Le gynandromorphisme est un phénomène rare dans lequel un individu possède à la fois des caractéristiques masculines et féminines. Il résulte d’une anomalie génétique : lors de la méiose, un ovule se développe avec deux noyaux, l’un contenant le chromosome Z et l’autre le chromosome W, et il est fécondé par deux spermatozoïdes porteurs du chromosome Z (chez les oiseaux, les chromosomes sexuels sont appelés Z et W). En conséquence, l’un des côtés de l’individu possède des cellules femelles hétérogamétiques (ZW), tandis que l’autre a des cellules mâles homogamétiques (ZZ). 

Tangara émeraude (Chlorophanes spiza)

Tangara émeraude (Chlorophanes spiza) atteint de gynandromorphisme bilatéral dans la Reserva Natural Demostrativa Don Miguel (Colombie) le 20 mai 2022. Notez les plumages vertes (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : John Murillo

Le gynandromorphisme peut être en mosaïque : la répartition des zones féminines et masculines est alors aléatoire, un même côté du corps pouvant porter des organes des deux sexes. Lorsqu’il est bilatéral, le corps est clairement « divisé » en deux, les parties féminines et masculines étant réparties symétriquement de chaque côté d’une « ligne de démarcation » : le côté droit est généralement masculin (les cellules possèdent principalement des chromosomes ZZ), tandis que le gauche est féminin (les cellules contiennent les chromosomes WZ), ce qui correspond à la répartition des testicules et de l’ovaire. La limite est généralement nette, mais ce n’est pas toujours le cas : par exemple, chez un Rougequeue noir (Phoenicurus ochruros), le côté droit de l’oiseau avait une apparence typiquement masculine, tandis que le gauche présentait un mélange de caractéristiques mâles et femelles, ces dernières étant toutefois prédominantes.

Le gynandromorphisme bilatéral n’est détectable facilement détectable que pour les animaux présentant un dimorphisme sexuel. Il a été observé chez des insectes, des araignées, des crustacés, des lézard, des rongeurs et des oiseaux (lire Le gynandromorphisme : des oiseaux mi-mâle mi-femelle). Dans le monde aviaire, il été décrit chez environ 43 espèces, principalement chez les passereaux (31 espèces) (lire Une Panure à moustaches mi-mâle mi-femelle capturée en Pologne en 2022), mais aussi les Ansériformes, les Galliformes, les Columbiformes, les Coraciformes, les Piciformes, les Falconiformes et les Psittaciformes.

L’examen de la structure interne du cerveau et des autres organes des gynandromorphes a joué un rôle déterminant dans la compréhension de la détermination du sexe et du comportement sexuel des oiseaux.

Situation de la Reserva Natural Demostrativa Don Miguel, dan le dpartement de Calda (Colombie)

Situation de la Reserva Natural Demostrativa Don Miguel, dans le département de Caldas (Colombie).
Carte : Ornithomedia.com

Dans un article publié en 2023 dans le Journal of Field Ornithologie, des ornithologues, dont Hamish Spencer, professeur à l’université d’Otago (Nouvelle-Zélande), ont décrit un spectaculaire cas de gynandromorphisme bilatéral dans le département de Caldas (Colombie) : entre octobre 2021 et juin 2023, un Tangara émeraude (Chlorophanes spiza) touché a régulièrement visité la station de nourrissage de la Reserva Natural Demostrativa Don Miguel, au sud de Manizales. Il était visible durant quatre à six semaines, puis disparaissait toutes les huit semaines environ.

Il a été photographié à plusieurs reprises et une courte vidéo a été réalisée. Il avait un plumage typiquement masculin (à dominante bleue) du côté droit et féminin (principalement vert) à gauche, même si quelques plumes noires (mâles) étaient visibles dans la calotte verte (femelle). La couleur jaune vif du bec était celle d’un mâle, bien qu’une partie de la mandibule inférieure était plus terne. L’iris était brun rougeâtre vif.

Il avait un comportement globalement normal, chantait à plusieurs reprises et n’était pas particulièrement houspillé par ses congénères ou par les autres espèces fréquentant la mangeoire. Toutefois, il évitait généralement de se mêler aux autres Tangaras émeraudes, attendant qu’ils quittent les lieux pour se nourrir, et il semblait réciproquement être évité par ces derniers. À un moment donné, il a eu un comportement territorial, ne laissant pas les autres oiseaux s’approcher. Ce comportement était peut-être lié à la saison de reproduction (de mai à juillet), mais il semble néanmoins peu probable que cet individu se soit reproduit.

Tangara émeraude (Chlorophanes spiza)

Tangara émeraude (Chlorophanes spiza) atteint de gynandromorphisme bilatéral dans la Reserva Natural Demostrativa Don Miguel (Colombie) le 20 mai 2022 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : John Murillo

Bien que le motif hétérogène de sa tête évoque un juvénile,  la couleur brun-rouge de son iris montre qu’il s’agit d’un adulte. En outre, il a été observé plus longtemps que la durée du stade juvénile.  

Cette donnée de gynandromorphie bilatérale semble être la seconde pour un Tangara émeraude (et la première pour un oiseau vivant de cette espèce). Dans le cas précédent, qui remonte à plus de cent ans, les deux côtés étaient inversés par rapport à celui décrit ici : le côté gauche était en effet masculin et le droit était féminin, ce qui est plutôt atypique (mais pas exceptionnel), en particulier chez les passereaux.   

On ne sait pas si les organes internes du Tangara émeraude de la Reserva Natural Demostrativa Don Miguel suivent la répartition du plumage, mais étant donné que le développement des gonades aviaires est autonome au niveau cellulaire, qui dépend de la composition chromosomique des cellules plutôt que des hormones diffusées dans tout le corps, cela est prévisible et a été confirmé par plusieurs observations de passereaux gynandromorphes : par exemple, un Cardinal rouge (Cardinalis cardinalis) au plumage masculin à droite avait un testicule du même côté et un ovaire à gauche. Un Diamant mandarin (Taeniopygia guttata) gynandromorphe, dont le plumage  gauche était féminin, avait un ovaire histologiquement normal à gauche et un testicule mature à droite, et son comportement était masculin, réussissant à faire la cour et à s’accoupler avec une femelle, même si les œufs produits étaient stériles. Deux Diamants de Gould (Erythrura gouldiae) qui avaient aussi un plumage féminin à gauche, avaient quant à eux un comportement féminin, s’accouplant avec des mâles et pondant des œufs. L’un de ces deux individus a été disséqué et l’on a découvert que s’il avait bien un ovaire à gauche, il n’avait pas de testicule à droite.   

Tangara émeraude (Chlorophanes spiza)

Tangara émeraude (Chlorophanes spiza) atteint de gynandromorphisme bilatéral dans la Reserva Natural Demostrativa Don Miguel (Colombie) le 20 mai 2022 (cliquez sur la photo pour l’agrandir).
Photographie : John Murillo

Il n’est pas possible de savoir si le Tangara émeraude observé en Colombie est fertile, et aucune parade nuptiale ou accouplement n’a été observé. Il était solitaire, mais des oiseaux gynandromorphes peuvent être en couple, comme cela avait été constaté pour un Cardinal rouge apparié à une femelle. Un Rougequeue noir (Phoenicurus ochruros) au plumage masculin à gauche a montré un comportement typiquement masculin et a engendré avec succès cinq poussins.

Aucune différence visible de taille bilatérale n’a été notée, alors que cela a été constaté au niveau des squelettes d’un Poulet domestique et de deux Moineaux domestiques (Passer domesticus) gynandromorphes, pour lesquels la partie féminine était 2 à 3 % plus grande. 

Les cas de gynandromorphie connus sont très rares dans la famille des Thraupidés (seuls quatre décrits), ce qui est plutôt surprenant étant donné le grand nombre d’espèces qui la composent et leur dimorphisme sexuel bien visible.  

Réagir à notre article

Réagissez à cet article en publiant un commentaire