Chez les humains, la mort d’un être proche constitue un choc émotif, et des funérailles sont organisées pour faciliter le travail de deuil. On a observé que certains animaux, comme la Pie bavarde (Pica pica) (voir une vidéo), le Chimpanzé (Pan troglodytes), l’Éléphant d’Afrique (Loxodonta africana) ou le Grand Dauphin de l’océan Indien (Tursiops aduncus) adoptaient aussi un comportement particulier lors du décès d’un congénère : contact physique avec la dépouille et/ou rassemblement autour de celle-ci. Et il peut être utile pour les survivants d’essayer d’identifier les causes possibles de la mort afin de tenter d’y échapper.

Les Corneilles d’Amérique (Corvus brachyrhynchos) se réunissent et crient fréquemment à proximité des cadavres de leur espèce : dans le cadre de sa thèse soutenue en 2015 à l’Université de Washington, Kaeli Swift a essayé de comprendre les raisons de cette attitude. Pour cela, elle a conduit en 2013 et en 2014 plusieurs expériences près de Seattle afin d’observer la réaction des Corvidés dans différentes situations : après avoir déposé de la nourriture durant plusieurs jours afin de les attirer, un volontaire portant un masque se tenait près des aliments avec différents objets : un cadavre naturalisé de corneille et/ou une Buse à queue rousse (Buteo jamaicensis) naturalisée et un cadavre naturalisé de pigeon. Entre le cinquième et le septième jour de l’expérience, la personne portant le même masque déposait à nouveau de la nourriture afin de vérifier si les oiseaux acceptaient de revenir.

Corneille d'Amérique (Corvus brachyrhynchos) morte

Corneille d’Amérique (Corvus brachyrhynchos) morte.
Source : image extraite d’une vidéo de Kaeli Swift

Kaeli Swift a constaté que 95 % des Corneilles d’Amérique réagissaient vivement à la présence d’un stimulus effrayant (un congénère mort et/ou une buse) : elles ne s’approchaient pas de la nourriture et appelaient d’autres individus. Durant 72 heures, la plupart continuait d’éviter la zone. Une semaine plus tard, plus de la moitié des corneilles réussissait encore à identifier les masques associés à ces dangers (les Pies bavardes reconnaissent aussi les visages des humains qu’elles jugent « dangereux »). Et après six semaines d’exposition régulière à ces stimuli effrayants, leur peur n’avait pas disparu (= pas d’accoutumance au danger). Par contre, seules 40 % des corneilles réagissaient quand on leur montrait un pigeon mort et elles ne parvenaient pas à mobiliser leurs congénères.

En présence d’un cadavre de leur espèce, les Corneilles d’Amérique réagissent donc vivement : elles évitent la nourriture disposée à proximité et crient pour avertir et informer les autres individus du danger. Leur réaction est encore plus forte si le prédateur (la buse) est encore là. Leur réaction est beaucoup plus modérée avec  le cadavre d’une autre espèce (par exemple : un pigeon) : en effet, s’il peut indiquer un danger, il constitue également une source de nourriture possible. 

Les rassemblements de corvidés observés à l’occasion de la mort d’un de leurs congénères, que l’on pourrait qualifier de « funérailles », serviraient donc à récolter et à communiquer des informations sur les dangers associés et à éviter la zone concernée. Ce comportement pourrait être exploité pour empêcher ces oiseaux d’approcher un secteur donné. Il serait intéressant de vérifier sir leur réaction est différente si l’oiseau mort est familier ou pas.

Corbeaux d’Australie (Corvus coronoides) réagissant bruyamment à la mort d’un de leur congénère.
Source : Saozzie