Les chaînes karstiques de Nouvelle-Guinée, un monde encore peu connu

Zone du Pli du Sud en rouge et situation de la crête karstique d’Iagifu

Zone du Pli du Sud (Southern Fold) en rouge et situation de la crête karstique d’Iagifu, où le Ptilorrhoa à capuchon (Ptilorrhoa urrissia) a été découvert.
Carte : Ornithomedia.com

La Nouvelle-Guinée est l’une des plus grandes îles du monde, et sa biodiversité et son taux d’endémisme sont remarquables. Elle demeure toutefois encore peu étudiée par rapport à d’autres zones tropicales, mais malgré cela, le taux de découverte de nouvelles espèces d’oiseaux y reste très élevé, surtout dans les régions sous-explorées.
Les montagnes karstiques du Southern Fold (Pli du Sud), figurent parmi les moins connues. Cette vaste zone boisée, qui couvre près de 20 000 km², est caractérisée par un relief extrêmement accidenté, une forte pluviométrie constante et une grande difficulté d’accès, ce qui a longtemps limité les recherches scientifiques. Au cours des dernières années, plusieurs expéditions menées dans ces forêts montagnardes ont comblé une partie des lacunes et conduit à de nombreuses découvertes taxonomiques.  
Les ptilorrhoas (genre Ptilorrhoa), reconnaissables à leur masque noir, leur gorge claire et leur plumage doux aux teintes bleues ou châtain, sont des oiseaux généralement discrets et difficiles à observer. Quatre espèces sont actuellement reconnues, chacune occupant une altitude différente ou des régions distinctes de l’île : le Ptilorrhoa bleu (P. caerulescens) en plaine, le Ptilorrhoa à dos roux (P. castanonota) sur les collines et les basses montagnes, le Ptilorrhoa tacheté (P. leucosticta) dans les forêts de montagne, et le Ptilorrhoa des Geisler (P. geislerorum) sur les collines et dans les plaines du nord-est et sur l’île de Yapen à l’extrémité occidentale de la Nouvelle-Guinée. 
Dans un article publié en novembre 2025 dans la revue Ibis, des ornithologues ont décrit une nouvelle espèce dans une forêt montagnarde poussant sur sol karstique du Pli du Sud (Southern Fold).

Un ptilorrhoa encore inconnu photographié et filmé 

Ptilorrhoa à capuchon (Ptilorrhoa urrissia) au plumage de type femelle

Ptilorrhoa à capuchon (Ptilorrhoa urrissia) au plumage de type femelle (spécimen de référence) photographié par un piège sur la crête d’Iagifu (Papouasie-Nouvelle-Guinée) le 1er janvier 2020.
Source : Iain A. Woxvold et al / Ibis

Cette étude repose sur une série d’images et d’enregistrements vidéo issus de pièges photographiques posés entre 2017 et 2024 entre 1 300 et 1 400 mètres d’altitude dans la forêt de la crête karstique d’Iagifu, située dans les Hautes-Terres méridionales (Southern Highlands).
Vingt caméras ont été réparties sur environ 100 hectares. Dès la première campagne de 2017, dix photographies d’un ptilorrhoa au plumage distinct, manifestement non encore décrit, ont été obtenues grâce à deux appareils distants de 600 mètres. Une tentative de capture au filet en 2018 est restée infructueuse.
Le suivi a été répété en 2019, en 2021 et en 2024. En 2019, une troisième caméra a également photographié l’oiseau. À la fin de cette campagne, un maillage de 18 pièges a été déployé sur 0,5 hectare autour des positions de détection, ce qui a permis d’obtenir environ 80 images supplémentaires réparties en 12 séquences.
En 2021, deux séquences ont été enregistrées à 400 mètres à l’est de cette zone. En 2022, une caméra infrarouge a filmé sept vidéos de 30 secondes montrant des individus seuls ou en duo. En 2024, trois nouvelles séquences ont été obtenues, dont une à plus de 500 mètres au nord de la zone principale. Au total, 94 photos (22 séquences) et sept vidéos (quatre séquences), impliquant au moins trois à six individus, ont été recueillies par 11 caméras dans une zone de 16 hectares. La majorité des observations était concentrée dans un secteur d’environ sept hectares.
Pour vérifier qu’il s’agissait bien d’un nouveau taxon, les auteurs ont consulté les collections de musées du monde entier. Plus de 700 spécimens de ptilorrhoas conservés dans 24 institutions ont été examinés, soit directement, soit par l’intermédiaire de conservateurs et collègues. Aucun spécimen connu ne correspondait aux oiseaux filmés et photographiés sur la crête d’Iagifu.
Conformément au Code international de nomenclature zoologique, les individus photographiés ont été désignés comme spécimens types. Un holotype (spécimen de référence) et deux paratypes ont été choisis, chacun provenant d’une séquence photographique distincte permettant d’identifier clairement un individu unique et de montrer de façon optimale les caractéristiques diagnostiques de la nouvelle espèce.

Une espèce inconnue avec deux formes de plumage

Ptilorrhoa à capuchon (Ptilorrhoa urrissia) mâle

Ptilorrhoa à capuchon (Ptilorrhoa urrissia) au plumage de type mâle photographié par un piège sur la crête d’Iagifu (Papouasie-Nouvelle-Guinée) le 15 janvier 2020.
Source : Iain A. Woxvold et al / Ibis

Les auteurs ont identifié deux formes de plumage chez la nouvelle espèce observée, appelées types A et B. Les deux présentent un masque noir, une gorge blanche et une couronne châtain, caractéristiques du genre Ptilorrhoa. Le type A possède un plumage bleu poudré sur le dessus et le dessous du corps, tandis que le type B a le dessus majoritairement vert olive et de fins sourcils blancs (chez au moins un individu). Les deux formes apparaissent souvent ensemble sur les images, et certaines séquences suggèrent qu’il s’agissait d’un couple sexuellement dimorphe accompagné d’un juvénile de type B. Par analogie avec les autres espèces du genre, les ornithologues ont supposé que le type A correspondait au mâle et le type B aux femelles, bien que cette attribution reste provisoire en l’absence de confirmation anatomique ou génétique.
La comparaison visuelle effectuée avec de nombreux spécimens de musée et de photos de terrain a confirmé que ces oiseaux ne correspondent à aucune espèce connue du genre Ptilorrhoa. Les auteurs ont donc décrit  officiellement une nouvelle espèce qu’ils ont nommée Hooded Jewel-babbler (Ptilorrhoa urrissia), que l’on peut traduire par Ptilorrhoa à capuchon, même s’il n’a pas encore de nom officiel en français. Le nom urrissia provient  du toponyme local «  »Uri urrissia » (mont Urissia) dans la langue Fasu.
Le spécimen de référence (holotype) est une femelle présumée qui a été photographiée le 1er janvier 2020 sur la crête d’Iagifu. Deux paratypes ont été sélectionnés : un individu de type B, probablement un juvénile ou un jeune en mue, photographié avec le holotype, et un adulte présumé mâle photographié en mars 2020 à proximité. Au total, plus de 70 photos et sept vidéos supplémentaires ont complété la documentation et ont permis de décrire les traits distinctifs de l’espèce.
Faute d’avoir pu capturer un oiseau (malgré de nombreux efforts), et compte tenu des menaces pesant sur sa survie, les auteurs ont décidé de procéder à sa description scientifique à partir d’images, comme cela est autorisé par le Code international de nomenclature zoologique. 

Une nouvelle espèce au plumage distinct

Le nouveau taxon mesure de 22 à 24 cm de long. Les adultes présentent une calotte châtain formant une sortie de capuchon, un masque facial noir net, une gorge blanche et une fine bande pectorale noire, et une zone bleue sur les couvertures secondaires. Les mâles sont uniformément bleutés, tandis que les femelles ont un dessus olivâtre et des flancs verdâtres. Les juvéniles présentent un plumage plus sombre et moucheté, avec une transition floue entre les zones bleues et olive, et ils ne possèdent pas de zone bleue sur les couvertures secondaires. L’iris est probablement brun foncé, comme chez les espèces voisines.
P. urrissia se distingue nettement de toutes les autres espèces du genre par l’association unique d’une calotte châtain et d’un plumage entièrement bleu (chez le mâle) ou olivâtre et bleu (chez la femelle), par un dimorphisme sexuel inédit, ainsi que par la forme spécifique de son masque facial. Plusieurs critères supplémentaires (taille du plastron blanc, présence ou absence de sourcil, motifs de gorge, absence de motifs noir et blanc sur les ailes et la queue, etc.) permettent de différencier sans ambiguïté cette espèce. 
Deux types de cris ont été enregistrés : un appel râpeux composé de plusieurs notes, qui est unique parmi les espèces du genre Ptilorrhoa, et un appel clair montant. Le chant reste inconnu.

Une espèce rare, à la distribution réduite

Ptilorrhoa à dos roux (Ptilorrhoa castanonota saturata)

Ptilorrhoa à dos roux (Ptilorrhoa castanonota saturata) femelle sur la crête d’Iagifu (Papouasie-Nouvelle-Guinée) me 15 janvier 2020
Source : Iain A. Woxvold et al / Ibis

Le Ptilorrhoa à capuchon n’est connu que d’un secteur restreint (22 hectares) entre 1 335 et 1 400 mètres d’altitude dans un massif karstique très accidenté couvert d’une forêt montagnarde humide. L’espèce semble sédentaire et peu vocale, et son comportement est comparable à celui des autres espèces du genre Ptilorrhoa : activité importante au sol,  surtout matinale et crépusculaire, pour la recherche d’invertébrés et vie en couples ou en petits groupes familiaux. 
Cette nouvelle espèce semble rare : moins de dix individus ont probablement été détectés en sept ans de suivi, et les événements enregistrés sont bien moins nombreux que ceux du Ptilorrhoa à dos roux, également présent dans le secteur. Le noyau principal des observations couvre environ sept hectares et pourrait correspondre au territoire d’un couple avec jeunes successifs. Des mâles isolés ont aussi été photographiés de l’autre côté d’une route qui pourrait fragmenter les territoires.
Son aire de répartition se situe dans une zone de transition entre celles des Ptilorrhoas à dos roux (à moyenne altitude) et tacheté (dans les secteurs plus élevés, à plus de 1 500 mètres d’altitude). Il n’a été détecté ni plus bas (moins de 1 300 mètres), ni dans des zones proches échantillonnées. L’espèce pourrait donc être localisée dans un étroit « interstice altitudinal », mais aussi potentiellement sur d’autres petites montagnes karstiques isolées entre les monts Bosavi et Karimui. Ces sites sont toutefois difficiles d’accès et parfois trop petits pour soutenir des populations viables.

L’hypothèse d’un hybride a été rejetée

L’hypothèse d’un hybride a été rejetée par les auteurs car seul le Ptilorrhoa à dos roux est aussi présent dans le secteur le plumage du Ptilorrhoa à capuchon est nettement distinct, la variation de plumages observée correspond à du dimorphisme sexuel et à la mue juvénile, et non à un mélange génétique, et aucun hybride n’est connu au sein du genre Ptilorrhoa, malgré l’existence de vastes zones de contact entre les espèces. Une analyse génétique sera toutefois nécessaire dès que possible. 

Une espèce en danger 

Habitat du Ptilorrhoa à capuchon (Ptilorrhoa urrissia)

Habitat du Ptilorrhoa à capuchon (Ptilorrhoa urrissia) sur la crête karstique d’Iagifu (Papouasie-Nouvelle-Guinée).
Photographie : Iain Woxvold

Plusieurs menaces pèsent sur cette espèce : prédation (marsupiaux carnivores et rapaces), présence ponctuelle de chats domestiques ou retournés à l’état sauvage et des chiens de chasseurs, possible compétition avec le Ptilorrhoa à dos roux, fragmentation de son habitat due à l’exploitation pétrolière à la création de routes, et changement climatique qui pourrait favoriser des déplacements altitudinaux.
Sur la base des habitats favorables disponibles entre 1 300 et 1 500 mètres, de la forte fragmentation de sa distribution et de la probabilité que seules quelques localités accueillent l’espèce, les auteurs recommandent qu’elle soit considérée comme étant en danger selon les critères de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature. Si aucune autre population n’était découverte, elle pourrait même être en danger critique.

Des études supplémentaires seront nécessaires

Les auteurs soulignent qu’il est urgent d’améliorer les connaissances sur la distribution, l’écologie, le nombre d’individus et les liens phylogénétiques de P. urrissia. De nouvelles prospections sont planifiées sur des anticlinaux karstiques voisins, bien qu’ils soient souvent difficiles d’accès. Des captures futures pourraient permettre une description complète du plumage, une confirmation du dimorphisme sexuel et des analyses génétiques. 

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