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Quelques adaptations des oiseaux pour supporter le froid
Cardinal rouge (Cardinalis cardinalis) femelle gonflant ses plumes et rentrant sa tête entre ses ailes pour se protéger du froid dans l’Illinois (États-Unis) en janvier 2021.
Photographie : Peter Chromik / Sa page Facebook
Introduction
Les oiseaux sont des animaux à sang chaud et endothermes, c’est-à-dire qu’ils produisent leur propre chaleur par leur métabolisme : or quand il fait froid, elle a tendance à se dissiper car leur surface corporelle est proportionnellement importante par rapport à leur taille. Or cela peut être mortel quand les ressources alimentaires disponibles sont rares, ce qui est souvent le cas en hiver. Pour résister au froid, ils bénéficient de plusieurs adaptations morphologiques (plumage et graisse sous-cutanée) et physiologiques (circulation sanguine et structure cellulaire), mais ils peuvent aussi adopter un comportement adéquat (trouver un abri nocturne, se serrer les uns contre les autres, migrer, rentrer en torpeur ou même hiberner).
Dans cette synthèse, nous recensons plusieurs de ces adaptations, en nous intéressant en particulier au cas des oiseaux aquatiques (Anatidés et Laridés), qui sont capables de rester longtemps posés sur la glace ou de dormir dans l’eau glacée.
Abstract
Birds are warm-blooded and endothermic animals, that is to say they produce their own heat through their metabolism: when it is cold, their internal heat tends to dissipate because their body surface is proportionately large relative to their size. However, this can be fatal when available food resources are scarce, which is often the case in winter. To resist the cold, they benefit from several morphological (plumage and subcutaneous fat) and physiological (blood circulation and cellular structure) adaptations, and/or they can adopt a behavior to protect themselves (find a night shelter, huddle together against others, migrate, fall into torpor or even hibernate).
In this synthesis, we list several of these adaptations, with an interest in particular in the case of aquatic birds (Anatidae and Laridae), which are capable of staying on ice for a long time or sleeping in icy water.
Les plumes
Une plume du duvet. |
La protection physique la plus évidente qu’ont les oiseaux pour se protéger du froid est leur manteau isolant de plumes (lire Les plumes des oiseaux). Les plumes sont inertes et ne contiennent ni peau ni vaisseaux sanguins, et ainsi ne dispersent pas la chaleur du corps dans l’environnement. Au contraire, elles retiennent la chaleur du corps en piégeant l’air chaud près de la peau.
Le nombre de plumes varie selon les saisons, et sont plus nombreuses en hiver qu’en été.
Outre les plumes du vol des ailes et les plumes couvrant leurs corps, les oiseaux aquatiques possèdent des couches épaisses de duvet, surtout sur leur poitrine et sur leur ventre. Les plumes duveteuses sont spécialisées: elles sont petites, légères et leurs barbes ne sont pas enchevêtrées. Leur fonction principale est la conservation de la chaleur. Les plumes de duvet sont très abondantes chez certaines espèces (canards, oies, etc.). Elles sont parfois arrachées par l’oiseau sur son propre corps afin de garnir le nid. Quiconque a déjà porté un manteau doublé de plumes duveteuses sait à quel point elles sont efficaces en hiver et isolent bien du froid.
La graisse sous-épidermique
Sous les plumes on trouve la peau, qui joue aussi un rôle important dans le contrôle de la perte de chaleur. La peau est irriguée par des vaisseaux sanguins qui transportent le sang chaud du corps vers les surfaces extérieures. En outre, le derme, la couche de peau située immédiatement sous la couche extérieure mince de la peau (l’épiderme), constitue un site de stockage des graisses. Ce stockage sous-épidermique est notamment important chez les canards qui vivent dans des environnements aquatiques froids.
Ces réserves adipeuses ont deux fonctions : elles fournissent une isolation supplémentaire par rapport aux plumes, et elles servent de réserve d’énergie qui peut être mobilisée par temps froid quand les demandes métaboliques sont élevées et que la nourriture disponible est faible.
Le métabolisme et la température du corps
Le métabolisme est l’ensemble des réactions physiques et chimiques (enzymatiques) qui se produisent au sein d’un être vivant et plus spécifiquement dans ses cellules et son milieu intérieur (sang et lymphe). Le métabolisme de base (ou basal) (chez l’Homme) est la quantité de chaleur libérée par un être non endormi, au repos physique (allongé) et intellectuel, à une température ambiante de 25°C et à jeun depuis 12 heures (c’est-à-dire n’effectuant pas d’activité digestive). Les oiseaux ont un métabolisme basal élevé et donc ont besoin de beaucoup de ressources énergétiques. Proportionnellement, les grands oiseaux consomment moins d’énergie par unité de surface que les petits oiseaux (règle de Bergmann). En même temps que le métabolisme, les oiseaux ont tendance à avoir une température corporelle plus élevée que les mammifères. Elle est généralement comprise selon les espèces entre 38 et 42 degrés. Celle des grands oiseaux aptères comme les autruches et certains oiseaux aquatiques comme les manchots ont une température corporelle inférieure à celle des autres oiseaux. Les oiseaux enfin sont globalement plus grands dans les milieux froids que dans les zones tropicales, car ils présentent proportionnellement une surface corporelle moindre.
Baisser sa température corporelle (hypothermie)
Les oiseaux doivent trouver un équilibre entre production et perte de chaleur, et cette différence peut être compensée par une consommation accrue d’énergie ou par une baisse de la température du corps. Ils peuvent ainsi entrer en hypothermie durant la nuit, et c’est par exemple le cas des mésanges (lire Les adaptations des mésanges pour résister au froid et à la bise) : ce mécanisme n’est pas aussi extrême que la torpeur des engoulevents et des colibris (lire Les colibris, des oiseaux étonnants et Chez les oiseaux aussi, qui dort dîne), mais la température du corps des mésanges peut tout de même diminuer de plus de 7 °C.
Un échangeur de chaleur à contre-courant dans les pattes des oiseaux aquatiques
Le système de l’échangeur de chaleur à contre-courant dans les pattes des oiseaux aquatiques. |
Les oiseaux vivant dans des environnements froids doivent conserver la chaleur de leur corps pour éviter l’hypothermie. Cependant, le sang, qui coule du centre du corps (cœur) vers la périphérie (comme les pattes et les pieds) peut facilement entraîner une perte de chaleur par dissipation dans l’atmosphère au niveau de la peau. Pour empêcher une telle perte, les oiseaux possèdent un véritable échangeur de chaleur à contre-courant constitué des vaisseaux sanguins (artères et veines) situés dans les pattes et qui permet à la chaleur d’être récupérée et sauvegardée. Ce principe d’échange de chaleur à contre-courant est si efficace et si ingénieux qu’il a été aussi adapté par l’Homme pour chauffer de façon optimale les bâtiments en limitant les gaspillages d’énergie en hiver!
L’échangeur de chaleur à contre-courant des oiseaux est constitué des artères et des veines adjacentes et dont les courants sanguins vont dans des sens opposés. L’artère amène du sang chaud dans les pattes, et la chaleur du sang dans l’artère est transférée à celui circulant sang dans la veine (bien sûr, l’oxygène et les nutriments continuent de nourrir les cellules des pattes). Suite à cet échange de chaleur, le sang dans les pattes de l’oiseau est relativement frais et peu de chaleur est perdue. Ainsi, un canard se tenant sur la glace perd une faible quantité de chaleur par ses pattes.
Alors que la température fondamentale du corps d’un canard se tenant sur la glace est d’environ 37,8°C, la température des pattes de l’oiseau peut être juste au-dessus de 0°C. Pour préserver leur chaleur par temps froid, les oiseaux aquatiques réduisent en outre le volume de sang qui coule vers leurs pattes en contractant les vaisseaux sanguins dans leurs pattes. Des expériences ont montré que des canards réduisent peu à peu le flux de sang vers leurs pattes au fur et à mesure que la température de l’air tombe à 0 degré. Toutefois, quand les températures tombent en dessous de 0°c, les oiseaux ré-augmentant le flux de sang vers leurs pattes pour empêcher une dégradation des tissus.
Les oiseaux protègent aussi leurs pattes en les rentrant dans les plumes de leurs flancs et près de leur corps. Pour minimiser l’exposition par temps froid, les oiseaux aquatiques se placent souvent sur une seule patte, plaçant de temps en temps l’autre patte dans les plumes de leur corps pour la protéger du froid.
Une adaptation au froid des cellules des tissus des pattes
Structure typique d’une membrane cellulaire, composée d’une bicouche phospholipidique. Chaque phospholipide est composé d’une tête hydrophile (1) et de deux chaînes hydrophobes (2). |
Chez la plupart des oiseaux, une partie des pattes est sans plumes. La plus longue partie sans plume est constituée du tarso-métatarse (l’os de l’avant-jambe). Cet os correspondant à une soudure du tarse et du métatarse et est l’équivalent de l’os de notre pied. Le tibia et le fémur sont eux généralement couverts de plumes. Ainsi, une partie de la patte et les doigts ne sont pas isolés. Pour conserver leurs pattes aussi chaudes que le reste du corps, les oiseaux devraient envoyer une grande quantité de sang chaud vers ces secteurs exposés. Mais au contraire, ils laissent leurs pattes se refroidir afin de n’avoir à leur fournir qu’une petite quantité de sang. Chez les Goélands argentés par exemple, la partie de la patte exposée aux éléments peut avoir une température de seulement 4°C, et le dessous de la patte est juste au-dessus de O°C.
Pour que les tissus de la patte inférieure supportent des températures si basses, leurs cellules ont dû s’adapter. Chaque cellule vivante est entourée d’une membrane semi-perméable constituée principalement d’une bicouche de phospholipides.
Chaque phospholipide est composé de deux chaînes hydrophobes d’atomes de carbone appelées acides gras pointant vers le centre de la membrane. Pour fonctionner convenablement, le phospholipide de la membrane a besoin de pouvoir se mouvoir dans le plan de la membrane: celle-ci doit donc être assez fluide pour permettre aux petites molécules comme l’oxygène de rentrer dans la cellule et au dioxyde de carbone d’en sortir.
La membrane peut adopter différents états en fonction de la température et de la pression. Par exemple, une membrane de phospholipides purs forme une phase liquide-cristalline à 20°C et 1 bar de pression tandis qu’à -20°C elle forme plutôt une phase gel. Ainsi, quand la membrane est exposée à des températures froides, celle-ci forme un ensemble plus rigide. L’oxygène ne peut alors plus diffuser dans la cellule, et le gel entraîne souvent la mort de celle-ci.
Chaque atome de carbone des acides gras d’un phospholipide a quatre points d’attache. Généralement, deux d’entre eux servent à adhérer aux deux atomes de carbone de l’acide gras adjacent. Les deux autres points d’attache se lient généralement à un atome d’hydrogène. Cependant, il est possible que deux atomes adjacents de carbone perdent l’un de leurs atomes d’hydrogène et établissent une double liaison entre eux, formant des acides gras trans. On les appelle alors acides gras insaturés (en hydrogène), c’est-à-dire comprenant au moins une double liaison C=C entre deux atomes de carbone.
Cygnes de Bewick (Cygnus columbianus) et Canards colverts (Anas platyrhynchos) posés sur la glace sur le lac Amance (Aube) le 10 janvier 2009 : notez que l’un des cygnes se tient sur une seule patte, pour protéger l’autre du froid. |
Les acides gras insaturés ont tendance à rester à l’état liquide à température ambiante. Ainsi, en créant des doubles liaisons entre leurs atomes de carbone, les acides gras de la membrane cytoplasmique des pattes des oiseaux permettent à la membrane de rester liquide même sous des températures froides, et ainsi de continuer à fonctionner normalement.
Pourquoi la plupart des oiseaux n’ont-ils pas de plumes aux pattes ?
Ceci est lié au fait que le métabolisme de l’oiseau est élevé pour fournir suffisamment d’énergie pour le vol. La chaleur supplémentaire excessive produite doit alors être éliminée, même sous les climats les plus froids, pour éviter une surchauffe. Les pattes sans plumes sont le lieu où cette chaleur est évacuée. La présence de plumes empêcherait cette évacuation.
Des adaptations comportementales pour survivre en hiver également
En plus de leurs adaptations physiologiques, les oiseaux peuvent également adopter des comportements adaptés pour survivre en hiver :
- augmenter l’efficacité de leur recherche alimentaire en formant des troupes (lire Les rondes d’oiseaux). Ces regroupements ont également l’avantage de repérer plus facilement les prédateurs éventuels en augmentant la vigilance collective, ce qui peut permettre à chaque individu de manger davantage (lire Quand il fait partie d’un groupe, chaque Chardonneret élégant pourrait manger jusqu’à 2,3 fois plus de graines). Toutefois, la prudence est toujours de mise (lire Même quand il fait froid, les passereaux éviteraient de manger en plein soleil).
- Profiter du nourrissage dans les jardins (lire Comment nourrir les oiseaux en hiver ?).
- Trouver un abri nocturne (lire Comment les oiseaux supportent-ils les nuits d’hiver et comment les aider ?).
- Se serrer les uns contre les autres, comme les manchots ou les Orites (Mésanges) à longue queue (Aegithalos caudatus) (lire Mésanges à longue queue : rester ensemble pour passer l’hiver).
- Migrer vers des régions un peu plus chaudes.
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Compléments
Ouvrages recommandés
- Le guide Ornitho de L. Svensson et al
- Oiseaux d’Europe, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de H. Heinzel et al.
- Guide des oiseaux de France et d’Europe de Roger Tory Peterson et al.
- Les Oiseaux d’Europe de Lars Jonsson et al.




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