Les avantages et les inconvénients de la thermorégulation sociale

Manchots empereurs (Aptenodytes forsteri)

Manchots empereurs (Aptenodytes forsteri) blottis les uns contre les autres.
Source : Mtpaley / Wikipedia

Les oiseaux ont une température corporelle généralement plus élevée (de 40 à 42 °C) que celle des mammifères, et ils doivent donc consacrer une partie importante de leur métabolisme à la maintenir élevée, en particulier lorsqu’il fait froid. Leur ratio « surface corporelle/volume interne » est élevé (ce qui augmente leur surface relative exposée aux pertes de chaleur) et leurs réserves énergétiques sont relativement faibles (chez les petits oiseaux, elles ne suffisent généralement qu’à couvrir les besoins nocturnes quand il fait froid), ce qui augmente encore les défis qu’ils doivent surmonter pendant les périodes de pénurie ou d’absence de nourriture. Une Mésange buissonnière (Psaltriparus minimus) consomme ainsi 80 % de son poids à 20 °C, un pourcentage qui peut atteindre 100 % pour des  températures plus basses. En moyenne, les Mésanges à longue queue (Aegithalos caudatus) perdent 9 % de leur masse durant la nuit.
La capacité des oiseaux à accumuler des dépôts adipeux augmente de façon isométrique avec la masse. D’autre part, quand la température diminue, leur métabolisme augmente  de façon importante. Donc, en hiver, un petit oiseau meurt plus vite de faim qu’un gros.
Les espèces qui subissent des périodes régulières de disette ont la capacité d’accumuler des dépôts adipeux. Certains oiseaux peuvent même jeûner de façon volontaire : c’est par exemple le cas des femelles qui couvent ou des mâles qui paradent plusieurs jours de suite (= anorexie volontaire).
Les oiseaux sont équipés pour résister au froid : leurs plumes et leur duvet forment une couche isolante, ils sont protégés par une couche de graisse sous-cutanée plus ou moins épaisse selon les espèces, et leur système sanguin leur permet d’avoir les ailes et les pattes froides tout en gardant le centre du corps chaud (lire Les adaptations des oiseaux pour supporter le froid).
Les plumes constituent un bon isolant, mais les pertes de chaleur ne disparaissent jamais totalement. Lorsqu’ils n’ont rien à manger, les oiseaux peuvent économiser de l’énergie en réduisant leurs besoins en régulation thermique, en réduisant la température de leur corps de manière contrôlée (lire Chez les oiseaux aussi, qui dort dîne), en améliorant l’isolation thermique de leur plumage en entretenant leur plumage et/ou en trouvant un abri dans une cavité ou sous la neige (lire Comment les oiseaux supportent-ils les nuits d’hiver et comment les aider ?), ou en formant des dortoirs et en se blottissant les uns contre les autres.
La thermorégulation sociale est une stratégie permettant avant tout de diminuer les pertes de chaleur et donc les dépenses énergétiques lors de la migration et en hiver. Sa principale fonction est thermorégulatrice.
Une étude menée en laboratoire sur sept Fauvettes à tête noire (Sylvia atricapilla) avait montré que les oiseaux blottis les uns contre les autres réussissaient à maintenir une température corporelle plus élevée que les solitaires et que leur taux métabolique était 30 % plus faible. L’énergie ainsi économisée serait comparable à celle obtenue par hypothermie.
La thermorégulation sociale est donc très utile pour les passereaux migrateurs car elle permet de reconstituer plus efficacement les réserves lors des haltes.
Des expériences réalisées sur 18 Moineaux domestiques (Passer domesticus) maintenus en captivité ont permis de constater que leur poids diminuait nettement moins quand ils avaient la possibilité de se blottir les uns contre les autres.
Certains auteurs estiment que le taux de métabolisme des passereaux blottis les uns contre les autres pourrait être réduit de moitié !
Le Coliou à dos blanc (Colius colius), une espèce d’Afrique australe, économise 50 % de ses dépenses énergétiques nocturnes quand la température ambiante est de 15 °c quand il dort en groupe serré de six oiseaux au lieu de rester seul.
Le mâle du Manchot empereur (Aptenodytes forsteri) couve et jeûne durant l’hiver antarctique. Mais seul, par -15° ou -20° C, il ne pourrait tenir assez longtemps. Les « tortues » formées par des milliers de couveurs agglutinés permettent de tenir 100 à 120 jours, là où un individu isolé ne survivrait que 50 ou 60 jours et un groupe clairsemé 95 jours au maximum.
Dormir en groupe a un avantage important sur l’hypothermie, une autre technique pour économiser l’énergie la nuit : elle permet de maintenir la vigilance des individus et diminue ainsi les risques de prédation.
Former des dortoirs compacts joue également un rôle social important : cela sert à maintenir et à affirmer les rangs hiérarchiques entre oiseaux et à échanger des informations utiles (sites de nourrissage, risques de prédation…).
Par contre, les contacts étroits entre individus augmentent les risques de transmission de maladies et de parasites.

Les espèces concernées

Guêpiers d'Orient (Merops orientalis)

Guêpiers d’Orient (Merops orientalis) blottis les uns contre les autres.
Source : image extraite d’une vidéo postée par ChennaiNature sur Youtube

Les oiseaux se blottissant les uns contre les autres pour se tenir chaud sont très nombreux et variés, et les passereaux sont particulièrement bien représentés. Les espèces sociables durant ou en dehors de la saison de reproduction ont également davantage tendance à adopter ce comportement.
Le Roitelet à couronne dorée (Regulus satrapa) est le plus petit oiseau insectivore séjournant en hiver dans les forêts boréales d’Amérique du Nord, où les nuits peuvent durer 16 heures et la température atteindre -40° C: pour survivre, ces « boules de plumes » se blottissent les unes contre les autres sur les branches.
Les Etourneaux sansonnets (Sturnus vulgaris) forment de grands dortoirs en hiver (lire Mouvements aériens coordonnés : le cas des étourneaux), et certains individus se blottissent les uns contre les autres pour dormir lors des nuits froides. Lors de plusieurs visites nocturnes d’un dortoir en Pennsylvanie (Etats-Unis) effectuées entre janvier et mars 1985, des ornithologues ont estimé que cela concernait 45 % des oiseaux. Une « brochette » de 40 oiseaux pouvait se former sur une seule branche. Ces regroupements compacts étaient stables et ne se disloquaient pas même quand les autres oiseaux étaient effrayés pour une raison ou une autre.
C’est aussi le cas des Mésanges à longue queue et buissonnière. Les troglodytes dorment en groupes serrés dans des cavités : 63 Troglodytes mignons (Troglodytes troglodytes) ont ainsi déjà été vus dans le même nichoir !
Les Colins de Virginie (Colinus virginianus) sont de petits Gallinacés sociables nord-américains : lors des nuits froides ou des tempêtes de neige, ils forment des cercles sur le sol, les queues pointant vers le centre et les têtes vers l’extérieur.
Durant les migrations, les hirondelles (voir une photo) et les guêpiers (voir une photo) forment des « brochettes » d’oiseaux, les martinets de véritables « grappes » (lire Une véritable grappe de martinets !).
Les espèces concernées peuvent aussi vivre dans des zones tropicales ou subtropicales : c’est le cas par exemple de plusieurs représentants de la famille des Timaliidés comme les Cratéropes écaillé (Turdoides squamiceps), de brousse (Turdoides striata) et indien (Turdoides caudatus), les Pomatostomes à calotte grise (Pomatostomus temporalis) et d’Isidore (Pomatostomus isidorei) ou la Timalie aux yeux d’or (Chrysomma sinensis).
Les Capucins nonnettes (Lonchura cucullata), une espèce africaine, forment des troupes pouvant compter jusqu’à 30 oiseaux à la fin de la saison de reproduction : les oiseaux dorment collés les uns contre les autres dans des nids collectifs. C’est le cas aussi d’autres espèces de la famille des Estrildidés (cordons-bleus, diamants…).
Les eurylaimes (Cymbirhynchus sp.) des forêts d’Asie tropicale peuvent aussi dormir serrés (voir une photo).
Enfin, des espèces très variées, comme des oiseaux trempés (voir une vidéo de Glaréoles à collier mouillées se regroupant dans une prairie) ou souillés par des hydrocarbures peuvent aussi se réchauffer en se blottissant les uns contre les autres.

Des modalités différentes

Les oiseaux peuvent se blottir les uns contre les autres sur des branches ou bien dans des cavités comme les trous des arbres ou les nichoirs.
Passer la nuit dans un abri est en effet encore plus efficace pour diminuer les pertes de chaleur, car l’air s’y refroidit moins vite que dans les environs : par exemple, on a mesuré   que la température d’une cavité inoccupée creusée par un Pic glandivore (Melanerpes formicivorus) était de 4,3° C contre 0° C pour la température ambiante. Un seul pic augmente la température de 1,2° C, et quatre oiseaux de 6° C. Des dizaines de Mésanges buissonnières peuvent entrer dans le même trou pour passer la nuit.
Les Troglodytes de la Caroline (Thryothorus ludovicianus), qui vivent en couples toute l’année, forment des dortoirs nocturnes composés de deux ou plusieurs oiseaux qui se blottissent les uns contre les autres dans des cavités. Les Paradoxornis de Webb (Paradoxornis webbianus) dorment en petits groupes compacts distincts mais proches les uns des autres.
Les Tourterelles incas (Scardafella inca) peuvent former des pyramides regroupant jusqu’à 12 oiseaux sur trois étages, un comportement propre aux deux espèces du genre.
Ces dortoirs compacts peuvent compter seulement deux oiseaux comme chez l’Alcippe à joues grises (Alcippe morrisonia) (deux juvéniles ou deux adultes) ou des milliers d’individus comme chez le Manchot empereur.

Les positions occupées par les individus

Mésanges à longue queue (Aegithalos caudatus) se rassemblant en dortoir et se blottissant les unes contre les autres.
Source : Jwentomologist

Comme nous l’avons vu, la principale fonction des dortoirs groupés est thermorégulatrice : la perte de chaleur est alors réduite, et les oiseaux perdent moins de poids que s’ils dormaient seuls. Toutefois, ces bénéfices dépendent également de la place occupée par les oiseaux dans le groupe, qui résulte de différents facteurs comme l’âge, le sexe, la taille et le rang hiérarchique. Chez les espèces dont les dortoirs sont formés de groupes familiaux, la position peut aussi dépendre du lien de parenté.
Chez les Cratéropes de brousse et écaillé, qui dorment blottis les uns contre les autres dans les buissons, les oiseaux dominants se posent aux extrémités : ils profitent donc moins des avantages thermorégulateurs du groupe et sont plus exposés aux risques de prédation; leurs jeunes par contre occupent les meilleures places.
Les Néosittes variées (Daphoenositta chrysoptera) forment toute l’année des dortoirs compacts sur les branches, les oiseaux orientés dans la même direction. Lors de l’étude d’un groupe composé suivant les nuits de cinq à sept oiseaux, on a observé que les mâles les plus âgés arrivaient généralement les premiers et occupaient toujours les places extrêmes, l’un d’entre eux servant de « vigie ». La femelle nicheuse arrivait en troisième, mais sa position finale variait d’un soir à l’autre. Les juvéniles étaient les premiers à dormir. Le mâle non nicheur avait un comportement de soumission envers le mâle nicheur : des interactions agressives étaient notées à chaque arrivée d’un nouvel individu, le dortoir jouant certainement un rôle important dans l’établissement et le renforcement des liens sociaux.

Les troupes compactes de Manchots empereurs (Aptenodytes forsteri) sont animées de mouvements coordonnés afin que les oiseaux de la périphérie puissent régulièrement se retrouver au sein du groupe.
Vidéo : New Scientist

Les Mésanges à longue queue passent la saison internuptiale en troupes mixtes de 5 à 20  oiseaux composées d’adultes et de juvéniles issues d’au moins deux noyaux familiaux, mais aussi d’oiseaux non apparentés, qui peuvent représenter jusqu’à un tiers de chaque troupe. En automne et en hiver, elles forment des dortoirs linéaires (= sur des branches) et se blottissent les unes contre les autres. Les oiseaux placés au milieu de la « brochette » dépensent moins d’énergie durant la nuit que ceux placés aux extrémités, et les mâles dominants de plus grande taille occupent généralement ces places privilégiées.
Chez les Manchots empereurs mâles, se blottir les uns contre les autres est essentiel pour survivre aux températures très basses de l’hiver antarctique, souvent inférieures à – 45° C. De forts vents de près de 50 m/s accentuent encore le froid ressenti. Entre le début de leur arrivée à la colonie et le retour des femelles, les mâles doivent couver les oeufs durant 110 à 120 jours. Pour économiser leur énergie et maintenir une température corporelle suffisante, ils se regroupent en une foule compacte où la température ambiante est légèrement supérieure à 0° C. Mais cet ensemble est si compact que les mouvements individuels deviennent impossibles; or il est indispensable que la structure se réorganise de façon continue afin que chaque oiseau ait une chance de passer un temps suffisant au sein du groupe et qu’il ne reste pas toujours à la périphérie. Les oiseaux bougent alors de façon coordonnée : toutes les 30 à 60 secondes, chacun fait de petits pas sur 5 à 10 cm, ce mouvement se propageant comme une vague à la vitesse de 12 cm/s et entraînant une réorganisation à large échelle.