De plus en plus de pelouses synthétiques sont posées dans les terrains verts

Une pelouse artificielle dans un jardin privé

Une pelouse artificielle dans un jardin privé.
Photographie : R3dus-01  / Wikimedia Commons

De plus en plus de municipalités, mais aussi de particuliers, décident de poser de la pelouse synthétique dans les espaces verts urbains publics et privés (parcs, jardins, terrains de port, squares, aires de jeux, etc.) pour diminuer les frais de jardinage et d’arrosage (notamment dans les régions arides et semi-arides). Les fournisseurs proposent à des prix attractifs ces surfaces artificielles « confortables », « esthétiques » (de loin en tout cas), d’une couleur uniforme et propres quelles que soient les conditions météorologiques.
Les exemples de lieux touchés sont nombreux : citons entre autres la municipalité d’Hertogenbosch (Pays-Bas), qui a « rénové » une aire de jeux en remplaçant le gazon classique par de la fausse herbe, le complexe sportif municipal de Changé (Sarthe), qui a entièrement supprimé ses pelouses naturelles, le stade Jean Jaurès de Chaville (Hauts-de-Seine), qui vient d’être refait avec de l’herbe artificielle, ou la ville de Langford, sur l’île de Vancouver (Canada), qui a de plus en plus recourt aux fausses bandes herbeuses le long de ses rues. Les particuliers succombent aussi au « charme » de ces étendues vertes pour avoir toujours une belle pelouse, sur laquelle les enfants peuvent jouer sans se salir : les photographies de ces « jardins idéaux » se multiplient sur les réseaux sociaux.
Ces surfaces synthétiques sont aussi parfois installées autour des pistes d’aéroport pour réduire le nombre d’oiseaux s’y réfugiant ou s’y nourrissant.
Pourtant, le faux gazon, qui est généralement fabriqué avec du polyéthylène ou du polyamide, a beaucoup de défauts : il augmente localement la température (jusqu’à dix degrés) lors des canicules, contribuant à créer des « îlots de chaleur », génère des microparticules de plastique lors de sa dégradation, charge l’eau de pluie d’éléments chimiques et empêche les échanges gazeux et aqueux, appauvrissant le sol en l’asphyxiant, en l’asséchant et en tuant les microorganismes et les invertébrés (lombrics notamment) qui sont essentiels à son fonctionnement écologique. Il empêche donc certains oiseaux (passereaux insectivores ou rapaces diurnes et nocturnes chassant les rongeurs) de se nourrir ou de trouver des végétaux pour garnir leur nid.
Les effets négatifs du gazon synthétique sur les oiseaux urbains, comme sur le Moineau domestique (Passer domesticus), déjà en déclin dans les villes (lire Le déclin du Moineau domestique à Londres et à Paris), ont déjà été démontrés, mais les études comparant la richesse ornithologique des espaces verts avec ou sans pelouses artificielles sont rares : c’est le cas de celle publiée en 2022 dans la revue Conservation International étudiant la diversité ornithologique de 45 parcs urbains (24 avec du gazon naturel et 21 avec du gazon artificiel) dans 18 villes de la Communauté valencienne (Espagne).

La méthodologie suivie

Pelouses dans l'un des parcs étudiés

Pelouses dans l’un des parcs étudiés, dans la commune de Tavernes de la Valldigna, dans la Communauté valencienne (Espagne).
Photographie : Palayo 2 / Wikimedia Commons

Dans la Communauté valencienne, la « mode » de la pose du gazon artificiel dans les parcs urbains a commencé au cours de la dernière décennie, et si le nombre de parcs concernés est encore faible, il augmente rapidement. Les localités qui ont fait ce choix se caractérisent par de faibles précipitations annuelles (456 mm en moyenne) et par des températures moyennes annuelles chaudes (16,5 degrés), caractéristiques du climat méditerranéen.
Chaque parc pris en compte lors de l’étude a été visité au moins une fois au cours de l’automne 2020 entre 8 h et 10 h du matin, un moment où la présence humaine est encore faible et l’activité des oiseaux élevée. La technique de comptage utilisée est celle des points d’écoute, qui duraient cinq minutes et couvraient un rayon de 25 mètres. Les participants ont à chaque fois noté la présence et l’abondance des oiseaux vus ou entendus.
La plupart des espaces verts (26 sur 45), notamment ceux avec du gazon artificiel, couvrant moins d’un hectare, un seul point d’écoute par parc a été mis en place. Les zones périphériques ont été prises en compte pour les plus petits.
Le comptage n’a pas été mené pendant la saison de reproduction, mais la diversité ornithologique automnale des parcs urbains de cette partie de l’Espagne est fortement corrélée à celle du printemps. Il n’a pas non plus été effectué durant les jours de pluie ou de vent pour éviter les différences dues aux conditions météorologiques.
Plusieurs variables ont été prises en compte en plus de la superficie et du type d’herbe (naturelle ou non), comme la présence de végétaux ligneux de plus d’un mètre de haut, d’arbres fruitiers (palmiers-dattiers, oliviers, chênes, etc.), d’espèces végétales exotiques, de ressources alimentaires artificielles (par exemple, des terrasses de bars), d’aires de jeux pour enfants ou de points d’eau (fontaines et plans d’eau).
Le remplacement du gazon naturel par de l’herbe artificielle pouvant avoir des effets différents en fonction de l’écologie de chaque espèce, deux ensembles ont été créés : les oiseaux terrestres, incluant ceux se nourrissant principalement au sol, comme le Moineau domestique, le Merle noir (Turdus merula) et la Tourterelle turque (Streptopelia decaocto), et les autres oiseaux, regroupant ceux se nourrissant sporadiquement au sol, comme le Canard colvert (Anas platyrhynchos). Certains, comme la Mésange charbonnière (Parus major) ont été placés dans les deux catégories car ils peuvent se nourrir à la fois au sol et dans les buissons et les arbres.

Les outils statistiques et mathématiques utilisés

Les diversités ornithologiques régionale et locale ont été évaluées à l’aide du package « Vegan » du logiciel R, tandis que les différences entre les différentes communautés aviaires des parcs ont été étudiées avec sa fonction « Beta.pair.abund ».
Pour vérifier d’éventuelles différences environnementales entre les zones de comptage, les auteurs ont effectué un test statistique PERMANOVA avec les variables environnementales choisies.
Pour déterminer l’effet du type d’herbe sur la diversité régionale, des modèles statistiques mixtes linéaires généralisés ont été utilisés.
Pour contrôler les effets de l’espèce et de la zone, ces deux éléments ont été choisis comme covariables. La ville a aussi été considérée comme une variable aléatoire pour contrôler les effets des variations entre localités, par exemple, le type de gestion des espaces verts.
Pour vérifier les différences significatives des variations de l’avifaune entre les parcs avec ou sans gazon artificiel, des modèles linéaires généralisés ont été appliqués, et un test PERMANOVA a été appliqué pour évaluer les changements de composition aviaire.
Un test SIMPER a été mené pour quantifier la contribution de chaque espèce dans les différences de composition ornithologique.
Toutes les analyses statistiques ont été réalisées pour l’ensemble des espèces d’oiseaux observées. 

Résultats obtenus : un impact négatif du gazon synthétique

Merle noir

Le Merle noir (Turdus merula) trouve sa nourriture dans les pelouses naturelles. 
Photographie : Alain Fourcade

La diversité ornithologique moyenne était toujours plus élevée dans les parcs sans gazon artificiel (31 espèces contre 18), le nombre d’oiseaux étant également plus important dans ces derniers. Aucun effet n’a été par contre détecté sur la diversité sur la richesse régionale.
Des différences significatives dans la composition des communautés aviaires ont été trouvées, le Moineau domestique, la Tourterelle à collier, le Pouillot véloce (Phylloscopus collybita), le Pigeon biset (Columba livia) et le Merle noir étant responsables de plus de 50 % de ces variations. 

Discussion : une diminution de la diversité et de l’abondance des oiseaux

La diversité ornithologique moyenne des 45 parcs urbains étudiés (31 espèces) était supérieure ou comparable à celle mesurée dans des études équivalentes menées dans d’autres parties du monde, par exemple en Malaisie, dans le nord de l’Espagne, au Mexique ou en Inde). Elle est nettement plus élevée dans les espaces verts avec du gazon naturel que dans ceux avec de la fausse pelouse. Cette diversité pourrait être influencée par la superficie moyenne des parcs traditionnels et artificialisés, mais l’utilisation de la méthode de comptage des points d’écoute à rayon fixe, plutôt que celle des transects (recensement de long de lignes), pourrait expliquer l’absence d’effet de la surface sur la richesse en oiseaux constaté lors de cette étude.
La diminution de la diversité de l’avifaune due au gazon synthétique n’est pas compensée par une augmentation de l’abondance des espèces restantes, certainement parce que ce type de surfaces est plus pauvre en ressources alimentaires, ce qui affecte directement les oiseaux se nourrissant au sol, qu’ils soient insectivores comme le Merle noir ou granivores comme la Tourterelle turque et les fringilles. Même les espèces les plus communes sont moins nombreuses dans ces parcs modifiés. Les parcs sans pelouse synthétique accueillent par ailleurs davantage d’espèces occasionnelles.
Ces résultats concordent avec d’autres études qui ont montré que les pelouses naturelles jouent un rôle important pour les oiseaux urbains.

En conclusion : privilégier la végétation naturelle pour protéger les oiseaux

Un exemple de jardin sec dans le Nevada

Un exemple de jardin sec dans le Nevada (États-Unis) : choisir des plantes indigènes adaptées à la sécheresse peut éviter la pose de pelouse synthétique. 
Photographie : David Grayson / Wikimedia Commons

La tendance actuelle consistant à remplacer le gazon naturel par du gazon artificiel, notamment dans les régions méditerranéennes, pourrait ainsi constituer une menace supplémentaire sur l’avifaune urbaine. Ce choix est souvent fait pour réduire la consommation d’eau, une mesure nécessaire à cause du changement climatique, mais il faut privilégier d’autres solutions, comme l’usage de plantes indigènes adaptées à la sécheresse, comme cela est préconisé par exemple à Las Vegas (Nevada), qui interdit les pelouses et favorise les jardins « secs » plantés de végétaux désertiques (cactées, arbustes épineux, etc.), qui fournissent par ailleurs du nectar et des fruits à l’avifaune locale.
Si vous devez absolument poser du gazon synthétique pour des raisons particulières, limitez au maximum sa surface et choisissez un modèle permettant le passage de l’eau, et compensez son installation par la plantation d’arbustes fruitiers et/ou de fleurs riches en nectar et fournissant des graines en automne (lire Conseils pour aménager son jardin pour les oiseaux).
Ne pas installer de pelouse synthétique permet en outre d’éviter l’accumulation de chaleur : en effet, le vrai gazon convertit le rayonnement solaire par la photosynthèse et rafraîchit l’air par évapotranspiration. Cela a été prouvé par des relevés par thermographie aérienne : par exemple lors d’un jour de juillet 2007 aux États-Unis, alors que la température de l’air était de 25,5°C, le gazon naturel affichait une température de 29,4°C et celle du gazon synthétique de 60°C !
La végétation naturelle contribue en outre à épurer l’air urbain et a un effet positif sur notre santé physique et mentale.
Face à toutes ces conséquences pour l’environnement et la santé humaine, certaines villes américaines ont déjà décidé d’interdire les gazons synthétiques sur les terrains publics, comme Boston.

Une vidéo pour réaliser un jardin « sec »

L’un des objectifs de la pose d’une pelouse synthétique est de diminuer la consommation d’eau, notamment dans les  régions méditerranéennes et désertiques, or il est possible d’avoir un beau jardin sans avoir besoin de l’arroser (ou presque), comme le montre la vidéo ci-dessous. 

Quelques astuces pour réussir un jardin « sec ».
Source : Syndicat mixte du bassin de Thau

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