Le réchauffement climatique entraîne une expansion vers le Nord des aires de répartition de nombreuses espèces méridionales, y compris tropicales. Parallèlement, les modifications des habitats naturels par les activités humaines favorisent la progression de celles qui sont dotées de bonnes capacités d’adaptation. Ces deux dynamiques contribuent ainsi à accroître la fréquence des interactions entre des espèces dont les distributions étaient autrefois distinctes, et donc la probabilité des cas d’hybridation.

Aires de répartition des Geais vert (Cyanocorax yncas) et bleu (Cyanocitta cristata)

Aires de répartition des Geais bleu (Cyanocitta cristata) (jaune) et vert (Cyanocorax yncas) (orange) et situation du comté de Bexar, près de San Antonio, au Texas (États-Unis), où un hybride a été capturé en 2023. Les directions de l’expansion des deux espèces sont aussi indiquées (flèches noires).
Carte : Ornithomedia.com  

En mai 2023, un hybride entre les Geais vert (Cyanocorax yncas) et bleu (Cyanocitta cristata) a ainsi été découvert et capturé dans le comté de Bexar, près de San Antonio, au Texas (États-Unis), et présenté dans un article paru en 2025 dans la revue Ecology and and Evolution. Il avait été auparavant repéré suivant une bande de Geais bleus, émettant des vocalisations similaires à ces derniers. Il produisait aussi des claquements de bec et des sons graves typiques du Geai vert. Son plumage présentait un mélange de caractéristiques des deux espèces : une couronne, des touffes nasales et une tache bleues au-dessus des yeux comme le Geai vert, et un dos et une queue bleu et noir comme le Geai bleu. Il ne présentait par contre aucune coloration jaune comme le premier. Il s’agit a priori d’un mâle d’au moins un an, sur la base de caractéristiques liées à la mue, à la coloration de la mandibule interne et à la présence d’une protubérance cloacale.

Il s’agit a priori du premier cas documenté d’hybridation dans la nature entre ces deux espèces aux aires de répartition autrefois séparées, le Geai vert étant un oiseau tropical vivant du nord des Andes jusqu’au sud du Texas (lire Réchauffement climatique et répartition des oiseaux : les cas des îles Canaries et du Texas), tandis que le Geai bleu est présent du sud du Canada au golfe du Mexique. Depuis vingt ans, le premier a notablement élargi son aire de répartition vers le Nord, probablement grâce à des hivers moins froids, tandis que le second a progressé vers le sud et l’ouest du Texas durant la même période, grâce à l’expansion des zones urbaines et au nourrissage hivernal. 

Un hybride était né en captivité en 1965 dans le zoo de Fort Worth, au Texas, mais à l’époque, les aires de reproduction des Geais bleu et vert étaient distantes de 200 km. Autre fait remarquable, ces deux espèces appartiennent à des genres différents, dont les lignées se sont séparées il y a environ 7,5 millions d’années.

L’hybridation est relativement courante chez les oiseaux (elle touche 16 % des espèces environ), mais ce chiffre est probablement sous-estimé. La plupart des cas d’hybridation sont basés sur des observations visuelles, ce qui peut entraîner des erreurs d’identification. Les analyses génétiques sont donc le moyen le plus fiable pour confirmer les hybrides. 

Les auteurs de l’article ont prélevé un échantillon de sang sur l’hybride repéré au Texas, lui ont posé une bague puis l’ont relâché. Grâce à des méthodes de séquençage génétique avancées, ils ont analysé son ADN pour déterminer avec précision son origine. Ils ont comparé son génome à ceux des Geais bleu et vert, et ils ont constaté que l’ADN mitochondrial (hérité de la mère) correspondait au second. Ils ont par ailleurs analysé des milliers de petites séquences d’ADN nucléaire, et ils ont trouvé que l’oiseau possédait un mélange équilibré de gènes des deux espèces, une signature typique d’un hybride de première génération. Ils ont confirmé ce résultat en utilisant des outils statistiques qui mesurent le degré de mélange génétique, et en analysant un gène très stable, pour vérifier le niveau de diversité génétique de l’hybride.

On connaît de nombreux cas d’hybridation chez les Corvidés, dont 11 intragénériques et 2 intergénériques parmi les geais du Nouveau Monde.

Ce cas d’hybridation entre les Geais bleu et vert, deux espèces très différentes sur le plan évolutif, pourrait bien être le premier exemple documenté d’un croisement naturel entre deux espèces sociales causé par les activités humaines. Toutefois, ce phénomène pourrait être plus fréquent qu’on ne le pense et serait sous-estimé à cause du manque d’observateurs dans les zones concernées et/ou à la difficulté de repérer les hybrides. Il est en tout cas important de documenter ces interactions inédites, car elles pourraient transformer profondément les écosystèmes dans les années à venir.

Un Geai vert (Cyanocorax yncas) filmé au Texas (États-Unis).
Source : bv1

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