Une analyse bioacoustique des Coucous épervier et de Bock

Coucou épervier (Hierococcyx sparverioides)

Coucou épervier (Hierococcyx sparverioides) dans le district de Hnahthial, dans l’État indien du Mizoram.
Photographie : Raju Kasambe / Wikimedia Commons

Afin d’évaluer la validité de la classification actuelle des Coucous épervier (Hierococcyx sparverioides) et de Bock (H. bocki), les ornithologues Frank E. Rheindt, Gabriel G.K. Teo, James A. Eaton et Elize Y. X. NG ont analysé 107 enregistrements vocaux de ces deux  taxons. Comme les autres espèces du genre Hierococcyx,
ils émettent deux types d’appels vocaux : le plus courant est une série lente de motifs composés de deux à trois notes brèves, tandis que l’autre, un trille plus rare, présente des variations potentiellement spécifiques.

Écoutez ci-dessous un enregistrement du chant du Coucou épervier réalisé en Chine le 23 mai 2024 par Bo Shunqi (source : Xeno-Canto) :

En raison d’un nombre insuffisant d’enregistrements du second type d’appels, seuls ceux du premier type ont été inclus dans l’analyse bioacoustique. Les enregistrements, provenant principalement de bibliothèques sonores en ligne (dont Xeno-Canto, la Macaulay Library, l’Avian Vocalization Center et l’Internet Bird Collection), ont été standardisés au format WAV, traités avec le logiciel Raven Pro 1.5, et mesurés dans des conditions homogènes (réglage de contraste, de luminosité et taille de fenêtre de sonogramme).
Après une exclusion des trilles, 85 enregistrements du premier type ont été retenus : 48 pour le Coucou épervier et 37 pour le Coucou de Bock (dont 28 provenant de Bornéo et 9 du reste de sa distribution sur les îles de la Sonde). Chez les deux espèces, le premier type de vocalisations était composé de deux ou trois éléments sonores (= segments sonores continus visibles sur un sonogramme) par motif (= unité répétée dans une séquence d’appel), selon la population considérée.  
Au total, 24 paramètres sonores différents ont été mesurés avec le logiciel Raven Pro, incluant des caractéristiques telles que la fréquence la plus haute et la plus basse du motif, sa bande passante, sa fréquence dominante, la durée des éléments, les pauses entre eux, et les variations de fréquence à l’intérieur de chaque élément (début, pic et fin).

Une analyse bioacoustique prenant en compte la particularité vocale des Coucous de Bock vivant sur Bornéo

Coucou de Bock (Hierococcyx sparverioides)

Coucou de Bock (Hierococcyx sparverioides) sur l’île de Bornéo (Malaisie) : cette population appartient à une espèce distincte nouvellement décrite, le Coucou des Penan (Hierococcyx tiganada).
Photographie : Mike Prince / Wikimedia Commons

L’étude a comparé les vocalisations entre les Coucous épervier et de Bock, mais aussi entre les différentes populations du Coucou de Bock. Une particularité notable avait en effet été notée chez les individus originaires de Bornéo : ils émettent systématiquement trois éléments par motif, contrairement aux autres populations, qui en ont seulement deux. Les chercheurs ont supposé que les deux derniers éléments de ces appels de trois notes dérivaient du deuxième élément présent chez les autres groupes. Pour permettre une comparaison cohérente (homologie), ils ont donc traité ces deux éléments finaux comme un seul élément combiné dans les analyses des paramètres concernés.
Pour éviter la redondance dans les données, les chercheurs ont évalué la colinéarité entre les 24 paramètres à l’aide de la corrélation de Pearson, qui mesure la corrélation linéaire entre deux ensembles de données, en éliminant les variables trop fortement associées (seuil > 0,7), avant de procéder à des Analyses en Composantes Principales (ACP).
Tous les motifs présents dans chaque enregistrement ont été mesurés, et les moyennes ont été calculées pour chacun des 24 paramètres bioacoustiques. Ces valeurs moyennes ont ensuite été utilisées dans des Analyses en Composantes Principales à l’aide du logiciel R, afin de visualiser les regroupements vocaux. Les résultats ont été représentés graphiquement avec des ellipses de confiance à 95 %, ce qui a permis d’identifier d’éventuels groupes vocaux distincts.
Parallèlement, les chercheurs ont appliqué un test plus rigoureux, appelé critère d’Isler, conçu à l’origine pour les passereaux suboscins, qui se caractérisent par une structure vocale plus rudimentaire que les passereaux chanteurs (sous-ordre des oscines) : il permet d’évaluer si les vocalisations de deux populations sont objectivement différenciables, en exigeant que les plages de mesures d’un paramètre ne se chevauchent pas entre les deux groupes, et que la moyenne et l’écart type du groupe ayant la plage la plus étroite remplissent une condition statistique stricte par rapport à l’autre groupe. Ce test avait déjà été utilisé avec succès dans de nombreuses études bioacoustiques en Asie, y compris sur des oiseaux autres que des passereaux.
Enfin, des expériences de repasse (lire La repasse et les oiseaux : utilisation, avantages, risques et conseils) ont été réalisées dans plusieurs régions (Bornéo, péninsule Malaise et Sumatra) : des enregistrements vocaux à deux et trois syllabes ont été diffusés à des Coucous de Bock. Les réactions des oiseaux ont été notées selon deux catégories : aucune réponse (= aucun changement de comportement) ou forte réponse (l’oiseau quittait son perchoir et s’approchait de l’enceinte). Ces tests visaient à évaluer si les individus percevaient une différence significative entre les chants locaux et ceux provenant d’autres populations.

Une analyse des plumages et des mesures morphométriques

Coucou épervier (Hierococcyx sparverioides)

Coucou épervier (Hierococcyx sparverioides) dans le parc national de Khao Yai (Thaïlande).
Photographie : Tony Castro / Wikimedia Commons 

Les chercheurs ont également examiné les plumages de douze spécimens issus du musée d’histoire naturelle Lee Kong Chian de Singapour : sept Coucous éperviers et cinq Coucous de Bock. Les différences de plumage ont été évaluées visuellement, tandis que des mesures morphométriques précises ont été prises par un seul observateur pour éviter les biais : ces mesures comprenaient les longueurs des ailes, de la queue, du tarse et du bec, réalisées à l’aide de règles et de pieds à coulisse (lire Mesurer le bec d’un oiseau).
Des tests statistiques (t-test de Welch) ont été effectués pour comparer les moyennes des différentes mensurations entre les deux espèces.

Les résultats de l’analyse bioacoustique : deux groupes vocaux distincts chez le Coucou de Bock

Douze des vingt-quatre paramètres bioacoustiques initialement mesurés se sont révélés corrélés entre eux et ont donc été écartés des analyses statistiques ultérieures. Les douze paramètres restants, non corrélés, ont été utilisés pour réaliser des Analyses en Composantes Principales, qui ont montré une séparation nette des Coucous de Bock selon deux groupes vocaux distincts : celui de Bornéo et celui formé de la péninsule Malaise et de Sumatra, sans recouvrement significatif entre les deux (selon les ellipses de confiance à 95 %). Cette distinction restait visible même en l’absence du Coucou épervier dans l’analyse.
Fait notable, les différences vocales entre les deux groupes de Coucous de Bock (Bornéo et Sumatra/péninsule Malaise) étaient plus marquées que celles observées entre les Coucous épervier et les différentes populations du Coucou de Bock. Deux paramètres se sont révélés être distincts selon le critère strict d’Isler : le nombre d’éléments par motif et la durée moyenne des motifs.
Enfin, les expériences de repasse ont confirmé ces résultats : les Coucous de Bock vivant sur Bornéo ne réagissaient pas aux chants provenant de Sumatra ou de la péninsule Malaise et inversement, ce qui suggère une barrière comportementale forte entre les deux groupes, un argument en faveur de leur reconnaissance en tant qu’espèces distinctes.

Les résultats de l’analyse morphométrique et des plumages : les Coucous de Bock vivant sur Bornéo présentent plusieurs différences

Vue du mont Kinabalu, dans la partie malaisienne de Bornéo

Vue du mont Kinabalu, dans la partie malaisienne de Bornéo.
Photographie : Hirosi SBM / Wikimedia Commons

L’analyse morphométrique a montré que le Coucou épervier était significativement plus grand que le Coucou de Bock pour les quatre paramètres biométriques mesurés : longueurs des ailes, de la queue, du tarse et du bec. En revanche, les comparaisons entre les populations de Coucous de Bock de Bornéo et de Sumatra et de la péninsule Malaise ont été limitées à cause d’un échantillon trop faible, ce qui a empêché l’usage de tests statistiques robustes. Malgré cela, les mesures disponibles indiquent que les individus de Bornéo ont en moyenne les ailes, les tarses et le bec plus courts, mais une queue plus longue que les oiseaux de Sumatra. 
Au niveau du plumage, l’inspection visuelle des spécimens a révélé des différences intéressantes : trois adultes du Coucou de Bock provenant du mont Kinabalu (Bornéo) avaient la gorge et le haut de la poitrine d’un brun-roux uniforme, une caractéristique absentes chez le Coucou épervier, qui possède une gorge blanche rayée de brun sombre. Les deux autres spécimens étudiés du Coucou de Bock (deux juvéniles) avaient un plumage plus proche de celui du Coucou épervier et ne montraient pas la gorge rousse uniforme.
L’étude s’est aussi appuyée sur l’examen de 222 photographies de Coucous de Bock disponibles sur eBird (au 13 mai 2025), couvrant les trois régions géographiques de son aire répartition (Bornéo, Sumatra et péninsule Malaise). Ces photos suggèrent que les adultes de Bornéo sont généralement plus gris sur le manteau et moins bruns sur la queue, tandis que ceux de Sumatra et de la péninsule Malaise présentent des tons d’un brun plus intense entre les barres noires, notamment sur le dessus de la queue. Cependant, cette distinction est moins fiable chez les jeunes et les subadultes, dont le plumage à tendance à être globalement plus brun, ce qui complique l’identification dans la nature ou à partir de photos de qualité moyenne. 

Description d’une nouvelle espèce sur Bornéo appelée Coucou des Punan

Aires de répartition des Coucous épervier (Hierococcyx sparverioides), de Bock (H. bocki) et des Penan (H. tiganada)

Aires de répartition des Coucous épervier (Hierococcyx sparverioides) (A), de Bock (H. bocki) (B) et des Penan (H. tiganada) (C).
Carte : Ornithomedia.com d’après Frank E. Rheindt et al

En se basant sur des critères vocaux et de plumage, les auteurs de l’article proposent de reconnaître une nouvelle espèce, à laquelle ils ont donné le nom scientifique de Hierococcyx tiganada, d’après le mot malais « tiganada » signifiant «  trois notes », en référence à son chant. Ils l’ont nommée Coucou des Penan (elle n’a pas encore de nom officiel en français), en référence au nom de la tribu de chasseurs-cueilleurs qui partage les mêmes forêts montagnardes. L’existence de cette espèce, désormais officiellement décrite, avait déjà été évoquée en 2016 dans un guide de terrain.
Le spécimen de référence (holotype) provient du mont Kinabalu, dans la partie malaisienne de l’île de Bornéo, a été collecté en 1929 et est conservé au musée d’histoire naturelle de Singapour.
H. tiganada ressemble fortement aux Coucous de Bock vivant à Sumatra et dans la péninsule Malaise, mais les adultes (probablement les mâles) présentent un manteau plus grisâtre, contrastant moins avec la calotte. Sa gorge est d’un brun-roux uniforme, à la différence du Coucou épervier, qui possède des stries roussâtres sur fond clair. Le critère le plus distinctif reste cependant son chant, composé de trois syllabes, contre deux pour les deux autres espèces.

Écoutez ci-dessous un enregistrement du chant du Coucou des Penan (Hierococcyx tiganada) réalisé sur le mont Kinabalu, sur l’île de Bornéo (Malaisie) le 4 février 2017 par Peter Boesman (source : Xeno-Canto) :

L’isolement des montagnes de Bornéo serait à l’origine de la formation de cette nouvelle espèce

La formation cette nouvelle espèce s’expliquerait par l’isolément de Bornéo du reste des îles de la Sonde suite à la montée des eaux, qui a débuté il y a environ 400 000 ans, et qui n’a été interrompue que lors des périodes glaciaires, qui ont entrainé l’émergence de ponts terrestres qui ont reconnecté temporairement la plupart des masses continentales d’Asie du Sud-est, la dernière fois il y a environ 17 000 ans. Toutefois, ces épisodes de baisse du niveau de la mer pendant le Pléistocène n’ont peut-être pas été suffisants pour permettre les flux génétiques entre l’avifaune montagnarde de Bornéo, à laquelle appartient de Coucou des Penan, et le reste de la région.
Le Coucou des Penan est confiné aux forêts pluviales de Bornéo au-dessus de 1 000 mètres d’altitude, et contrairement à celles de plaine, qui sont fortement menacées, les forêts montagnardes sont restées relativement bien préservées en raison de leur inaccessibilité. L’espèce est bien connue dans plusieurs régions du nord de l’île (mont Kinabalu, Trus Madi, monts Crocker, mont Murud, etc.), mais elle est très peu signalée ailleurs, probablement plutôt par un manque d’observateurs qu’à cause d’une rareté réelle. Actuellement, l’espèce ne semble donc pas menacée.
 

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