L’habitat originel du Merle noir

Parc national de Białowieża (Pologne)

Le probable habitat originel du Merle noir, la forêt primaire décidue humide, comme celle du parc national de Białowieża (Pologne)
Photographie : Ralf Lotys / Wikimedia Commons

Le Merle noir (Turdus merula) serait originaire des forêts denses et humides au sous-bois épais, comme les ripisylves ou les forêts marécageuses de plaine, au sol souvent ombragé et aux clairières petites et rares. En Europe de l’Est, il est typique des forêts primaires, tandis qu’en Europe de l’Ouest, où la nature a été plus profondément transformée, il occupe depuis longtemps des habitats plus variés. Cette diversification serait également liée à son expansion démographique : dans le parc national de Białowieża, il est aujourd’hui trois fois plus commun qu’il y a 30 ans. Dans ce massif boisé, la densité de couples est particulièrement élevée (2,5 à 2,7 couples pour 10 hectares) dans les peuplements d’aulnes et de frênes. Les forêts de chênes, de charmes et de tilleuls poussant sur sol sec sont aussi particulièrement appréciées. Ces habitats pourraient lui fournir une nourriture plus abondante et une protection contre les prédateurs.
Durant la période de reproduction, le Merle noir se nourrit surtout de vers de terre, d’insectes et d’escargots. Contrairement aux attentes, selon des études menées dans le parc national de Białowieża, les invertébrés vivant dans la litière (jusqu’à 40 cm de profondeur) sont moins nombreux dans les boisements humides de frênes et d’aulnes que dans la plupart des forêts plus sèches de chênes, de charmes et de tilleuls : les vers de terre y sont en particulier nettement moins nombreux (310 kg/hectare contre 422 kg/hectare). Mais cette pauvreté relative pourrait être compensée par une plus grande abondance d’invertébrés saproxyliques (se nourrissant de bois décomposé) et d’escargots du genre Succinea. Les forêts denses, au sol souvent à l’ombre et à la litière facilement accessible, offriraient au Merle noir une certaine protection contre les prédateurs, son plumage sombre constituant un camouflage efficace.

Les données utilisées pour l’étude

Les auteurs ont utilisé des données collectées lors d’études menées sur le Merle noir et la Grive musicienne réalisées entre 1975 et 1995 dans la forêt de Białowieża et au Danemark (Suserup, Strødam) durant l’hiver 1997-1998. Dans le parc national de Białowieża, 18 couples et 33 oiseaux bagués ont été suivis dans deux secteurs, une ancienne forêt riveraine (33 hectares) et un boisement de chênes, de charmes et de tilleuls (50,5 hectares). 140 heures d’observation ont été totalisées. Dans les forêts quasiment vierges étudiées au Danemark, la densité de merles était six fois supérieure à celle notée dans des habitats plus jeunes.
La majorité des Merles noirs suivis lors de ces études restaient à proximité de troncs morts décomposés, dans une mosaïque de brun, de noir et de roux. Ils se nourrissaient surtout au sol (94,6 % des observations). Sur 102 données de merles se nourrissant, 55,8 % concernaient des oiseaux évoluant sous un couvert végétal dense les protégeant des prédateurs. Et quand ils s’éloignaient de plus de deux mètres, ils restaient sur la litière à la couleur brun-roux. Au-delà de deux mètres, ils cherchaient les zones à l’ombre.

D’autres turdidés au plumage sombre

Grive de Sibérie (Zoothera sibirica) mâle

Grive de Sibérie (Zoothera sibirica) mâle.
Photographie : M.Nishimura / Wikimedia Commons

Près de 90 % des turdidés ont un plumage chamois ou brun pâle avec une poitrine tachetée. Cette coloration est considérée comme étant la plus proche du plumage primitif de cette famille et il est bien adapté aux teintes de la litière et des arbres. Les espèces vivant surtout dans les forêts claires de conifères aux troncs couverts de lichens ont le manteau plus pâle : c’est le cas de la Grive draine (Turdus viscivorus). Le dos de la Grive musicienne est plus sombre, tandis que ceux de la Grive mauvis (T. iliacus), du Merle à plastron (T. torquatus), de la Grive de Sibérie (Zoothera sibirica) et du Merle noir, qui vivent dans des forêts denses, ont un manteau très sombre. Le Merle noir est le seul turdidé européen de plaine au plumage très sombre, les autres vivent dans des forêts épaisses de montagne ou des ripisylves. Sur les autres continents, il existe aussi quelques autres espèces au plumage foncé ou noir, comme les Merles olivâtre (Turdus olivaceus), des îles (T. poliocephalus), ardoisé (T. nigriceps), enfumé (T. infuscatus), fuligineux (T. nigrescens), à œil clair (T. leucops) et lustré (T. serranus), et toutes sont originaires des forêts denses humides de plaine ou de montagne. Cette coloration foncée est un camouflage et donc une adaptation à un habitat dense, les ancêtres de ces espèces ayant sûrement un manteau plus pâle : elle les aide à passer inaperçus quand ils se nourrissent ou qu’ils sont sur leur nid. Ils ont tendance en outre à toujours rester dans les secteurs les plus denses et les plus sombres, et c’est pour cela que les forêts primaires accueillent les plus fortes densités de Merles noirs.
Gérard Rolin nous précise par ailleurs que les Merles géant (Turdus fuscater) et chiguanco (Turdus chiguanco), dont les plumages sont sombres, sont plutôt confiants et fréquentent à la fois les pelouses des grandes villes que les forêts « profondes » : c’est aussi le cas des Merles d’Amérique (Turdus migratorius) et à poitrine noire (Turdus dissimilis), aux couleurs plus voyantes.

Le plumage sombre du merle est-il adapté aux habitats plus ouverts ?

Grive musicienne (Turdus philomelos)

Le manteau de la Grive musicienne (Turdus philomelos) est brun clair et bien adapté à des secteurs forestiers plus clairs que ceux fréquentés par le Merle noir.
Photographie : Karl Schönborn

Aujourd’hui, la plupart des Merles noirs vivent dans des habitats boisés ouverts, même si leur densité y est moindre que dans leur milieu d’origine. Cette « diversification » est connue depuis au moins 200 ans. Le plumage du Merle noir est particulièrement bien adapté à un habitat forestier dense, mais dans les zones plus ouvertes, le handicap que constitue son plumage bien visible serait compensé par une plus grande visibilité lui permettant de repérer plus vite les dangers, l’existence de secteurs sombres (bosquets par exemple) lui permettant de trouver un refuge si nécessaire. Dans les forêts riveraines par contre, l’herbe est haute et les prédateurs peuvent se cacher facilement, et un plumage très foncé est utile. Contrairement aux merles, la plupart des grives vivent à la lisière des forêts et leur manteau est plus pâle. Dans les forêts les plus denses, elles recherchent les secteurs ensoleillés, tandis que les merles exploitent les zones humides et sombres.
Le plumage sombre du Merle noir est en outre bien adapté à son comportement en forêt : au début du printemps, quand les feuilles sont encore peu nombreuses, les deux sexes évitent les zones ensoleillées et restent à l’ombre, près des troncs.
Dans le parc national de Białowieża, les Merles noirs n’ont jamais été vus se nourrissant durant la journée dans les hautes herbes des lisières : ils restent dans les zones fauchées ombragées. Les Grives musiciennes au contraire se nourrissent souvent dans les zones ouvertes, y compris dans les champs. Le Merle noir se serait aventuré dans les zones plus  dégagées suite aux défrichements et à la diminution de ses prédateurs comme les éperviers, les autours, les buses et les mustélidés, ce qui a rendu son « camouflage » moins nécessaire. Mais l’expansion récente des rapaces en milieu urbain pourrait changer la donne (lire Une nidification de l’Épervier d’Europe à Montmartre et L’Autour des palombes devient urbain).

Sur le nid

Le manteau brun du Merle noir et de la Grive musicienne est utile quand ils couvent. Le plumage plus pâle de la grive est bien adapté car elle niche généralement plus haut que le Merle noir dans les arbres, parmi les branches les plus minces. Le Merle noir préfère les parties des arbres exposées au nord et les fourches épaisses. Dans la forêt de Białowieża, 90 % des nids de merles sont ainsi construits dans les parties les plus sombres des arbres. La femelle du merle, au plumage plus clair, reste quand même invisible, même au soleil, car, son plumage parait alors gris pâle, proche de la couleur des troncs éclairés de la litière sèche.

Merle noir (Turdus merula) mâle

Le Merle noir (Turdus merula) s’est adapté aux habitats arborés plus ouverts comme les jardins.
Photographie : Jean-Pascal Weber / Les oiseaux dans leur environnement

Les avantages du plumage du mâle, même dans les milieux plus ouverts

La couleur du mâle du Merle noir serait favorisée par la sélection sexuelle, les mâles les plus noirs étant considérés comme dominants et les plus séduisants. En outre, dans les habitats urbains où alternent zones ouvertes ensoleillées et arborées plus sombres, le plumage noir du mâle peut encore être utile : c’est en effet le mâle qui apporte la plus grande part de la nourriture aux oisillons, et au début du printemps, il reste peu visible dans l’entrelacs de branches dénudées claires et sombres. Le plumage très noir pourrait aussi aider les femelles à repérer les mâles célibataires quand ils chantent sur les branches exposées. Pour le mâle de la Grive de Sibérie, une espèce vivant dans les boisements le long des cours d’eau, le plumage sombre du mâle pourrait l’aider à se dissimuler parmi les branches. En outre, la zone blanche de son ventre et son sourcil blanc pourraient « casser sa silhouette ». La fonction du croissant blanc sur la poitrine du Merle à plastron pourrait jouer le même rôle.

En conclusion

Dans les forêts primaires denses, le plumage noir du merle joue un rôle de camouflage évident, renforcé encore par la sélection sexuelle. Il est aussi bien adapté au risque de prédation dans un habitat riche en cachettes pour les prédateurs.

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