (2014). Situation du Pic cendré (Picus canus) Gmelin 1788 dans le Nord-ouest de la France. Dervenn. www.dervenn.com
- Marek Banasiak, Guy Le Reste et Laurent Tillon (2013). Expertise des Chiroptères – Forêt Domaniale de Bercé (72). Forêt de Bercé. www.foret-de-berce.fr
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