La baisse du nombre d’insectes écrasés lors des trajets en voiture

Impacts d'insectes à l'avant d'une voiture

Impacts d’insectes à l’avant d’une voiture : leur nombre a fortement baissé depuis une vingtaine d’années.
Photographie : Tamsin Slater  / Wikimedia Commons

Bien que la végétalisation des zones urbaines ait tendance à progresser dans les villes d’Europe, leur richesse en insectes reste généralement moindre que dans des secteurs plus naturels à cause de leur haut niveau d’artificialisation des sols, de la mauvaise qualité de l’air, de l’absence de plantes hôtes appropriées et parfois encore de l’utilisation d’insecticides et d’herbicides. Or les oiseaux, même ceux dont le régime alimentaire est très généraliste, ont besoin d’apporter des protéines de qualité à leurs oisillons, qui sont essentiellement fournies par les insectes : il est donc très important que les espèces urbaines en trouvent, au moins pendant leur saison de reproduction.
Les véhicules (trains, camions et voitures) peuvent accidentellement « apporter » des insectes dans les villes en les percutant durant leurs trajets dans des zones plus naturelles : on les retrouve donc écrasés sur les pare-brise, les calandres et les plaques d’immatriculation, même si leur quantité a fortement baissé depuis une vingtaine d’années. L’effet pare-brise permet de le constater empiriquement : depuis les années 2000 au moins, les conducteurs observent en effet qu’après un long trajet, l’avant de leur voiture ne nécessitait plus d’être nettoyé, les  impacts des insectes écrasés ayant fortement baissé. Une étude réalisée au Danemark durant vingt ans a mesuré le nombre d’insectes écrasés sur les pare-brise de voitures sur deux tronçons de route entre 1997 à 2017, et il aurait diminué de 80 % en moyenne.

Les objectifs de cette étude

Plusieurs espèces d’oiseaux sont capables d’exploiter cette ressource alimentaire directement liée aux activités humaines et ont été vues prélevant des insectes écrasés à l’avant des véhicules. Toutefois, ce comportement a été assez peu étudié, même si les premières observations de Moineaux domestiques (Passer domesticus) l’ayant adopté remontent à 1928 à Londres (Royaume-Uni). Des observations anecdotiques ont ensuite été signalées dans le monde entier, mais aucune étude n’avait été menée de manière systématique.
Les objectifs de l’étude publiée en 2023 dans la revue Birds étaient de recenser les espèces d’oiseaux capables d’utiliser cette ressource alimentaire en Finlande, de déterminer depuis quand et selon quelle fréquence ce comportement était pratiqué dans le pays, et d’évaluer les saisons durant lesquelles les oiseaux utilisaient cette source de nourriture en Finlande.
Les auteurs ont émis l’hypothèse que les espèces sédentaires, omnivores, communes dans les villes et opportunistes étaient les plus susceptibles d’être capables de profiter de cette ressource. L’apport d’insectes étant particulièrement important durant la croissance des oisillons, ils ont aussi prédit que ce comportement était plus fréquent pendant la période de nidification.

La zone d’étude et la méthodologie suivie

Moineau domestique (Passer domesticus)

Moineau domestique (Passer domesticus) prélevant des insectes collés à l’avant d’une voiture garée dans la ville de Banff (Canada) en août 2019.
Source : chaîne YouTube de Sing Lin

L’étude a été menée au niveau finlandais et au niveau local, dans la zone urbaine de Rovaniemi, située au nord du pays.
Les auteurs ont utilisé plusieurs méthodes pour collecter des données.
Tout d’abord, un questionnaire a été envoyé aux observateurs finlandais via la liste de diffusion BirdLife Finland Birdnet le 26 juillet, le 8 août et 16 septembre 2022. Il contenait les questions suivantes :

  • (1) avez-vous déjà observé des oiseaux prélevant des insectes à l’avant des voitures, à l’exclusion du pare-brise et du capot moteur ?
  • (2) Si oui, quelles espèces avez-vous observées dans la liste suivante : Moineau domestique (Passer domesticus) – Moineau friquet (Passer montanus) – Pigeon biset féral (Columba livia domestica) – Choucas des tours (Coloeus monedula) – Corneille mantelée (Corvus corone cornix) – Pie bavarde (Pica pica) – Merle noir (Turdus merula) – Mésange charbonnière (Parus major) – Mésange bleue (Cyanistes caeruleus) – Verdier d’Europe (Chloris chloris) – Autre (laquelle dans ce cas ?).
  • (3) Avez-vous uniquement observé ce phénomène en milieu urbain ou bien également en milieu rural ?
  • (4) Dans quels lieux avez-vous observé ce phénomène (sur les aires de stationnement des grandes surfaces, dans les rues, dans votre jardin ou dans un autre type d’endroit).
  • (5) Quand avez-vous observé ce comportement pour la première fois ?
  • (6) Ce comportement est-il courant ? Citez votre commune d’observation.

La liste de diffusion Birdnet compte environ 1 000 destinataires, et 29 observateurs ont répondu. Le même questionnaire a été envoyé le 27 juillet 2022 à onze ornithologues professionnels.
Une recherche de données a ensuite été menée le 19 septembre 2022 dans la base de données tiira.fi, qui fonctionne depuis le 29 mars 2006 et qui compte environ 40 000 utilisateurs qui saisissent environ deux millions d’observations par an. La recherche a porté sur les mêmes espèces que celles du questionnaire, mais aussi sur le Bouvreuil pivoine (Pyrrhula pyrrhula) et la Bergeronnette grise (Motacilla alba), deux espèces pour lesquelles il existe au moins une donnée.
Les auteurs ont aussi utilisé leurs propres observations effectuées depuis 1976 dans la ville de Rovaniemi, et ils ont effectué des recherches spécifiques sur le terrain au cours de l’été et de l’automne 2022 dans cette zone urbaine.

Les résultats obtenus

Mésange charbonnière

La Mésange charbonnière (Parus major) est capable de prélever les insectes écrasés sur les voitures.
Photographie : Gilles Bourrioux

Au total, 102 observations impliquant sept espèces d’oiseaux prélevant des insectes écrasés à l’avant des voitures ont été collectées, la plupart grâce au questionnaire. Via cet outil, 60 % des personnes interrogées ont déclaré que ce comportement était rare ou très rare, contrairement à ce qu’indiquait un éditorial paru en 2022 dans la revue The British Birds affirmant qu’il semblait assez répandu.
Plus de la moitié (64,1 %) des observations concernaient le Moineau domestique, suivi par la Bergeronnette grise (10,7 %), le Choucas des tours (8,7 %), le Moineau friquet (4,9 %), la Corneille mantelée (4,9 %), la Mésange charbonnière (3,9 %) et la Pie bavarde (1,9 %). Un Bouvreuil pivoine a été vu prélevant des insectes sur des essuie-glaces.
La première observation d’un oiseau utilisant cette ressource alimentaire en Finlande remonte à 1971 pour le Moineau domestique, à 1975 pour la Bergeronnette grise, à 1997 pour la Corneille mantelée, à 2006 pour le Choucas des tours, à 2011 pour le Moineau friquet, à 2019 pour la Pie bavarde, à 2020 pour la Mésange charbonnière et à 2022 pour le Bouvreuil pivoine. Depuis 2012, ce comportement est observé presque chaque année chez le Moineau domestique, alors qu’il reste occasionnel pour les autres espèces.
Plus des trois quarts des observations (78,2 %) ont été réalisées en milieu urbain, 18,8 % en milieu rural et 3,0 % en milieu périurbain. La majorité des observations d’oiseaux se nourrissant d’insectes ont été effectuées dans les aires de stationnement des grandes surfaces.
La plupart des observations ont été effectuées en juillet.

Peu d’espèces d’oiseaux exploitent cette ressource alimentaire dans le monde

En Finlande, sept espèces d’oiseaux au moins se nourrissent donc d’insectes écrasés à l’avant des voitures, le Moineau domestique étant l’espèce la plus fréquemment citée, notamment depuis 2012. La plupart des observations ont été faites en juillet, c’est-à-dire à la fin de la saison de reproduction.
En effectuant une recherche dans les outils en ligne Scopus et Google Scholar, dans les encyclopédies « Handbook of the birds of Europe, the Middle East and North Africa », « The birds of the Western Palearctic » et « Pohjolan Linnut Laulavat », les auteurs n’ont trouvé des données que pour le Moineau domestique, la Corneille noire (Corvus corone), la Bergeronnette grise, le Goéland argenté (Larus argentatus), le Merle noir, le Verdier d’Europe et le Quiscale des marais (Quiscalus major).
Jean-Yves Ravinet nous a transmis la photo d’un Bruant ou Plectrophane des neiges (Plectrophenax nivalis) mangeant des insectes écrasés à l’avant d’une voiture près du lac Jökulsarlon, dans le parc national du Vatnajökull (Islande).

Les espèces traditionnellement les plus « débrouillardes » sont les mieux représentées

Bergeronnette grise

La Bergeronnette grise (Motacilla alba) est l’une des sept espèces d’oiseaux mangeant des insectes écrasés à l’avant des voitures en Finlande, et la seule qui soit strictement insectivore.
Photographie (prise en Islande) : PTJ56 / Wikimedia Commons

Le Moineau domestique et les Corvidés sont les espèces pratiquant le plus ce comportement, ce qui est cohérent avec leurs capacités d’adaptation et cognitives élevées (lire Le Moineau domestique peut utiliser les voitures pour s’abriter). Ce sont en outre des oiseaux communs en ville.
Une seule espèce, la Bergeronnette grise, est migratrice (en Finlande) et purement insectivore, les autres étant sédentaires ou partiellement migratrices et omnivores.
Si le Moineau domestique et la Bergeronnette grise sont assez largement répartis dans toute la Finlande, le Choucas des tours est principalement localisé dans le sud du pays. Plusieurs participants au questionnaire ont rapporté que ces petits Corvidés capturaient aussi des insectes à l’avant des trains longue distance arrivant à la gare d’Helsinki.
Les premières observations d’oiseaux se nourrissant d’insectes à l’avant des voitures finlandaises ne remontent qu’à 1971, ce qui correspond au début de l’explosion du parc automobile national.

Un comportement lié à l’alimentation des oisillons

La plupart des observations ont été faites à la fin de la saison de reproduction, ce qui suggère que ce comportement pourrait être lié à un manque et/ou à un besoin en aliments riches en protéines pour nourrir les oisillons : des Moineaux domestiques adultes ont en effet été vus transportant des insectes dans leur bec vers leur nid ou les donnant aux jeunes quémandant à proximité de la voiture, leur permettant ainsi peut-être de découvrir cette pratique qui leur sera utile plus tard.

Un comportement rare mais peut-être sous-estimé

Il est possible que ce comportement soit plus courant que celui rapporté dans cette étude, les observateurs ne faisant pas forcément attention à lui. En outre, le nombre de personnes ayant participé à l’étude est assez réduit.
D’autres études sur le terrain seraient nécessaires pour collecter davantage de données, en se concentrant dans les zones les plus favorables, comme les aires de stationnement des grandes surfaces.
Il serait aussi intéressant de vérifier s’il existe des différences de fréquence dans la pratique de ce comportement en fonction du sexe et s’il a un effet significatif sur le succès de la reproduction et sur le développement des oisillons nourris ainsi.

Une vidéo de Quiscale des marais mangeant des insectes à l’avant d’une voiture

La vidéo ci-dessous montre un Quiscale des marais prélevant des insectes écrasés à l’avant d’une voiture garée dans une aire de stationnement aux États-Unis en août 2012.

Quiscale des marais (Quiscalus major) prélevant des insectes écrasés à l’avant d’une voiture garée aux États-Unis en août 2012.
Source : ET III

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