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Le Paradoxornis de Webb, un petit passereau d’origine asiatique, est en train de s’installer discrètement en Europe
Paradoxornis de Webb / à gorge cendrée (Suthora webbiana/alphonsiana) dans la réserve naturelle du marais de Brabbia en Lombardie (Italie) le 10 janvier 2019.
Photographie : Salvatore De Castro / Wikimedia Commons
Le Paradoxornis de Webb (Suthora webbiana) est un petit passereau (longueur de 13 cm) à longue queue à la tête brun roussâtre, aux parties supérieures brunes, aux ailes en partie châtain-roux et à la poitrine et au cou rosâtres et au ventre chamois. Le bec est petit et gris ardoisé. Le mâle et la femelle sont identiques, tandis que le juvénile est plus foncé et plus terne dessous.
Il niche dans les broussailles, les massifs de bambous, les roselières et les cultures jusqu’à 3 100 mètres d’altitude, se nourrissant principalement de graines, de fleurs, de fruits et de bourgeons (lire Le Paradoxornis de Webb semble avoir réussi à « profiter » du développement d’une plante invasive en Chine). Il se reproduit entre avril et juillet, produisant généralement deux couvées par saison, et il forme des groupes pouvant dépasser 100 individus en dehors de la période de nidification. Son aire de répartition d’origine s’étend du nord de la Manchourie (Chine) au nord du Vietnam en passant par la péninsule de Corée.
Six sous-espèces, qui se distinguent par de légères différences de plumage, sont reconnues. Suite des changements taxonomiques récents intervenus et reportés dans la liste de l’International Ornithological Congress (IOC), la sous-espèce alphonsiana a été élevée au rang d’espèce distincte, le Paradoxornis à gorge cendrée (S. alphonsiana), qui est très difficile à distinguer du Paradoxornis de Webb.
Situation de la réserve naturelle du marais de Brabbia en Lombardie, le cœur de l’aire de l’aire de répartition du Paradoxornis de Webb (Suthora webbiana) en Italie. |
C’est un passereau flexible, généraliste et aux bonnes capacités d’adaptation, comme on peut le constater dans plusieurs pays d’Europe. En effet, suite à l’introduction involontaire en 1995 dans la nature de 150 spécimens échappés de captivité (selon d’autres sources, un commerçant aurait libéré délibérément ces oiseaux invendus) près du lac de Varèse, en Lombardie, dans le nord de l’Italie, une population stable s’est rapidement formée dès la première année dans la réserve naturelle du marais de Brabbia (Palude di Brabbia). Depuis, ce passereau s’est installé dans d’autres localités lombardes, comme le marais de Bozza de Besozzo, les rives des lacs de Varèse, de Comabbio et de Monate et la vallée de Bagnoli de Vergiate. L’habitat utilisé (végétation herbacée riche en arbustes) est plus étroitement lié aux zones humides qu’en Asie.
La population italienne serait composée de Paradoxornis de webb et à gorge cendrée et/ou d’hybrides entre les deux, et donc leur statut taxonomique est incertain.
Pour évaluer son impact impact sur l’avifaune locale, un projet de recherche multidisciplinaire a été lancé en Lombardie, impliquant plusieurs universités et organismes de conservation : l’étude visait à déterminer la distribution de l’espèce, ses habitudes écologiques, ses préférences alimentaires, et son potentiel de concurrence avec des espèces locales. Entre 2006 et 2008, des comptages ont donc été menés dans 50 zones d’un surface de 1 km². La population a été estimée entre 350 et 3 500 individus rien que dans la réserve italienne du marais de Brabbia, et depuis, elle dépasse probablement plusieurs milliers d’oiseaux en Lombardie. Comme c’est souvent le cas avec les espèces exotiques, la phase initiale de colonisation est lente avant une éventuelle croissance plus rapide, et cela s’est confirmé en Italie, où l’on est passé de 150 à plusieurs milliers d’individus en 15 ans.
Le suivi par radiotélémétrie de 19 oiseaux a révélé des zones d’activité variant de 1 à 35 hectares selon la saison, avec une nette préférence pour les milieux humides à végétation dense. L’analyse du régime alimentaire, menée à partir de 211 échantillons fécaux, a montré que l’espèce avait une alimentation généraliste et adaptable, avec une proportion d’invertébrés (insectes et araignées) plus importante au printemps, alors qu’elle est principalement végétale (baies et graines) en hiver : elle est donc comparable, au moins partiellement, à celle de plusieurs espèces locales, comme la Rousserolle effarvatte (Acrocephalus scirpaceus) et le Bruant des roseaux (Emberiza schoeniclus), laissant envisager une potentielle compétition.
L’existence de corridors naturels, comme le fleuve Ticino et les rives du lac Majeur, a facilité son arrivée en Suisse : dès 2017, les premiers oiseaux ont ainsi été observés dans la confédération helvétique.
Situation de Swartbroek, le cœur de l’aire de l’aire de répartition du Paradoxornis de Webb (Suthora webbiana) aux Pays-Bas. |
Aux Pays-Bas, une petite population a été découverte près de Weert, dans la province de Limbourg, à la fin des années 1990, mais ce n’est qu’en 2012 que l’identification précise de l’espèce a été confirmée. Entre 1997 et 2013, quelques cas de reproduction ont été observés et les effectifs sont passés de quelques individus à environ 15. Une analyse de risque menée en 2013 concluait à une forte probabilité d’expansion aux Pays-Bas, avec des conséquences écologiques encore incertaines.
En 2015, une estimation prudente évoquait une population de 20 à 35 couples, et un comptage non ciblé effectué en 2017 a permis de recenser 26 territoires. Au printemps 2023, l’association Sovon Vogelonderzoek Nederland a mené un inventaire spécifique dans la zone connue de présence autour de Swartbroek, et 42 territoires ont été recensés, principalement dans des secteurs déjà répertoriés, mais aussi dans d’autres plus périphériques, indiquant une augmentation par rapport à 2017 et une possible expansion vers le Sud-est, bien que certains territoires de 2017 n’aient pas été retrouvés.
La présence de mâles chanteurs dans de nouvelles zones suggère un début de dispersion active aux Pays-Bas, ce qui pourrait prédire de futures colonisations. Si quelques couples avec des jeunes ont été observés, la plupart des juvéniles ont été vus au sein de groupes errants d’adultes, rendant l’évaluation du succès reproducteur difficile. Sur cinq observations, 24 jeunes ont été dénombrés aux côtés de 26 adultes.
La population néerlandaise a donc augmenté au cours des 25 dernières années. L’espèce étant très généraliste, ses besoins en termes d’habitat, de nidification et de nourriture sont faibles. Son aire de répartition actuelle offre déjà un habitat suffisant, ce qui limite sa nécessité de se disperser ou de coloniser de nouveaux territoires. En outre, sa sédentarité contribue probablement à la stabilité géographique de la population. Néanmoins, l’apparition de territoires dans de nouvelles zones et l’augmentation globale des effectifs justifient la poursuite du suivi. Une nouvelle campagne de comptage est donc recommandée d’ici trois à cinq ans.
Jusqu’à présent, on n’observe pas de croissance exponentielle ou de dispersion rapide aux Pays-Bas, comme cela a été constaté en Italie : cette différence pourrait être due à la taille réduite de la population fondatrice aux Pays-Bas, ou à des facteurs climatiques. Il est donc utile de continuer à suivre l’évolution de la population italienne, notamment pour mieux comprendre les risques écologiques potentiels que cette espèce pourrait poser à la faune locale, encore mal connus à ce jour.
Le Paradoxornis de Webb rejoint donc la liste déjà longue des oiseaux exotiques installés en Europe, comme la Perruche à collier (Psittacula krameri) (lire Comment expliquer le succès de l’installation des Psittacidés en Europe ?) ou le Léiothrix jaune (Leiothrix lutea) (lire Bilan de l’enquête IBISurvey 2021-2023 sur les oiseaux introduits en Europe : où en est-on et posent-ils vraiment problème ?).
Paradoxornis de Webb / à gorge cendrée (Suthora webbiana/alphonsiana) dans le nord de l’Italie en mars 2015.
Source : hepela1959
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Compléments
Ouvrages recommandés
- A Field guide to the birds of China de John MacKinnon et Karen Phillipps
- Field Guide to the Birds of South-East de Craig Robson
- Birds of South Asia: The Ripley Guide de Pamela C. Rasmusen et John C. Anderton
- Birds of South-East Asia de Norman Arlott
- Birds of East Asia. Eastern China, Taïwan, Korea, Japan and Eastern Russia de Brazil M. (2009)
Sources
- Bernard Volet (2025). Les Paradoxornis en Suisse. Ornitho. www.ornitho.ch
- Bas Hissel (2023). Inventarisatie van de Bruinkopdiksnavelmees in 2023. Sovon-rapport 2023/103. Sovon Vogelonderzoek Nederland, Nijmegen. stats.sovon.nl
- Federica Luoni (2009). Il Panuro di Webb in Provincia di Varese. Il Panuro di Webb Paradoxornis webbianus. Ficedula. Volume : 41. Numéro : 13




2 commentaires
2 commentaire(s) sur ce sujet
Participer à la discussion !remy.ozino
Hyères les Palmiers
Posté le 28 octobre 2025
Magnifique petit oiseau !!! J’espère le voir bientôt arriver en France !
David
sevran
Posté le 29 octobre 2025
Bonjour, en effet, mais c’est quand même une espèce non indigène 🙂 cordialement Ornithomedia